Tenue d’élections en Libye : Abdoulaye Bathily met sur la table un nouveau projet

16/11/2023 mis à jour: 04:19
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Abdoulaye Bathily

Abdoulaye Bathily, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU en Libye, s’apprête à lancer une nouvelle initiative pour préparer les élections en Libye, un vœu pieux qui ne parvient pas à se réaliser depuis les accords de Sekhirat, en décembre 2015. 

M. Bathily a rencontré l’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar, le président du Parlement, Salah Aguila, le président du Conseil supérieur de l’Etat, Mohamed Takala, le président du Conseil présidentiel, Mohamed El Menfi, et le chef du gouvernement d’Union nationale, Abdelhamid Dbeiba, qui sont tous d’accord sur la tenue des élections. 

L’envoyé de l’ONU a fait une intervention dans ce sens par visioconférence devant le Conseil de sécurité, le jour du renouvellement du mandat de la Manul, fin octobre dernier. Toutefois, les différents acteurs libyens, d’accord sur la tenue des élections, disposent d’intérêts en Libye, que ces élections risquent de contrarier. 

Et c’est, semble-t-il, la raison pour laquelle les divers intervenants dans la crise libyenne sont toujours d’accord sur la tenue d’élections… sans jamais aller au concret. C’est également le cas des puissances étrangères. Des centaines de réunions entre des décideurs libyens se sont tenues après l’accord de Sekhirat, en décembre 2015, et plusieurs dates ont été annoncées pour les élections (2016, 2017 et 2019). La dernière était prévue pour le 24 décembre 2021. 

Pour cette dernière, les listes électorales ont été remises à jour et les candidatures ont été ouvertes ; des candidats se sont même présentés, avant que tout ne tombe à l’eau. Les raisons sont connues, selon les observateurs. «Tenir des élections, c’est priver ces milliers de notables décideurs, députés des deux Chambres, membres des deux gouvernements et des différents conseils et des dizaines de milliers de miliciens de leurs avantages substantiels qu’ils cumulent depuis plus d’une décennie, pour certains», remarque le politologue universitaire libyen Jalel Harchani, basé à Misrata, à 200 km à l’est de Tripoli. Le politologue croit «dur comme fer» que «la prochaine initiative de Bathily ne dispose pas de conditions minimales pour réussir, à savoir la centralisation du pouvoir sécuritaire et administratif, pour garantir la reconnaissance des résultats». 

C'est le même son de cloche à Benghazi, où le juge libyen Jamel Bennour assure, lui-aussi, que «les élections, c’est un rêve poursuivi par le Libyen lamda, qui voit sa situation en éternelle régression. Mais, les diverses autorités, aussi bien politique, administrative et sécuritaire, cherchent à perpétuer la situation existante». 

Pour Jamel Bennour, «sans résoudre la problématique de centralisation de l’autorité sécuritaire, financière et administrative, des élections indépendantes ne pourraient pas se tenir».Cet avis est, par ailleurs, partagé par le commun des Libyens. 

La journaliste Najeh Laajili assure à El Watan que «les Libyens ne croient plus en ces politiciens et qu’il y a un besoin de rajeunir la classe politique pour tourner la page des divergences entre l’Est et l’Ouest». Elle est convaincue qu’une bonne majorité des Libyens regrette l’ère Al Gueddafi. Elle assure que «les puissances étrangères sont satisfaites de l’équilibre actuel, garanti par leurs milices respectives. Pourquoi changer une équipe qui gagne ?»

Chaque partie libyenne renforce donc ses positions. Les étrangers ne trouvent rien à redire puisque le pétrole coule à flots. 
 

Dessous 

La production libyenne a atteint 1,3 million de barils/jour. Et même les fonds du pétrole, de retour en Libye, servent à faire rouler les entreprises étrangères impliquées dans la reconstruction promise. Italiens, Britanniques et, même, Français se répartissent l’extraction pétrolière. Les Russes ont commencé à pénétrer avec un champ à Gharyane, en phase d’essai. Le bâtiment et les routes sont accordés aux Chinois et aux Turcs. Tunisiens et Egyptiens se limitent à des échanges commerciaux pour approvisionner le marché libyen. 

La manne financière et économique tourne à la vitesse supérieure puisque tout le monde y trouve son compte, les étrangers et les divers belligérants locaux. Le seul perdant, c’est le peuple libyen, qui a vu son pouvoir d’achat dégringoler depuis le début de la scission, de fait, du pays en 2014. Le dinar libyen (DL) a perdu les trois quarts de sa valeur. Le dollar est passé de 1,3 DL en juin 2014 à 5 DL en ce moment, sans qu’il n’y ait de véritables augmentations de salaires. Depuis octobre 2020, les belligérants libyens ont certes arrêté de s’entretuer. 

C’était juste pour garder leurs avantages respectifs. Mais, sur le terrain, rien n’a vraiment changé. L’autorité sécuritaire et administrative n’est pas centralisée en Libye. Il y a toujours deux gouvernements, Un à l’Est, celui de Hammed, protégé par Haftar. L’autre à l’Ouest, celui de Dbeiba, protégé par diverses milices.

 L’autorité du chef du gouvernement d’Union nationale, Abdelhamid Dbeiba, ne dépasse pas les limites de son cabinet gouvernemental. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler les événements de fin octobre dernier à Gharyane, 100 km au sud de Tripoli. Les notables de Gharyane sont parvenus en moins d’une matinée à une réconciliation entre deux milices pro-Dbeiba, la force de renforcement de la stabilité et le régiment 444, qui en sont arrivés à l’artillerie lourde ; lequel accord, Dbeiba et son cabinet militaire élargi ne sont pas parvenus à conclure. 

Et le pire, c’est que Dbeiba et les autres belligérants sont en train, chacun de son côté, de renforcer leurs capacités militaires. Ainsi, il est clair que l’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar, et après sa visite à Moscou et sa rencontre avec Poutine fin septembre dernier, s’oriente vers un accord militaire avec la Russie. 

Haftar veut surtout améliorer le niveau opérationnel de ses troupes et moderniser ses ports et ses aéroports, afin de rivaliser avec les forces rivales de l’Ouest, soutenues par la Turquie. Haftar ne veut plus compter uniquement sur l’apport de mercenaires. L’intervention des drones turcs l’a empêché de s’emparer de Tripoli en 2019. 

Pour ce qui est de Dbeiba, il ne détient en ce moment que l’autorité sur les forces maniant les drones turcs et il veut développer son potentiel militaire par une garde républicaine, pour le soutenir si jamais le Parlement et le Conseil supérieur de l’Etat décident de le déloger. Toutes ces manœuvres ont lieu au vu et au su du monde. Autrement dit, la Libye se fragmente toujours un peu plus. 

 

Tunis 
De notre correspondant  Mourad Sellami
 

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