La chanteuse tunisienne Nawel Benkraiem s’est déjà produite sur scène en Algérie, à Oran en particulier, mais c’était dans un cadre collectif, notamment avec «l’Armée mexicaine», le concept qui a débarqué il n y a pas si longtemps pour rendre hommage à Rachid Taha (1958-2018).
Cependant, pour ce genre d’occasions, elle n’interprétait que des reprises. Elle revient cette fois, mais avec ses propres compositions, le temps d’un concert unique à Oran sur invitation de l’Institut français.
Le public présent aux deux événements découvrait donc d’abord sa voix et ensuite sont venus ses mots dévoilant l’âme d’une vraie poète.
Elle a interprété globalement les chansons de son tout dernier album intitulé Je chante un secret, mais aussi du précédent intitulé Délivrance. Accompagné par deux autres musiciens, le guitariste Nassim Kouti (qui a par ailleurs partagé pendant un temps l’expérience du groupe français Watcha Clan), qui a cosigné nombre des compositions de cet album et le mondoliste Malik Ziad.
Une entrée tout en douceur, guitare entre les mains et quelques accords pour soutenir de belles mélodies, le tout rehaussé par des relatives dissonantes de la seconde guitare et des touches au mandole avec des passages en trémolo qui accentuent cet effet de délicatesse qui caractérise le gros de son œuvre.
Une œuvre intimiste mais ancrée dans son temps, car en se dévoilant à travers son «je», elle traduit aussi les soucis et les préoccupations de ses contemporains. «Quand je ferme les yeux/je sens venir vos mots / me prendre par la main / me peindre sous les yeux / me faire voyager loin / devenir mon refrain… » Tantôt elle chante, tantôt elle déclame, souvent en français, mais parfois en arabe (maghrébin, si on veut) et rarement en anglais. Elle-même voudrait parfois lancer un cri de révolte, mais elle sait aussi que le public s’impatiente et qu’il faut un peu de rythme pour le tenir en haleine et c’est chose faite lorsqu’arrive le titre Paris-Tunis aux influences vaguement «electro» (sons et rythmes préenregistrés) qui conviennent bien à dépeindre l’atmosphère qu’elle veut donner à sa description de la ville mais surtout à l’état d’esprit des gens qui y vivent. «Après la tempête, il reste quoi de la ville ? Il reste quoi de moi ? » S’interroge-t-elle référence sans doute aux bouleversements vécus dans son pays.
Influences multiples
Sa réponse est justement poétique : «Il reste cette violence que l’on boit assis sur un bout de bois, il reste ces bouts de cris rentrés dans nos écrits.» Le sens de la fête est mis en avant dans le titre Chtah (danse) aux influences multiples maghrébines bien sûr et dont elle se revendique fièrement ailleurs (dans D’habitude) mais aussi du reste du continent allant vers le Sud avec des rythmiques spécifiques mais aussi des distorsions pour accentuer le tempo. «Achtah ya gharib ou zid chtah/ khelli n’har yadkhal laddar oua rouh yatlaa (danse et danse encore et laisse le jour entrer dans ta maison)». Ici elle troque son instrument contre un accessoire de danse traditionnel tunisien et le tour est joué avec un public qui ne s’est pas fait trop attendre pour entrer dans l’allégresse.
Avec ce passage fougueux, «la fête a été loin d’être secrète»…. à Oran comme elle l’a affirmé en ironisant avant d’annoncer l’interprétation de ce titre-là (la fête sécrète), fêter d’avoir survécu pour laisser éclater ses rires jusqu’à Malaga (Bayla fi Malaga) mais où ici c’est plutôt le son et la technique du mandole qui fait la différence.
Globalement, elle voudrait aussi qu’on écoute ce qu’elle a à dire et c’est rapidement qu’elle reprend sa guitare pour demander au public de s’asseoir un temps comme on le ferait dans une ambiance intimiste. Le lieu, un grand hall en dehors de la salle s’y prête. Certaines de ses chansons sont empreintes de beaucoup de nostalgie en se remémorant le Tunis où elle a grandi (houmti fi tounes), là où se sont révélés ses talents artistiques et qui continue à l’inspirer.
Un des titres interprétés intitulé Enfances est un hommage au chanteur algérien Idir qu’elle écoutait quand elle était enfant. Durant cette période, «pour ce qui est des Algériens, mes parents écoutaient beaucoup Idir et moi étant issue du sud de la Tunisie, le genre ‘’bedoui’’ m’a aussi beaucoup touchée», a-t-elle indiqué à l’issue de son show pour évoquer les voix tunisiennes qui ont bercé son enfance à l’instar de celles, citées à la hâte, des icônes comme de Saliha et Naâma. «C’est bien plus tard que j’ai découvert Cheikha Rimitti et qui m’a tout de suite accrochée», ajoute-t-elle, logiquement donc.
Durant le spectacle elle a aussi interprété âla Zabana du chantre de la chanson oranaise Blaoui El Houari. «J’ai grandi à Tunis et j’ai d’abord commencé par le théâtre qui m’a passionné et j’ai eu la chance d’en faire avec Hichem Rostom (1947-2022) après avoir vu des spectacles qui m’ont beaucoup marquée et inspirée mais c’est en France où je suis partie à l’âge de 16 ans que je me suis orientée vers la musique avec un apprentissage de l’instrument en autodidacte», explique-t-elle, pour ensuite évoquer les influences anglo-saxonnes.
Dans la mémoire «populaire» l’image d’une femme à la guitare renvoie surtout à Joan Baez pour une raison supplémentaire que celle-ci a déjà réinterprété un folklore tunisien (« djari ya hamouda») mais Nawel Benkraiem évoque aussi des dames comme Patti Smith ou Janis Joplin.
Des influences multiples mais une voie et une voix singulières pour l’artiste tunisienne chez laquelle on ne peut pas ne pas remarquer aussi des soupçons, quoique rares, dans certains titres de la manière de chanter de sa contemporaine mais néanmoins aînée maghrébine Souad Massi qui comme elle avait aussi émergé dans la décennie de grands bouleversements de son pays.
Confirmée depuis 2008 grâce à un prix RFI, Nawel Benkraiem, également poétesse, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.
Oran
De notre bureau Djamel Benachour