Théories du genre / Le faible suspense dans le cinéma algérien

11/08/2024 mis à jour: 08:35
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Phobies Islem Guerroui : séquence du film d’horreur de Islem Guerroui, Phobies, sorti en 2021 ou comment filmer un cauchemar quand il est vrai photo : dr

Entre comédies et drames, genres de films produits en grande quantité, il y a deux concepts très algériens qui résument le défi du cinéaste, la frontière entre la bsala et le rire est étroite, tout comme celle entre la tristesse et la leguia. 

Ce qui n’empêche pas les producteurs de tenter encore de faire rire ou pleurer pendant que d’autres restent campés sur des genres devenus classiques, films de guerre historiques et biopics sur la guerre d’indépendance, thrillers ou films policiers (enquêtes où les gentils policiers attrapent toujours les méchants), sur l’immigration (citons quand même le bon Ali au pays des mirages de Ali Rachedi sur un scénario de Rachid Boujedra), films témoignage (sur la décennie terroriste), road movies dramatiques (l’excellent Soula) ou psychologique (le tout aussi bon Abou Leïla), et plus rarement fantastique (Kindil el bahr), encore plus rarement d’horreur, (à signaler Une main pour une sorcière, de Achour Kessai avec Biyouna mais avec peu d’effets spéciaux pour une œuvre qui reste au fond un drame sociétal). 

Ce qui est anormal pour ce dernier genre, là où tout le monde en Algérie croit aux fantômes, aux sortilèges, aux jnouns et aux possessions avec ces exorcistes qui existent à chaque coin de rue dans la vie mais jamais au cinéma. L’exception qui confirme la règle est comme souvent dans le court-métrage et sans doute avec le jeune Islem Guerroui qui en sorti 3, Iqra, thriller psychologique de 5 mn (2014), Little Family, horreur (2019) sur une veuve trouvant une lettre de son mari officiellement mort qui lui demande de jouer à un jeu pour le revoir, et surtout Phobies (2021) sur une jeune fille qui se réveille en pleine nuit pour vivre un cauchemar éveillé, tous 3 disponibles sur Youtube. Enfin, pas de science-fiction toujours (trop cher), à part le bon court métrage Moins 1 de Hamza Choutri (voir El Watan du 28/04) présenté au dernier festival de Annaba. 


L’inspecteur Tahar va-t-il attraper le bandit La souris ? 

C’est la théorie du genre, on ne fait des comédies et des drames que pour des raisons de budgets faibles, pas de biopic par exemple sur les grands sportifs, alors qu’une œuvre sur la vie de la boxeuse Imane Khelif serait la bienvenue, et ces grands manques dans le cinéma algérien, comme les films politiques (du style Designated survivor, ce qui correspondrait bien au pays) ou de séries politiques (House of cards) encore moins, la censure emmenant tous les réalisateurs vers d’autres directions moins problématiques. Du suspense ? Très peu. 


On le devine en Algérie avec le concept du cinéma réservé aux familles, en général la fin du film est plus ou moins attendue, sans véritables points d’inflexion ou de rebondissements, avec un happy-end prévisible en conformité avec les valeurs de Novembre et les constantes de l’Islam, ou le contraire. Les films à énigmes sont d’ailleurs assez rares, et les séries à suspense avec des cliff hangers (ces événements en fin de partie qui ouvrent une nouvelle intrigue ou révélation destinée à pousser le spectateur à voir le prochain épisode) tout aussi peu nombreux. 

Une faible part accordée au suspense et l’on savait déjà que l’Inspecteur Tahar allait attraper La Souris alors que Tom n’attrape jamais Jerry, même avec du fromage, ce qui finalement n’est pas affaire de budget (même si le fromage est cher) qui pousserait les réalisateurs à faire des comédies, des drames ou des films à la tristesse infinie demandant peu de moyens financiers. Puisque l’on peut faire un film de suspense en huis clos à la Hitchcok, l’un des maîtres du genre, comme Buried de l’Espagnol Rodrigo Cortès (2010) qui se passe entièrement dans une tombe filmée de l’intérieur. «La crise du cinéma est une crise de scénaristes», explique un spécialiste, c’est-à-dire un problème d’imagination ou d’audace à l’écrit, les producteurs n’ayant d’autre choix que de prendre ce qu’il y a tout en refusant de financer les talents du moment ou de s’aventurer vers de nouvelles pistes. 

En réalité, le plus grand suspense dans le cinéma algérien est lié à la commission d’attribution de budgets pour les films. Qui seront les heureux élus et qui seront écartés ? Avec le deuxième suspense en double lecture, qui seront les membres de la prochaine commission ? 
 

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