Technologies et énergies nouvelles, enjeux géostratégiques et macroéconomiques mondiaux

02/07/2023 mis à jour: 03:08
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Cet article analyse la montée de l’énergie et des technologies contemporaines nouvelles comme enjeux de compétition et de fortes rivalités entre puissances. Pour ce qui est de l’Algérie, la baisse tendancielle de la demande en pétrole et la montée d’un processus de fragmentation géoéconomique sont des contraintes qui doivent être prises en compte dans la stratégie de construction d’un nouveau modèle économique et social (basé sur une production diversifiée et une consommation inclusive) et d’intégration aux chaînes de valeur mondiales en pleine transformation. Ce qui pose le problème d’une feuille de route détaillée, cohérente et globale qui concilie objectifs stratégiques internes et réalités internationales incontournables.

Dans un monde en pleine restructuration et en quête désormais d’une croissance saine et inclusive, l’énergie et les technologies sont au centre d’enjeux stratégiques considérables. 

Ces facteurs de production sont en train d’émerger en tant que tels en raison :

 (1) du besoin croissant pour de nouvelles formes d’énergie non polluantes; (2) du rôle central des technologies au niveau des grands pays avancés en réponse à la fragmentation géopolitique actuelle, au processus de vieillissement des populations et à la décarbonisation en cours accélérée par la guerre en Ukraine et (3) du fait que les matières premières qui sont en train de devenir des ressources rares, inégalement réparties à travers le monde et instrumentalisées pour des raisons politiques. Eléments vitaux dans la vie des citoyens du monde, l’accès à ces trois facteurs de l’économie mondiale est devenu un enjeu de compétition et une source de fortes rivalités entre puissances. Pour ce qui est de l’Algérie, la baisse tendancielle de la demande de son principal produit d’exportation et la montée d’un processus de fragmentation géoéconomique sont des contraintes qui doivent être prises compte dans la stratégie de construction d’un nouveau modèle économique et social (basé sur une production diversifiée et une consommation inclusive) et d’intégration aux chaînes de valeur mondiales en pleine transformation. D’ores et déjà se pose donc le problème d’une feuille de route détaillée, cohérente et globale qui concilie objectifs stratégiques internes et réalités internationales incontournables. 

Discutons de ces points. 

Innovation et nouvelles technologiques, enjeux de compétition entre quelques puissances : Omniprésente dans la vie moderne actuelle, la technologie ne cesse de progresser depuis deux décennies dans de nombreux domaines et de reconfigurer nos habitudes de travail et de vie. Non sans surprise, l’innovation et la maîtrise des nouveaux produits technologiques sont au centre de la rivalité Etats-Unis-Chine tandis qu’elles marquent également la montée en puissance de l’Asie de l’Est (Corée du Sud, Inde, Japon, et Taiwan). Les principales technologies en progrès comprennent les biotechnologies contemporaines (affectant de nombreux aspects de la vie), la médecine 3.0 (boostée par la robotique, les nanotechnologies et l’intelligence artificielle), la géo ingénierie (lutte contre le changement climatique), le blockchain (lieu d’échanges économiques impliquant tous les membres d’un réseau donné et favorisant une émission automatique de contrats interdépendants), l’industrie 4.0, les nouvelles énergies (pour supplanter les énergies fossiles) et l’intelligence artificielle. Les nations à la pointe de ces différentes innovations se comptent sur le bout des doigts. Les progrès réalisés sont déjà significatifs et promettent d’être encore plus marquants. En même temps, ces nouvelles technologies posent des problèmes d’éthique et sont porteurs de risques divers qui demandent un encadrement juridique le plus rapidement possible.   
 

Les nations à la pointe de l’innovation technologique : 

(1) Les Etats-Unis : C’est d’abord et avant tout (i)  l’incontestable vigueur de l’écosystème d’invention aux Etats-Unis ; (ii) un budget de recherche et développement colossal de $656 milliards (contre $442 milliards pour la Chine) et en croissance continue ; (iii) un partenariat efficient avec le secteur privé ; et (iii) une politique technologique guidée par trois principes directeurs clairs : (i) atténuer les vulnérabilités américaines ; (ii) dépasser les rivaux et (iii) ralentir la progression des adversaires claire américaine. 

En 2022, cinq des plus grandes entreprises technologiques étaient américaines et le classement mondial des universités dominé par les institutions américaines ; (2) La Chine : Avec sa remarquable montée en puissance depuis le milieu des années 2010, son ambition est de rattraper et dépasser les Etats-Unis. 

