Une Pratique qui a caractérisé l'ancien régime : «Le cadre» ou la marque de l'allégeance

15/02/2023 mis à jour: 17:00
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C’est encore frais dans nos mémoires ce cadre géant de l’ex-président Bouteflika régulièrement exhibé en salle ou dans des rassemblements publics alors même que, terrassé par un AVC, il se déplaçait en fauteuil roulant et puis restait confiné à son domicile. Comme il ne pouvait plus apparaître en public, son entourage, ses thuriféraires et ses alliés avaient imaginé ce procédé aussi inédit que surréaliste et grotesque pour rappeler à la population au bon souvenir de leur monarque effacé par la maladie mais toujours habité de l’ambition de rester au pouvoir. Pire, de s’atteler à revendiquer un autre mandat présidentiel, le cinquième, sans même tenir compte de son état grabataire et des difficultés à achever son quatrième mandat. Tout cela, à l’évidence, était orchestré par Saïd Bouteflika qui, à ce moment-là, avait profité de l’effacement de son frère Président pour s’approprier ses prérogatives constitutionnelles. Cela avait conduit des personnalités politiques à alerter l’opinion publique sur cette dérive. Les Algériens s’interrogeaient déjà sur ce qui était arrivé à cette Algérie, pourtant fière, à laquelle on infligeait le spectacle d’un cheval offert à son Président, non pas debout et en exercice, mais figé dans une photographie plaquée dans un cadre. C’était l’horreur absolue qui, à elle seule, exacerba une bonne partie du mécontentement populaire déjà bien élevé au sein de la population du fait des autres tragédies qu’elle vivait. Le pays venait d’entrer dans la crise économique suite à la chute brutale du prix du pétrole. Le seul remède trouvé par les Premiers ministres de l’époque, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, fut d’inonder le pays de billets de banque tirés à profusion des rotatives de la Banque d’Algérie, une monnaie de singe, un procédé non orthodoxe décrié par tous les experts sérieux et organismes internationaux. Cette politique, voire ce pis-aller allait inévitablement aggraver la débâcle économique du pays car ne reposant pas sur les richesses nationales. Elle était pourvoyeuse d’une forte inflation. La sédimentation des colères conduisit les Algériens à déclencher le hirak et discréditer définitivement autant la présidence de la République et le gouvernement que tous les partis politiques alliés, en tête le FLN et le RND. Ceux-là tentèrent vaille que vaille de sauver leur système politique qui leur avait permis, tout le temps que dura le règne de Bouteflika, d‘occuper un rôle de premier plan dans les sphères de décision et les assembles élues, notamment l’Assemblée populaire nationale. Celle-ci connut un autre scandale lorsque ses portes d’entrée furent fermées par des chaînes pour que les partisans du clan opposé à celui qui était aux commandes n’y pénètrent pas. Cet acte de désespoir scella la décrue définitive du duo FLN-RND et de l’alliance présidentielle, avant que le hirak populaire n’ouvre la voie vers l’emprisonnement de nombre de leurs dirigeants. Certains furent condamnés par la justice soit pour détournements soit pour malversations de toutes sortes et, dans la foulée, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal. Quelques apparatchiks y réchappèrent, le plus détestable d’entre eux, Amar Saâdani qui trouva refuge à l’extérieur du pays, notamment au Maroc, où il fit allégeance aux responsables de la monarchie. Chabib Khelil, le baron noir de l’énergie, fila vers les Etats-Unis après avoir perdu la protection des zaouias et de la présidence de la République. Il était un des partisans les plus zélés de la politique de Bouteflika, gaspilleuse des précieuses devises du pays et lancée dans des projets d’infrastructure sans contrôle ni suivi sérieux. Cette politique ne développa pas l’économie nationale mais permit l’émergence d’une oligarchie corrompue et corruptrice dont la justice, quelque temps plus tard, dévoila l’ampleur du pillage qu’elle avait effectué évidemment avec la complicité des autorités politiques du moment. C’est donc dans cette ambiance de pillage généralisé du pays que l’allégeance vis-à-vis des puissants fut portée à son summum, celle des profiteurs, des parvenus, des chasseurs de postes et d’avantages financiers et des brigands de la politique. Et c’est parce que le hirak n’a pas emporté toute cette faune-là que la pratique dite du «cadre» a pu ressurgir ces jours-ci, le président Tebboune y faisant les frais, en dépit de ses avertissements de départ quant à toute velléité de «glorifier» sa personne. Le chef de l’Etat, qui vient d’interdire toute récidive de ce type de comportement, s’était déjà opposé, il y a quelque temps, à une pratique annexe qui consiste à lancer des appels pour briguer un nouveau mandat présidentiel. Le clan Bouteflika en avait aussi usé et abusé. Manifestement, on attend su président Tebboune qu’il fasse ce que son prédécesseur a fait. Plus largement, la persistance de ce phénomène est à chercher dans les rites et coutumes du système politique algérien encours depuis l’indépendance. Aucun pouvoir n’y a échappé, dès lors que le terreau démocratique a été tout le temps absent, excluant toute compétition politique saine, fondée sur les programmes et adossée à l’Etat de droit. L’équation est simple, plus la démocratie s’élargit, moins il y aura de «chevaux à offrir à des cadres» et de «marches spontanées» de soutiens. 

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