On hérite du nom de son père mais pas forcément de sa voix ni même de son talent.
C’est certainement le cas pour Belaid (Alias Branis) qui, avec des musiciens qui l’accompagnent en ce moment, est venu se produire à Oran sur invitation de l’Institut français. Ce spectacle entre dans le cadre de la célébration du Nouvel An amazigh.
Rien à dire sur l’ambiance qu’il a su créer face au public, car sa tenue sur scène, sa bonhomie et ses aises font de lui, et à sa façon, un véritable artiste de divertissement. Cependant, depuis le temps qu’il exerce, on peut dire qu’il lui manque ce déclic qui fait qu’à un moment on doit s’affranchir de vivre (artistiquement s’entend) aux crochets de son paternel, Karim Sid, le leader du groupe les Abranis, dont il ne cesse de reprendre les innombrables «tubes» qui ont jalonné la longue carrière de cette formation datant de la fin des années 1960, qui s’est affirmée durant les années 1970, qui a survécu aux années 1980 et 1990. Mais infatigable, ce groupe a su renaître et poursuivre son aventure parfois avec des produits, comme l’avant-dernier album intitulé Rwayeh (2011), qui demeurent de qualité musicale remarquable, comme ce fut le cas, à titre d’exemple, en 1978 pour Imeti Tayri. A l'époque des Abranis, des groupes de pop ou même de pop rock il y en avait en Algérie, mais c’est en s’affirmant justement en dehors des tendances au mimétisme qui ont caractérisé bien d’autres qu’ils ont gagné les faveurs du public.
Des compositions originales et des chansons qui, même empreintes des influences du rock de l’époque, restent néanmoins enracinées dans la culture locale, ses rythmes mais aussi la caractéristique de ses mélodies.
Soirée festive
Dans le spectacle, à de très rares exceptions, à l’exemple d’une de ses propres chansons (Tamacahut, rythme reggae) du seul album qu’on lui connaît et datant de 2012, de deux adaptations libres et récentes de chansons de Georges Brassens, un hymne à l’amitié, de la reprise d’une chanson de Matoub Lounès (dont le style est tout autre mais qui reste à textes), on peut dire que le spectacle de Belaid est en quelque sorte une plongée dans cet univers qui, sans remonter aux origines, par exemple jusqu’à Ithri Lefjer (l’Etoile de l’aube), a permis de retracer quelques grandes lignes en fonction des époques et cela dès l’ouverture du bal avec le titre Ayul. Le titre Tawenza date du début des années 1980, mais d’autres sont plus récents, comme cette reprise du titre Adhfel qui ouvre l’album de 2011.
Certaines chansons sont explicitement dédiées à l’amour du genre rock’n’roll, mais d’autres expriment des préoccupations plus personnelles, à l’instar de Lynda, l’un des anciens plus grands succès du groupe. Mais, en général, la soirée était particulièrement festive, mettant en avant les morceaux les plus dansants d’un vaste répertoire qui reste encore à explorer et à redécouvrir. Le groupe est tellement ancien qu’il a fait partie du répertoire des Scopitones (aujourd’hui pièces de musée), ancêtre du vidéoclip (écoute de la musique avec images) et qui ont été populaires en France jusqu’aux années 1970.
L’une des deux chansons répertoriées dans ce contexte, intitulée El Mossika, Belaid en a d’ailleurs repris le riff pour une adaptation récente reprenant aussi le son orgue des synthés de l’époque, est interprétée de manière multilingue avec l’arabe, le berbère et le français notamment. C’était, paraît-il, en ce temps-là, une exigence du producteur pour des questions de rentabilité, toucher le maximum de publics, ce qui explique peut-être l’accompagnement en danse par les célèbres Claudettes. «Que tu rêves ou que tu t’ennuies, écoute la musique», chantaient-ils en chœur et on voit bien que dès le départ, la motivation est purement artistique, c’est-à-dire non engagée politiquement.
Ceci pour dire que malgré le succès et la qualité – mais là il faut se mettre dans les conditions de l’époque–, notamment chez eux en Algérie remplissant une salle comme l’Atlas (lieu de spectacle incontournable à Alger à l’époque), les Abranis ont dû patienter jusqu’en 1981 pour enfin voir l’unique chaîne de la télévision algérienne leur consacrer leur première apparition sur le petit écran. Aujourd’hui, les temps ont changé et même la musique a évolué et la prestation de Belaid Branis, le récipiendaire de l’œuvre de son père, a ceci de positif, c’est qu’elle permet de faire revivre en la remettant au goût du jour et avec les sons d’aujourd’hui ce «patrimoine» sorti d’abord de l’imagination de celui qui n’était qu’un adolescent au lendemain de l’indépendance et qui est considéré aujourd’hui comme un des pionniers de la «modernité musicale» algérienne.
Oran
De notre bureau Djamel Benachour