Un hors-série de la revue Naqd spécial Palestine : «Ce qui se passe à Ghaza n’est pas exceptionnel dans l’histoire du système capitaliste colonial»

09/10/2024 mis à jour: 17:00
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Photo : D. R.

«L’opération “Tawfan Al Aqsa” du 7 octobre 2023 a propulsé la dialectique de la violence et de la contre-violence entre le pouvoir colonial d’Israël et la résistance palestinienne à un niveau inégalé dans l’histoire des confrontations de ce XXIe siècle», souligne l’historien et directeur de la revue NAQD, Daho Djerbal, dans son mot de présentation de ce numéro exceptionnel.

Pour marquer le premier anniversaire du 7 Octobre et de l’épouvantable guerre d’extermination que mène l’entité sioniste contre le peuple palestinien, la revue NAQD a consacré un numéro spécial, le Hors-Série n°8, à Ghaza et à la question palestinienne. La couverture de ce numéro se distingue d’emblée par son design sobre. La page de garde est toute en noir, en signe de deuil. Un seul mot est imprimé dessus en guise de titre : «Ghaza». Le numéro se décline en arabe et en français. Cette édition de NAQD a le mérite de proposer des lectures et des analyses des événements qui tranchent radicalement avec le récit dominant sur la séquence post-7 Octobre. A la clé, une douzaine de contributions de haut vol qui offrent une autre vision de ce qui se joue en Palestine, avec un éclairage extrêmement précieux et juste de la situation au Moyen-Orient. NAQD démontre ainsi, une fois de plus, son courage éditorial qui s’inscrit en droite ligne du paradigme décolonial et anti-impérialiste du Sud Global. 

Avant de donner au lecteur un avant-goût du contenu de quelques articles, voici un survol rapide des titres des contributions proposées et de leurs auteurs. La première partie intitulée «Vivre et mourir à Ghaza» s’ouvre par un texte émouvant de la cinéaste et romancière libano-irakienne Fourate Chahal El Rekaby : «Nous ne voulons pas». Il est suivi de «Récits de la vie palestinienne en état d’apartheid», un texte signé Zukiswa Wanner, écrivaine, curatrice et éditrice sud-africaine. La deuxième partie de ce hors-série est intitulée «Alliances et complicités génocidaires». On y trouve deux articles. Le premier est de Noha Khalaf, docteure en langue arabe de l’Inalco et chercheuse associée à l’Iremam : «USA-Israël, convergences géostratégiques et connivences idéologiques». Le deuxième papier de cette partie est intitulé : «Inde-Israël : la coordination du contrôle».

On le doit à Abdulla Moaswes, doctorant à l’Institut d’études arabes et islamiques de l’Université d’Exeter (Royaume-Uni). La troisième partie de l’ouvrage, «Critique du discours dominant», comprend un seul mais copieux article : «Néo-racisme et guerre de Ghaza. Que devons-nous apprendre de la résistance à Ghaza ?» Son auteur, Ranabir Samaddar, est un éminent politologue indien. La quatrième partie, «Résistances, solidarités révolutionnaires et fronts de lutte» comporte quatre textes. Le premier, «Cinquante-et-un ans depuis la guerre d’Octobre» est l’œuvre de Muhammad Jihad Ismael, écrivain et critique littéraire palestinien de Ghaza. 

Cette partie comprend en outre un entretien avec le professeur Salim Vally, académicien et militant des droits de l’homme sud-africain, sur «Le rôle de l’Afrique dans la libération de la Palestine». Imad Sayrafi, universitaire palestinien, directeur du Centre des études sur le développement à l’université Birzeit, en Palestine occupée, propose un excellent papier, le troisième donc de cette partie, sur le thème «Ruptures dans les projets impériaux et coloniaux et rôle de la solidarité». Retenons cet autre document précieux, dans la même section, sous le titre : «Cette recherche passionnée : George Jackson, Ghaza et l’au-delà d’une exposition». 

Son auteur, Greg Thomas, est professeur de lettres modernes spécialisé en littérature anglaise et afro-américaine à l’Université Tufts, à Boston. Il est également curateur d’une très belle exposition itinérante : «George Jackson sous le soleil de Palestine», George Jackson étant une figure de proue des Black Panthers. La cinquième partie de ce numéro, intitulée simplement «Ecrits»; propose deux tribunes libres. La première est d’Umeyya Abu Hana, écrivaine, journaliste et chercheuse palestino-finlandaise : «Nous vous avons donné Noël». Ce texte poignant est suivi d’un poème sans titre très touchant de la poétesse palestinienne Maisan Hamdan, en arabe, en anglais et en français (traduction assurée par Viktoria Metschl). 

