Tahar Djaout, ne rien oublier

27/05/2023 mis à jour: 00:43
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Il y a trente ans, de ce jeune homme, sans apparence particulière qui avait toqué à la vitre de sa voiture, Tahar Djaout était loin de se douter que c’était un tueur qui exécutait un contrat commandé par des individus organisés et déterminés. 

Ils appartenaient au FIDA, une organisation terroriste fondamentaliste et fanatisée qui inscrivit le journaliste en tête d’une longue liste d’intellectuels à faire disparaître par balle ou par l’épée. Des centaines de personnes furent froidement exécutées, parmi elles une soixantaine activant dans les médias. 

La décennie 1990 allait être la plus terrifiante période de l’Algérie contemporaine, de larmes et de sang, un pays désarticulé, une société déchirée et traumatisée dans une indifférence totale de l’opinion publique internationale et une immense lâcheté des gouvernants mondiaux de tous les coins du monde, y compris arabo-musulmans. Ils organisèrent le black-out total de l’Algérie, à leur tête la France mitterrandienne qui misa sur le FIS, mais sans se douter que le pays allait voir ressurgir son plus précieux ressort historique, qui est la résistance populaire. 
 

Dupés une fois, début des années 1990, à la faveur d’un scrutin électoral surréaliste, les Algériens ne pouvaient l’être une seconde fois, c'est-à-dire se soumettre à la volonté d’une poignée d’individus cherchant à renverser l’ordre républicain au bénéfice d’un Etat théocratique. Leur modèle modelé était l’Afghanistan, d’où venaient des centaines d’individus fanatisés, désignés comme émirs à la tête d’escadrons de la mort agissant sur tout le territoire national, n’épargnant ni femmes ni enfants avec un seul mot d’ordre «se soumettre ou périr». 

Mais une fois passée la stupeur, les villageois dirent non, s’organisèrent en groupes d’auto-défense, traquant partout les terroristes aux côtés des services de sécurité. Dans les villes et villages, les mots d’ordre de grève et de désobéissance civile furent rejetés. 

Les fonctionnaires et les travailleurs des entreprises rejoignirent chaque matin leur travail, souvent au prix de leur vie. Un car de ramassage de jeunes enseignantes près de Sidi Bel Abbès fut mitraillé et toutes ses occupantes tuées. Puis ce fut l’horreur absolue à Bentalha et à Raïs et autres lieux, des carnages collectifs qui horrifièrent tout le pays et déclenchèrent un premier déclic à l’échelle internationale sur la réalité du terrorisme en Algérie. 

Le second allait être les attaques d’Al Qaîda des deux tours jumelles de New York, qui firent comprendre que l’Algérie n’était pas un laboratoire isolé de l’extrémisme, mais bel et bien un maillon d’une chaîne qui allait toucher le monde entier, y compris l’Occident, avec un terrifiant aboutissement qui est Daech. La mobilisation internationale finit pas terrasser cette hydre, mais sans la faire disparaître totalement, y compris en Algérie, où une politique dite de réconciliation nationale allait réduire les maquis et pousser au repentir nombre de terroristes. 

Avec un coût élevé, le sacrifice du principe fondamental de «justice et vérité» a jeté un voile opaque sur toute la société algérienne. Qui sait si le jeune qui a tiré sur Tahar Djaout ainsi que ses commanditaires ont fini par être abattus ou si aujourd’hui, ils ne coulent pas des jours heureux quelque part, la conscience tranquille… 

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