Cette ambition est alimentée par des plans de développement technique et scientifique successifs, dont le dernier en date est le plan Made in China 2025 en place depuis 2015 visant une autosuffisance technologique et une influence sur le paysage technologique de demain et (3) L’Inde, le Japon, la Corée du Sud et Taiwan qui se sont dotées d’orientations politiques et industrielles visant une souveraineté numérique et une émancipation par rapport à la Chine et aux Etats-Unis afin de bâtir des capacités nationales. 
 

L’intelligence artificielle (IA) : Le renforcement des capacités de calcul et d’accessibilité à des données massives ces deux dernières décennies ont fait faire un bond à la recherche dans certains domaines de l’IA, permis la commercialisation de nouveaux produits et ouvert la voie à de formidables potentialités. Ces dernières sont donc devenues un enjeu stratégique pour certains grands pays ainsi que les géants de la technologie et du numérique. Les outils d’IA actuels ont déjà fortement impacté la façon dont le monde travaille et conduit ses affaires en raison de la rapidité et de l’efficacité d’exécution de nombreuses tâches hors de portée pour les humains. 

Trois types d’IA à retenir : 

L’intelligence artificielle étroite (IAE) : 

Premier niveau atteint à ce jour (sans vocation à imiter ni reproduire l’intelligence humaine). L’IAE est : (1) orienté vers un but précis, à savoir accomplir les tâches uniques (sur la base de données et dans des contextes précis) pour laquelle elle est programmée ; (2) ancrée sur l’utilisation du traitement du langage naturel pour effectuer des tâches, y compris la parole et le texte en langage naturel et (3) programmé pour interagir avec les humains de manière naturelle et personnalisée. Les exemples d’IAE incluent la reconnaissance faciale, les assistants vocaux, la conduite d’une voiture, la recherche sur Internet, les filtres anti-spam pour les courriels et les outils de surveillance des médias sociaux avec contenus dangereux. 
 

L’intelligence artificielle générale (IAG) : Est une autre phase impliquant cette fois une machine dotée d’une intelligence générale qui imite l’intelligence et/ou les comportements humains, avec la capacité d’apprendre et d’appliquer son intelligence pour résoudre tout problème. L’IAG peut penser, comprendre et agir d’une manière indiscernable de celle d’un être humain dans une situation donnée. Le monde n’en est pas encore là.
La super intelligence artificielle (SIA) : est la forme poussée d’IA hypothétique qui ne se contente pas d’imiter ou de comprendre l’intelligence et le comportement humains. Elle est bâtie sur le concept de machines devenant conscientes d’elles-mêmes et dépassant la capacité de l’intelligence et des aptitudes humaines. 
 

Les dangers des nouvelles technologies et le besoin de les encadrer: Si l’IA est désormais une partie intégrante de la vie des citoyens (notamment le Chat GPT récent), elle est toutefois porteuse également de risques divers dont: 

(1) la génération d’informations incorrectes (les bases de données de Chat GPT sont antérieures à 2021 ce qui sème le doute sur la véracité des réponses qui peuvent conduire à des décisions stratégiques erronées, etc..) ; (2) la disparition de nombreux métiers qualifiés (traducteur, mathématicien ou analyste financier). Les experts estiment que près d’un quart des travailleurs pourraient être menacés par ces nouvelles technologies aux Etats-Unis et en Europe et plus de 250,000 emplois seraient en danger à travers le monde ; (3) la crainte que l’IA puisse dépasser l’humain qui l’a créée. A généraliser le recours de l’humain à l’IA pour répondre à toutes les problématiques auxquelles il doit faire face, pourrait alors réduire sa propre capacité à penser et à réfléchir ; (4) la diffusion de fausses nouvelles (fake news) à grande échelle  et (5) une exploitation à des fins criminelles des outils de l’IA pour des motifs criminels (usurpation d’identité, falsifications de support audiovisuels, fuite de données, robots tueurs, etc.). Les gouvernements des pays avancés sont conscients de ces impacts négatifs et également des problèmes d’éthique que commence à poser l’usage de l’IA. 

Des réflexions sur les questions de sécurité de l’IA ont déjà commencé et des principes directeurs ont été dégagés pour lutter contre les dangers potentiels de la technologie. 

L’industrie 4.0 ou la 4e révolution industrielle. Cette dernière signifie tout simplement une industrie dont le fonctionnement s’appuierait sur des équipements connectés, des produits intelligents et une interconnexion avancée entre entreprises et consommateurs. 
 