«La plus longue guerre menée contre l’occupant sioniste»

Dans son texte de présentation, l’historien et directeur de la revue NAQD, Daho Djerbal, explique comment cette opération militaire spectaculaire de la résistance palestinienne a constitué un tournant dans l’histoire de la lutte du peuple palestinien contre l’occupant sioniste. «L’opération “Tawfan Al Aqsa” du 7 octobre 2023 a propulsé la dialectique de la violence et de la contre-violence entre le pouvoir colonial d’Israël et la résistance palestinienne à un niveau inégalé dans l’histoire des confrontations de ce XXIe siècle», écrit-il. 

Il cite dans la foulée une réflexion de Nasser Qandil, un «analyste arabe diplômé de l’Université américaine du Caire (qui) a souligné un aspect souvent ignoré par beaucoup de commentateurs, c’est que cette guerre est la plus longue des guerres menées par les Etats et organisations armées arabes de la région contre l’entité sioniste israélienne». Daho Djerbal constate, par ailleurs, que «depuis octobre 2023 à ce jour, le gouvernement israélien mène une guerre génocidaire contre la population de la “bande de Ghaza”. Il intensifie sans cesse la brutalité de son armée d’occupation et l’étend à toute la Palestine (Ghaza, Territoires occupés en 1948 et Cisjordanie)». 

Et, fait remarquer le fondateur de la revue NAQD, malgré cette machine de mort infernale, l’occupant «n’est pas arrivé à ce jour à réduire au silence la voie de la lutte armée». «Une année durant, la résistance palestinienne se poursuit et s’étend à l’intérieur même de la Palestine», observe-t-il. L’auteur note que «la guerre contre les Palestiniens n’est pas une guerre classique mais une guerre polymorphe, protéiforme. Elle est menée sur tous les fronts et dans tous les domaines, à l’échelle mondiale». Il relève en même temps le formidable élan de sympathie témoigné envers le peuple palestinien et la cause palestinienne.  «La résistance du peuple palestinien de son côté est soutenue à l’échelle mondiale», note-t-il. 

A ce propos, Djerbal mentionne les «multitudes formes de solidarité qui se sont développées dans les campus et parmi les intellectuels occidentaux». Opérant une mise en perspective historique, Daho Djerbal estime que «ce qui se passe à Ghaza depuis le 7 octobre 2023 n’est guère exceptionnel dans l’histoire et le fonctionnement du système capitaliste colonial, de l’impérialisme occidental et de l’idéologie sioniste basés sur la dépossession et le meurtre de vies indigènes». «Mais, face aux nouvelles formes de la domination coloniale, souligne l’historien, nous avons voulu montrer que des solidarités internationalistes, tiers-mondistes ou tricontinentales se sont engagées dans une perspective politique et historique de rupture qui s’assume en acte transformatif et de critique radicale. C’est cet esprit-là que ce numéro hors-série de NAQD cherche à honorer et à garder vibrant et fort sans perdre sa vision critique et autocritique.»

«Juste une main, sans corps»

Dans son texte «Nous ne voulons pas» qui inaugure ce numéro, Fourate Chahal El Rekaby retrace par bribes, par flashes saisissants, le quotidien insoutenable des Ghazaouis depuis une année, fragments «d’un génocide documenté en son et en images». Comme cette image terrible : «Une mère qui tient la main de son enfant. Juste une main. Sans corps», écrit-elle. Ou ce «père qui arrive devant un hôpital avec les restes de son enfant dans un sac en plastique». Ou bien cette fille de 13 ans «coincée sous les décombres, qui répond aux secouristes, “il y a mes frères, mes sœurs, mon père et ma mère avec moi. Sauvez-les d’abord et sauvez-moi en dernier”». Et «des gens qui récoltent l’eau de la pluie pour boire». Ou encore ces «mères qui écrivent des noms sur les bras et les jambes de leurs fils et filles, pour qu’on puisse identifier leurs cadavres». La liste des atrocités est malheureusement très très longue… Et cette boucherie se poursuit à cause de l’entente impérialo-sioniste incarnée par le couple USA-Israël. 

