Témoignage d’un Algérien en Ukraine : «Comment j’ai pu fuir Kiev…»

03/03/2022 mis à jour: 04:03
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«Des scènes vraiment difficiles à décrire. C’est un véritable cauchemar.  Nous avons passé des heures et des heures à faire la queue au poste frontalier, où des policiers nous poussaient, parfois avec des matraques.» / Photo : D. R.

«Nous avons marché des heures et des heures pour arriver au poste de police de la frontière polonaise, où nous avons subi d’éprouvantes attentes et des bousculades. Des scènes vraiment difficiles à décrire», raconte notre interlocuteur.

Il s’appelle Younès Ouharchaou. Il est étudiant à Kiev, où il travaille parallèlement pour subvenir à ses besoins. Ce jeune originaire de Tigzirt, dans la wilaya de Tizi Ouzou, a, dit-il, vécu, avec d’autres étudiants algériens, l’enfer pour fuir l’Ukraine. Il a passé, raconte-t-il, des moments difficiles dans sa mésaventure. «J’étais dans une ville relevant de Kiev. Avec la situation actuelle, elle est devenue une zone très sensible où le risque est omniprésent, car elle n’est pas loin de l’aéroport militaire», nous confie-t-il.

«J’étais avec des amis. J’habite avec trois autres Algériens, originaires  de Tizi Ouzou, Boghni et Tiaret. Le premier jour de l’action militaire russe en Ukraine, à 4h du matin, nous avons entendu le bruit des explosions. L’immeuble a presque vacillé, on aurait dit un séisme. Puis, nous nous sommes levés pour voir ce qui se passait. Nous avons vu un mouvement inhabituel. Des gens fuyaient leurs maisons. Juste quelques minutes après, d’autres déflagrations ont suivi. Finalement, il y a eu des bombardements à proximité de l’aéroport militaire. Une heure après, vers 5h, tout le monde est sorti et courait vers d’autres directions. L’essentiel était de fuir cette localité exposée au danger», nous raconte notre interlocuteur, qui nous précise que, la veille, il n’y avait aucun signe avant-coureur de ce qui allait se passer.

«Aucun signe avant-coureur de ce qui allait se passer»

«J’ai travaillé jusqu’à 23h. Rien ne présageait ce qui s’est passé jeudi. La ville était paisible. Des magasins et superettes sont restés ouvert jusqu’à tard dans la nuit. Les bus de transport nocturne faisaient leurs navettes vers les différents quartiers de la ville. Je suis rentré sans aucun souci. Même l’ambiance au travail était sereine. Les gens voyaient le conflit russo-ukranien, certes, comme une menace, mais pas au point de vivre le cauchemar de cette journée fatidique. 12 heures avant, tout le monde vaquait à ses préoccupations quotidiennes», témoigne-t-il avant de nous faire faire le récit de son déplacement cauchemardesque, dit-il, en relatant, avec beaucoup de détails, ce qu’il a, avec ses amis, vécu durant son long trajet jusqu’à Paris.

«Le déplacement était très difficile. Il y avait d’autres étudiants algériens qui habitaient dans la même ville. Je les ai contactés pour venir nous rejoindre dans le quartier afin de décidé comment quitter rapidement la ville, qui est vraiment exposée au danger. Nous avons ensuite décidé de partir, surtout que nous avons vu que même des Ukrainiens prenaient la fuite. Vers 14h, nous sommes sortis pour rejoindre à la capitale, Kiev, via un fourgon de transport, pour nous déplacer ensuite à Leviv, qui est située à 75 kilomètres de la frontière polonaise.

Mais, finalement, tout était à l’arrêt. Il n’y avait pas de transport. Nous avons pris la direction de la gare ferroviaire pour partir directement à Leviv sans passer par la capitale. Mais, nous avons trouvé une foule immense devant les guichets, fermés à 18h. Donc, il n’y avait plus de vente de tickets. Nous avons donc décidé, à quatre, de prendre le train  sans billet. Les autres étudiants n’ont pas voulu prendre le risque. Mais, à l’entrée du quai, il y avait des contrôleurs qui nous ont refusé l’accès étant donné que nous n’avions pas de ticket. Nous avons donc attendu le deuxième train jusqu’à 1h du matin pour pouvoir monter miraculeusement dans la rame», ajoute Younès.

Billet de sortie de 53 jours

«En arrivant à Leviv, nous avons trouvé des taxis, mais le prix du déplacement vers un village, pas loin de la frontière, est excessivement cher. Les chauffeurs de taxi nous demandaient 450 dollars pour une courte distance. Après une petite attente, nous avons réussi, grâce à une application mobile, à trouver un taxi qui nous a acheminés, pour 150 dollars, jusqu’à 25 kilomètres des frontières. Nous n’avons pas pris beaucoup de bagages et étant des sportifs, nous avons pu parcourir le trajet en peu de temps, contrairement à beaucoup de gens qui ont été obligés d’abandonner des valises et même les poussettes d’enfant sur leur chemin en raison de la fatigue.

Des scènes vraiment difficiles à décrire. C’est un véritable cauchemar. Nous avons passé des heures et des heures à faire la queue au poste frontalier où des policiers nous poussaient, parfois avec des matraques. Un étudiant, originaire de Bouzeguène (Tizi Ouzou),  et moi avons réussi, malgré les coups de matraque des policiers, à passer difficilement, mais les deux autres sont restés dans l’impressionnante file d’attente devant le poste frontalier, où nous avions passé 21 heures d’attente à subir les éprouvantes bousculades. C’était intenable. Nous avons encore passé environ quatre autres heures à la PAF de Pologne avant d’avoir un billet de sortie de 53 jours.»

Après, ce fut une sorte de délivrance, dit-il. «Nous avons trouvé des associations d’aide qui nous ont remis des cartes puces de téléphone, de la nourriture et même des vêtements. Nous avons pris le transport vers Varsovie. Nous étions contraints, donc, de passer la nuit à l’hôtel avant de prendre le bus Varsovie-Paris (27 heures). Ce n’est qu’en arrivant à Paris, accueilli par des amis, que j’ai ressenti un petit soulagement. Plus de trois jours d’intense galère. C’est vraiment éprouvant. Les deux autres étudiants qui étaient avec nous sont toujours coincés au poste-frontière. Je les ai appelés, ils  m’ont dit qu’il est quasiment impossible de passer la frontière», raconte-t-il.

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