La transition vers le modèle 4.0 rencontre un certain nombre d’obstacles sur les plans technique, économique, organisationnel, social et politique. Citons à cet effet le besoin de nouvelles politiques industrielles nationales favorisant la modernisation des secteurs industriels, leur montée en puissance, l’amélioration de la compétitivité et la prise en charge d’enjeux environnementaux et sociaux. Par ailleurs, l’industrie 4.0 implique un certain écosystème reposant sur de grandes capacités en termes de réseau, de cybersécurité et de centralisation des données (y compris au niveau du cloud), des ressources humaines de haut niveau et des processus industriels bien rodés. Cette industrie 4.0 n’est pas à la portée de n’importe quelle nation.  

Les enjeux technologiques post-hydrocarbures. De nouveau, le problème fondamental est celui de l’accès sécurisé aux ressources énergétiques nouvelles, ce qui les place au centre d’enjeux politiques. La guerre en Ukraine vient de rappeler brutalement les risques incalculables d’une trop grande dépendance à l’encontre d’un pays tiers. En conséquence, l’Europe cherche désormais à se passer de la Russie (hydrocarbures classiques) et à accélérer la transition vers de nouvelles énergies non polluantes. Dans ce dernier domaine, la Chine a pris de l’avance et a acquis la stature de géant actuel de la transition énergétique. 

Cela inquiète l’Europe et fait émerger une autre dimension de la géopolitique de l’énergie car les besoins d’un nouveau type de ressources indispensable au développement des technologies de la transition énergétique sont nombreux. Tandis que la Russie perd son levier de pression sur l’Europe et vend désormais au rabais son pétrole et son gaz en Asie, l’Europe se tourne vers d’autres partenaires, le Moyen Orient s’affranchit de la tutelle américaine et les grandes nations s’activent pour façonner un nouveau système énergétique mondial à leur avantage. 

Les nouvelles technologies post hydrocarbures vont fortement influencer la transition énergétique, faciliter le retour au nucléaire (avec la mise en place de petits réacteurs plus avancés) et encourager un développement massif de l’hydrogène.  
 

Le cas de l’Algérie : Le pays est à la croisée des chemins face à des choix difficiles mais incontournables dans le contexte d’un monde en plein bouleversement géostratégique, technique et financier. Les grandes lignes de lecture sont les suivantes :
 

•L’objectif stratégique à long terme du pays est de construire un nouveau modèle économique et social pour faire face à trois défis : 

(1) le défi démographique à l’horizon 2050 et ses implications en termes de croissance, emplois et autres besoins divers ; (2) le défi économique lié à l‘obsolescence du modèle rentier actuel qui ne correspond plus aux besoins actuels et futurs du pays et est en déphasage avec le reste du monde et (3) le défi de la transition énergétique mondiale qui sera, autant que faire se peut, accélérée dans le contexte actuel de fragmentation géostratégique. 
 

•La réalisation de cet objectif stratégique exigera beaucoup d’efforts et de temps et surtout des financements externes volumineux. 
 

Ces derniers doivent être mobilisés auprès de tous les partenaires bilatéraux, régionaux et multilatéraux. Si la qualité et la crédibilité de la stratégie de réformes est cruciale, la densité et la profondeur des liens avec tous les partenaires est tout également un facteur de succès dans cette entreprise de reconstruction économique. 
•Cette reconstruction devra miser sur les nouvelles technologies créatrices de fortes valeurs ajoutées.

 Il serait judicieux alors de mettre en place un écosystème favorable à leur implantation, notamment les capacités humaines et techniques de traitement en réseau de ces données qui doivent sous-tendre les nouvelles activités économiques et industrielles du futur. La technologie ne se greffe pas dans un contexte défavorable et inadéquat. 
L’expérience des transferts de technologie des années 1970 est source d’enseignement sur ce qu’il faut faire et ne pas faire. 
 

•Comme nous l’avions souligné à maintes reprises au risque de devenir inaudible, le nouveau modèle économique et social passe de façon incontournable par le rétablissement des fondamentaux macroéconomiques. 
Ces derniers créeront les conditions favorables pour la mise en œuvre de réformes structurelles globales et cohérentes destinées à accroître la diversité et les volumes de production et également des politiques sectorielles, notamment celles favorisant les activités à haute valeur ajoutées permises par une maîtrise des nouvelles technologies. Ces politiques doivent s’inscrire dans une vision favorisant l’ouverture, la bonne gouvernance et le mérite.  

 

Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international
 

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