C’est ce qu’explique Noha Khalaf dans sa contribution remarquablement documentée : «USA-Israël, convergences géostratégiques et connivences idéologiques». La chercheuse décortique avec soin la politique de l’administration américaine depuis Reagan jusqu’à Biden vis-à-vis de la question palestinienne. Elle arrive à la conclusion qu’à l’heure actuelle, il n’y a guère de différence notable entre Républicains et Démocrates dans le soutien inconditionnel apporté à Israël. «Aux Etats-Unis, c’est à partir du début des années 1980, durant l’administration Reagan (1981-1989), que le revirement idéologique vers une droite fondamentaliste a commencé.

Composée de néoconservateurs et d’un mouvement évangéliste de droite, cette tendance parfois nommée “les sionistes chrétiens”, aboutissait à un phénomène devenu typique de la droite “reaganienne républicaine”», décrypte l’auteure. 
D’après Noha Khalaf, les néoconservateurs vont exercer une forte influence via un important réseau de think tanks. «C’est durant les années 1960, 1970, puis 1980, que les think tanks américains des néoconservateurs se multiplient, tels le Hudson Institute ou la Philadelphia Society (1961 et 1964), l’Heritage Foundation, le Cato Institute, ou d’autres encore de taille plus modeste comme le Goldwater Institute, le Center for Security Policy, etc.» L’auteure relève que «le mouvement néoconservateur avait pris encore plus d’ampleur durant l’administration George W. Bush suite aux incidents du 11 Septembre 2001, qui ont mené à la déclaration de guerre contre l’Irak». 

«Biden s’est entouré d’une faune de néoconservateurs pro-israéliens»

Joe Biden va lui aussi s’entourer de néoconservateurs qui se révéleront de farouches soutiens d’Israël. «Ce revirement néoconservateur de l’administration Biden est clairement visible dans la nomination d’assistants néoconservateurs tels Victoria Nuland, qui avait été l’assistante de Dick Cheney pendant la guerre d’Irak, et Elliott Abrams, l’apologiste de la torture en Amérique Centrale pendant l’administration de Ronald Reagan, tandis qu’un lobbyiste actif pour la guerre d’Irak, Kristol, réservait 2 millions de dollars pour payer la publicité télévisée demandant aux Républicains de soutenir l’Ukraine, la guerre ayant un effet tonifiant pour les guerriers néoconservateurs», détaille la spécialiste en relations internationales.

«Les chefs de file de sa politique étrangère – Antony Blinken et Jake Sullivan – sont des ''vétérans'' impliqués dans les défaites du passé, Blinken, un faucon et champion acharné pour la guerre d’Irak, l’aventure la plus désastreuse depuis celle du Vietnam, tandis qu’un stratège favori de Hillary Clinton, Sullivan, était impliqué dans la débâcle libyenne qu’il considéra comme un exemple de la ''doctrine Clinton'' qui mena la Libye dans un violent chaos», nous apprend-elle encore.

Le professeur à l’université de Johannesburg et militant des droits humains le Sud-africain Salim Vally explique très bien, dans l’interview reprise par la revue NAQD, les ressorts profonds de l’attaque du 7 octobre 2023. «De nombreux commentateurs occidentaux ont attribué à tort ces attaques à l’influence iranienne sur le Hamas et à l’évolution de la dynamique régionale, notamment à un probable processus de normalisation avec l’Arabie Saoudite à la suite des accords d’Abraham avec le Maroc, Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Soudan», dit-il, avant de préciser : «Le point de vue selon lequel l’action du Hamas, malgré son ingéniosité et son audace, s’apparente au soulèvement du ghetto de Varsovie contre un adversaire beaucoup plus puissant sur le plan militaire, est plus convaincant.»

Et d’argumenter : «Les facteurs les plus probables qui ont contribué aux attaques du 7 octobre sont l’étranglement de Ghaza depuis 17 ans et la probabilité d’un sixième bombardement de Ghaza depuis 2007, l’expansion des colonies, le fait que l’Etat israélien permette des pogroms de colons de plus en plus violents en Cisjordanie et à Jérusalem, la profanation fréquente de l’enceinte d’Al Aqsa et l’augmentation des arrestations et des mauvais traitements infligés aux prisonniers politiques palestiniens, y compris les enfants.»

 

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