Sommet des Brics de Kazan : L’adhésion de 13 membres partenaires et les problèmes en suspens

19/11/2024 mis à jour: 13:00
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Photo : D. R.

Par Ali Benouari
Expert agréé auprès du Forum académiques des Brics

La décision la plus remarquée prise par les Brics lors du Sommet de Kazan, qui vient de s’achever, est la création, à l’initiative de la Russie, d’un groupe de pays partenaires, comprenant 13 pays (Algérie, Nigeria, Ouganda, Turquie, Indonésie, Biélorussie, Ouzbékistan, Kazakhstan, Malaisie, Vietnam, Thaïlande, Cuba et Bolivie). Aucune décision n’a en revanche été prise à propos de deux sujets importants : celui de la mise en place d’un système d’informations et de paiement alternatif au Swift et celui de l’adoption d’une monnaie commune. Tout d’abord, comment interpréter l’adhésion de 13 membres partenaires ?

Cette décision vient confirmer la pause dans l’élargissement des Brics, annoncée le 25 juin dernier par Sergei Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russes. La raison invoquée est la nécessité «d’assurer une croissance équilibrée et maitrisée du groupe».

On pourrait cependant y voir une sorte de compromis entre les membres qui prônent l’élargissement (Chine, Inde, Russie) et ceux qui craignent de voir se diluer leur influence (Brésil et Inde). On n’a peut-être pas voulu débattre tout de suite de la règle très contestable du consensus qui conditionne l’adhésion de nouveaux membres et qui a coûté à l’Algérie son inclusion lors du Sommet de Johannesburg.

Quoiqu’il en soit, ce statut, s’il ne donne pas aux «partenaires» le droit de participer aux décisions des Brics, leur donne néanmoins la possibilité de participer aux travaux de l’organisation et les positionne pour en faire partie ultérieurement. Ce n’est pas rien, car leur adhésion en tant que membre à part entière, sans doute dès l’année prochaine, viendra gonfler le poids des Brics de près d’un milliard d’habitants et 5’000 milliards de dollars de PIB. 

La monnaie commune et le système de paiement alternatif au Swift : deux problématiques complexes mais consubstantielles à la problématique de l’élargissement 

Comme à Johannesburg, il a été décidé que la réflexion n’était pas assez mûre pour prendre des décisions sur des problématiques aussi complexes. Les Brics ont aussi donné à penser que cette complexité serait moins bien gérée si leur groupe devait s’élargir trop vite.

Cette façon de voir mérite cependant d’être questionnée, dès lors que les Brics se sont donné pour objectif de réformer l’ensemble du système monétaire international, dans le cadre d’un objectif stratégique, qui est l’instauration d’un monde multipolaire. 

L’enjeu étant planétaire, l’espace des Brics ne peut donc être qu’un espace planétaire. Les développements ci-dessous montrent en quoi les mécanismes à l’étude sont complexes et dépassent les cadres nationaux ou régionaux.

Le projet Brics Pay : il est conçu pour contourner le système d’information et de paiement international Swift, devenu un instrument au service des sanctions édictées par les américains. Il doit fédérer plusieurs systèmes de paiements nationaux sur la base de monnaies numériques de banques centrales, afin de permettre l’usage des monnaies nationales et garantir, grâce à la technologie de la Blockchain, l’inviolabilité du système et la sécurité des utilisateurs.

Le projet de monnaie commune, qui a retenu l’attention des experts des Brics, est centré sur un écosystème appelé «The Unit». J’expose ici, de manière succincte, le projet en lui-même et ses faiblesses.
La monnaie envisagée est appelée à être indexée à 40% sur l’or et à 60% sur les monnaies nationales des Brics.

Le projet est intéressant de par le lien qu’il établit avec la blockchain, qui postule la création d’un jeton numérique «Unit» dont la valeur de marché fluctuerait indépendamment de la valeur intrinsèque. C’est-à-dire en fonction de l’offre et de la demande, ce qui lui confèrerait la triple qualité d’instrument de compte, de moyen de paiement et d’instrument de réserve. Cependant, ce système présente deux défauts : 

Le premier défaut est que le rattachement à des monnaies nationales des pays membres n’offre aucun gage de stabilité, en raison de la non-convertibilité de certaines des monnaies des pays des Brics et de la révision du panier des monnaies qui résultera de chaque nouvelle adhésion. La valeur de cette monnaie devant sans cesse être ajustée, son cours serait donc tout sauf stable. Or, la stabilité monétaire est une qualité essentielle pour une monnaie qui ambitionne de remplacer le dollar.

Le second défaut est lié à son rattachement à l’or. Bien que l’idée soit séduisante, il n’en reste pas moins que l’or est un instrument volatile. La forte hausse du prix de l’or que nous connaissons depuis quelques mois engendrerait, par exemple, des tensions inflationnistes insupportables pour la plupart des pays membres.

Comment rendre cette monnaie plus stable ? 

