Théâtre régional d’Oran : L’«Armée mexicaine» de Rachid Taha envahit la scène

24/06/2024 mis à jour: 02:07
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Les musiciens qui accompagnaient Rachid Taha, jeudi, au TRO

L’ombre de Rachid Taha (1958-2018) a plané jeudi sur la scène du Théâtre régional d’Oran, le temps d’un concert événement organisé à l’initiative de l’Institut français et concocté spécialement pour lui rendre hommage.
 

y a d’abord les lieux qui gardent en écho son passage en 2006. Il y a ensuite cette mémoire entretenue par ses compagnons de route, notamment le «mondoluthiste» Hakim Hamadouche qui était là avec lui à ce moment-là et qui en parle encore aujourd’hui. 

Il est en quelque sorte et par la force des choses, du moins à l’occasion, le lieutenant de cette «Armée mexicaine» dont  le concept consiste à mettre en relation ses anciens musiciens (comme le bassiste Idriss Badarou, un Parisien originaire du Bénin ou alors le claviériste Kenzy Bouras et le batteur Franck Montegari) avec des invités venus d’horizons divers pour raviver la flamme et maintenir un tant soit peu son héritage artistique. Parmi les musiciens présents sur scène, on note également la participation du guitariste Yan Pechin qui a accompagné plusieurs chanteurs français, dont Alain Bashung. 

Côté invités, le chanteur Julien Jacob fait partie du lot de ceux qui avaient eu à collaborer avec lui. D’autres n’ont pas pu effectuer le déplacement. Une  chanteuse de la nouvelle génération d’origine tunisienne, Nawel Benkraiem, complète la liste. Ce sont donc les éléments qui forment à Oran cette «Armée mexicaine», une initiative née au lendemain de la disparition du célèbre chanteur algérien installé en France depuis l’âge de 10 ans et qu’on tente de maintenir ici. 

Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est avec un rythme égyptien que le groupe a ouvert le bal et c’est sans doute un clin d’œil aux parents de l’artiste, notamment le père, un immigré de la première génération à l’époque où la chanson du pays des pharaons jouissait encore d’un prestige au Maghreb. Mais c’est aussi une expression de cet esprit d’ouverture qui l’a toujours caractérisé. C’est en tout cas une occasion pour les musiciens de montrer ce qu’ils savent faire avant d’entrer dans le vif du sujet, Rachid Taha étant connu pour ses ambiances hautement festives. 
Le public présent n’en espérait pas tant et ce sera chose faite d’abord avec le titre Je suis Africain, interprété à l’occasion par Julien Jacob, un des morceaux du dernier album (le dixième de sa carrière solo) sorti après sa mort.  

Un mélange subtil des différentes variantes musicales africaines allant, comme c’est d’ailleurs dans le texte,  du Nord au Sud du continent. La chanson traduit à elle seul un certain panafricanisme en revendiquant un vaste panel de personnalités locales du monde de la littérature ou de la philosophie (Kateb Yacine, Aimé Césaire ou Jaques Derrida), du combat pour l’émancipation politique (Lumumba, Sangara), de la musique outre atlantique (Bob Marley, Jimmy Hendrix), de la lutte pour les droits (Angela Davis), etc.  Justement, du nord de l’Afrique, Nawel Benkraiem a eu l’occasion d’enchaîner trois morceaux, dont Alabas Ayli Alabas du patrimoine traditionnel marocain composé à l’origine par la surnommée Cheikha Kharboucha (fin 19e).  

Du répertoire traditionnel algérien, Bent Sahra, une des anciennes «ksayed» du chanteur de la steppe, spécialiste du genre «Ayèye»,  le célèbre Khelifi Ahmed a été repris avec un esprit dont seul Rachid Taha a le secret. Mais l’émotion a été à son comble lorsque le groupe interprète Yamess et ses paroles significatives sorties de la bouche de Hakim Hamadouche : «Yamess kan mâaya… (Hier, il était avec moi….)» et proposant une pensée à tous les amis perdus. Il y a un temps pour tout et la fête finit toujours par prendre le dessus et c’est le cas avec Ya rayah (un chaâbi de Dahmane El Harrachi), un des tubes qui lui avaient réellement ouvert la voie de la célébrité internationale. On imagine aisément l’ambiance dans le public, tenu également en haleine par nombre d’autres titres performés par ce groupe qui refuse la fatalité en tentant de ne pas laisser s’éteindre la flamme quitte parfois à réarranger les compositions.  Un refus d’oublier par opposition à Ansit, l’autre chanson du même dernier album interprétée pour entretenir cette mémoire. «Un jour Rachid m’a demandé de lui composer une musique qui tiendrait de Jimmy Hendrix et des Beatles et sur laquelle il devait mettre ses mots», raconte le «mondoluthiste», avant d’entonner un pop-rock à la sauce maghrébine. 

C’est dire l’étendue du registre des influences, ce qui transparaît par ailleurs dans l’apport du guitariste qui trouve un champ libre pour expérimenter une palette de jeux et d’effets sonores. Rock the Casbah (album Tékitoi), emprunté au groupe anglais The clash et remodelé à son goût fait toujours sensation. Même chose pour le titre «voilà voilà», un succès de l’année 1993 flirtant avec la techno et son rythme saccadé et redondant en vogue à l’époque. 

Il faut dire que Rachid Taha est inclassable pour avoir le chic de s’immiscer dans les styles au gré de ses errances, un péché originel qui remonte aux années 1980 lorsque, déjà avec son groupe Carte de Séjour, il a eu l’idée d’infuser un peu de tonalité maghrébine dans la «Douce France» (dixit Charles Trenet). Une double appartenance qu’il a fini par assumer.    
 

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