Une économie plombée par l’inflation

16/05/2023 mis à jour: 00:02
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Photo : D. R.

L’inflation a atteint en avril 2023 plus de 50%, selon les données officielles. Un taux certes inférieur au record de 2022 (73%) mais qui reste illustratif d’une économie malade.

L’économie turque est sur une pente dangereuse. Elle n’est plus en parfaite santé qu’elle affichait durant la première décennie du règne de Recep Tayeb Erdogan. La croissance est en baisse, la livre s’effondre et les ménages se trouvent étranglés par les fortes pressions inflationnistes. Après un fulgurant décollage économique au début des années 2000 qui l’a propulsée au rang de puissance émergente, la Turquie périclite.

Elle est confrontée à une situation de crise qu’elle n’a pas connue depuis de 1998. La monnaie nationale, qui tenait tête aux plus grandes devises du monde, a perdu en 2021 44% et en 2022 plus de 27% de sa valeur face au dollar. Cette dépréciation substantielle, jamais enregistrée au cours des 20 dernières années, a conduit vers une dérive des prix particulièrement aggravée par le conflit en Ukraine qui a généré des hausses des cours internationaux des matières premières. Les prix à la production ont grimpé de 157% et ceux à la consommation de 85,5%. Des records jamais enregistrés depuis 25 ans.

Erosion du pouvoir d’achat

L’inflation a atteint en avril 2023 plus de 50%, selon les données officielles. Un taux certes inférieur au record de 2022 (73 %) mais qui reste illustratif d’une économie malade, pataugeant dans une bulle inflationniste à l’issue incertaine.

Cette situation a accentué la pauvreté dans le pays. Selon des données officielles, beaucoup de Turcs ont plongé dans la pauvreté qui est passée de 12 % en 2000 à 17 % en 2021. L’érosion spectaculaire du pouvoir d’achat, avec une classe moyenne laminée, a poussé des voix, notamment de l’opposition, à contester les chiffres officiels relatifs à l’inflation, qui auraient été édulcorés pour ne pas compromettre les chances d’Erdogan de briguer un troisième mandat.

C’est dans ce contexte que des économistes turcs, qui se sont présentés comme indépendants, ont affirmé que l’inflation aurait atteint en réalité 160,76 % en 2022. Deux fois plus que le taux officiel. Aussi, l’opposition turque a accusé Recep Tayyip Erdogan d’avoir favorisé cette crise inflationniste à travers une politique à rebours de celles mises en place dans plusieurs pays frappés par l’inflation. Aux Etats-Unis et en Europe par exemple, les gouvernements ont augmenté leurs taux d’intérêt dans le but de freiner la hausse des prix. Le président Erdogan a, quant à lui, fait le contraire en maintenant bas les taux d’intérêt ignorant les recommandations des administrateurs de la Banque centrale turque.

Les autorités turques ont tenté d’atténuer un tant soit peu les effets de cette inflation en consentant trois hausses consécutives du salaire minimum durant l’année 2022, avec une première augmentation de 50% en janvier, une deuxième de 30 % en juillet et la dernière de 70% en décembre de la même année. Les autorités tablent sur une forte baisse durant l’année en cours.

Selon les estimations données par le gouvernement, l’inflation va reculer à 30% à la fin du premier semestre et à 20% à la fin de l’année. Mais au-delà de ces projections optimistes présentées à la veille d’une élection présidentielle, les indicateurs économiques virent plutôt au rouge.

En plus de l’inflation galopante et de la dépréciation effrénée de la devise nationale, la contreperformance économique est bien visible au sein des marchés boursiers où sont cotées les entreprises qui constituent à la fois le fleuron et la fierté de l’industrie turque. Selon le think tank BSI Economics, basé en France, le cours de Bourse des principales entreprises publiques du pays, cotées en devises étrangères, a chuté, les taux obligataires et les crédits Default Swaps (CDS) se sont envolés.

Les limites d’un modèle de croissance

La croissance économique, qui était à deux chiffres pendant plusieurs années, dégringole à 5,6% en 2022. Un taux qui risque de connaître une nouvelle contraction durant l’année en cours au regard de la récession qui plane sur l’économie mondiale. Il y a aussi la nature de la croissance économique turque qui repose essentiellement sur la consommation de sa population et les généreux crédits accordés aux entreprises.

D’ailleurs, à cause de la déplétion des réserves de change et d’un dérapage des finances publiques, les autorités turques ne semblent pas en mesure de maintenir ce train de dépenses. Si elle a réussi en 20 ans à séduire nombre de pays notamment musulmans par son décollage industriel, la Turquie fait aujourd’hui face aux limites de son modèle économique.

En effet, selon la revue d’analyse stratégique Marché et Organisations, «en dépit de l’importante transformation de sa structure économique au cours des six dernières décennies, la Turquie a encore un net retard à rattraper pour atteindre le niveau de vie des économies avancées». «Aujourd’hui, le modèle économique turc ressemble, sous certains aspects, à celui des pays d’Europe de l’Est, membres ou non de l’Union européenne (UE)», ajoute la même source.

La principale fragilité de ce modèle de croissance se trouve dans sa forte dépendance «des entrées importantes de capitaux étrangers». «La récente crise financière mondiale, cependant, a montré les limites de ce modèle», a encore relevé cette revue d’analyse stratégique. Ainsi, ce modèle économique que le président Erdogan présentait comme une prouesse de son long règne de 20 ans est aujourd’hui remis en cause et risque de plonger le pays dans une grave crise.

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