L’écosystème envisagé pourrait être enrichi par son indexation sur le DTS du FMI. La valeur intrinsèque de la monnaie serait alors équivalente à celle du DTS, tandis que la valeur de marché de son jeton obéirait à la loi de l’offre et de la demande. Tous les écueils cités seraient alors surmontés. Les monnaies nationales pourraient continuer à exister, au sein de chaque pays, tandis que la monnaie commune servirait à libeller les échanges entre les Brics.

Les qualités attendues de cette monnaie pourraient lui permettre d’être rapidement adoptée par d’autres pays que les Brics. Dans cette hypothèse, on pourrait voir émerger l’alternative tant recherchée au dollar américain. Cette monnaie indexée sur le DTS pourrait acquérir le statut de monnaie universelle car sa valeur de marché serait librement décidée par les millions d’opérateurs indépendants, donc indépendante de tout pouvoir politique.

Pour rappel, le DTS avait vocation à devenir «le principal instrument de réserve du système international», selon les articles VII-7 et XXII du FMI), mais cette disposition des statuts est restée lettre morte et l’usage officiel du DTS est resté très limité, car les Américains ne voulaient pas d’une monnaie concurrente au dollar. 

Mais dès lors qu’ils ne pouvaient plus assumer la charge de sa convertibilité en or, ces derniers ont mis fin au régime du «Gold Exchange standard» en décrétant en 1971 la non-convertibilité du dollar en or, rendant de ce fait caducs les accords de Bretton-Woods.

Pour asseoir la domination de leur monnaie dans ce nouveau contexte, les Américains ont imposé en 1973 à l’Arabie Saoudite l’indexation du prix de vente de son pétrole sur le dollar. Cette indexation a été très vite étendue à l’OPEP (création des pétrodollars), puis progressivement à la quasi-totalité des matières premières. La taille et la profondeur du marché financier américain ont fait le reste, pour en faire une monnaie incontournable.

C’est depuis cette date que le dollar est devenu la principale monnaie de paiement et de réserve. Les Etats-Unis, affranchis de toute contrainte financière, ont pu dès lors exercer une hégémonie sans pareille sur le reste du monde, illustrée, entre autres, par la prise de sanctions économiques et le gel des avoirs monétaires d’un nombre croissant de pays.

Un événement a failli remettre en cause cette domination, le Sommet de l’OPEP qui s’était tenu à Alger du 3 au 5 mars 1975. L’unique point inscrit à son ordre du jour était le remplacement du dollar par le DTS (Droits de tirages spéciaux du FMI) dans le libellé du pétrole. L’histoire retiendra que les Américains ont réussi à empêcher cette décision qui aurait changé la face du monde.

Aujourd’hui, la nouvelle menace pour l’hégémonie du dollar et pour la toute puissance américaine qui s’en nourrit s’appelle Brics, et elle est à prendre «autant plus au sérieux que la plupart des pays exportateurs de pétrole et de matières premières sont membres de cette organisation».

Conscients de ce que le commerce extérieur américain ne représente que 20% des échanges en dollars, les membres des Brics ont déjà commencé à utiliser intensivement leurs monnaies nationales dans leurs échanges bilatéraux, pour réduire l’influence du dollar. Tout en travaillant à la mise en place d’institutions financières alternatives (telle la Nouvelle banque de développement), d’une monnaie commune et d’un système d’information et de paiement alternatif au SWIFT.

Le nombre fait la force, les moyens doivent être déterminés par le but ? 

Les Brics doivent convenir que les mécanismes alternatifs sur lesquels ils travaillent ne sont qu’un moyen pour parvenir à remodeler l’ordre monétaire unipolaire actuel.

Cette nouvelle approche devrait les conduire à être plus nombreux à réfléchir et à décider. A la place de la démarche actuelle qui consiste à travailler à partir d’un noyau restreint de pays, puis à faire avaliser les décisions retenues par un nombre un peu plus grand, etc. 

Il en va de la réussite des mécanismes à mettre en place autant que de leur portée. Des mécanismes élaborés par une centaine de pays seront plus efficaces et seront plus crédibles.

Oui, les Brics pourraient atteindre rapidement la centaine de membres, et même plus. Il ne faut pas oublier que la quasi-totalité des 193 membres du FMI plaident pour une réforme du système monétaire international inique qui est en place, et que c’est le véto américain, au sein du FMI et de la banque Mondiale qui est le principal obstacle à cette réforme.
Et même s’ils ne parvenaient pas à ce but, ils auront mis en place un ordre alternatif qui fonctionne plus efficacement que l’ordre actuel.

Quels critères d’adhésion pour atteindre le plus grand nombre ?

L’alternative aux critère actuels, flous et controversés, serait logiquement une Charte des Brics. Les signataires de cette Charte deviendraient automatiquement membre de l’organisation.

Cette Charte reprendrait les objectifs que les Brics se sont assignés ainsi que les principes énoncés dans la Charte des nations unies, tel le respect de la souveraineté et de l’égalité entre les États membres. La simple référence à cette Charte exclurait tout pays qui s’associe aux sanctions qui n’ont pas été décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU. A. B.

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