Sofiane Meftah. Metteur en scène tunisien : «Je veux que mon théâtre suscite la réflexion»

04/02/2024 mis à jour: 23:54
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Sofiane Meftah a mis en scène le monodrame Sapiens produit par des Jeunes artistes tunisiens (JAT) de Hammamet. La JAT existe depuis 2014, fondée à l’initiative de ce jeune metteur en scène. Interprété par Oumayma Ouni d’après Le pompier Théos du dramaturge irakien, Abdenabi Zaïdi, Sapiens a décroché le double prix de la meilleure mise en scène et de la meilleure scénographie au 3e Festival international du monodrame féminin d’El Oued. Organisé par l’association Sitar d’El Oued, le festival s’est déroulé du 27 au 30 janvier à la maison de la culture, Mohamed Lamine Lamoudi.

 

Propos recueillis à El Oued par  Fayçal Métaoui

 

 

-Vous êtes à votre deuxième participation au Festival international du monodrame féminin d’El Oued. Parlez-nous de cette participation ?
 

Ravi d’être une nouvelle fois à El Oued. En 2022, j’ai accompagné mon ami Mourad Slingui en tant que scénographe. Cette année, je suis venu en tant que metteur en scène. Pour Sapiens, nous avons repris le texte de Abdenabi Zaïdi en l’adaptant avec une dramaturgie conçue par Mourad Slingui. Sapiens pour évoquer l’homme sage (Homo sapiens) qui a découvert le feu et qui a des sentiments. Un homme qui sent, qui a peur, qui réfléchit. 

C’est le fond de la thématique proposée par le monodrame. Nous avons repris l’idée du Pompier Théos en la développant, ajouté un autre texte après avoir eu l’autorisation de l’auteur pour qu’il réponde à notre vision de mise en scène. Nous avons élaboré un texte qui prend en compte l’idée et l’histoire que nous voulions raconter selon notre vision et qui a toute l’esthétique nécessaire pour cela.
 

-Le monodrame évoque la situation actuelle en Tunisie aussi...

C’est vrai. Les préoccupations des tunisiens sont évoquées dans le spectacle. La situation dans les pays arabes est également présente dans ce spectacle, comme le pillage du pétrole en Irak, les problèmes en Egypte et la décennie noire en Algérie. Le spectacle critique ceux qui veulent détruire avec des idées diaboliques les personnes sages et, par extension,  les sociétés.
 

-Pensez-vous qu’il existe une guerre contre l’esprit dans la région arabe ?

Oui. Il y a tout une programmation en application qui cible les peuples dans les médias et dans les systèmes scolaires. On nous a toujours enseigné que la Tunisie était un petit pays sur la carte, alors qu’elle est plus grande que beaucoup de pays européens, six fois plus vaste que la Suisse par exemple. Inconsciemment, on sent qu’on est amoindris, faibles.
 

-Le théâtre a-t-il la force de répondre ou de déconstruire les idées reçues ?

Le théâtre ouvre la voie à la réflexion et au débat. Nous pouvons ne pas faire attention à certaines erreurs que nous faisons. Des choses qui paraissent ordinaires à nos yeux compte tenu de notre éducation et de l’habitude. Quand je regarde une pièce de théâtre, je réfléchis à ce que je fais. Suis-je dans l’erreur ? Ou pas ? Cela me pousse à faire des recherches, à m’interroger sur le sujet évoqué sur scène.
 

-Dans le monodrame, le personnage évolue dans un espace presque fermé avec des petites ouvertures. L’éclairage permettait d’évoluer d’une situation à une autre. Pourquoi ce choix scénographique ?

C’est un cube blanc à l’intérieur duquel évolue la comédienne. Elle campe sept personnages. Les couleurs sont expressives : le blanc symbolise l’ouverture par exemple. On imagine parfois des choses qui peuvent se réaliser. La comédienne imagine le personnage de Mahmoud qui cherche son fils. De la petite ouverture sort une peluche. Lorsqu’elle imagine, la danseuse, ses accessoires apparaissent, etc. Dans le spectacle, la danseuse n’a pas voulu être dans cette situation. Elle a opté, forcée, pour ce métier parce que son époux est parti sur le front, vers la guerre...
 

-Le spectacle a-t-il été présenté en Tunisie ?

Ici, à El Oued, c’est la deuxième représentation de Sapiens. Le monodrame a été présenté une première fois en Tunisie, au festival maghrébin de Kélibia. Nous avons décroché le prix de la meilleure mise en scène et de la meilleure comédienne (...) J’adore le théâtre sans l’avoir étudié.
 

-A vos débuts, vous étiez comédiens...

C’est vrai. Je suis passé ensuite à la scénographie et à la machinerie scénique. Et, là, je me retrouve bien dans la mise en scène. Je me suis éloigné de l’actorat parce que je discute beaucoup avec les metteurs en scène lorsqu’on me sollicite pour un rôle. Souvent, nous n’avons pas la même vision. J’ai décidé alors de faire ma propre vision en optant pour la mise en scène. La mise en scène vous permet de faire parvenir votre message, avec l’appui du collectif qui travaille avec vous, avec votre propre regard. Avec le groupe, nous travaillons beaucoup sur l’absurde. Nous faisons des recherches. Nous ne nous limitons pas. Nous faisons ce que nous voulons sur scène, avec notre vision du texte que nous choisissons.
 

-Comment évolue le théâtre tunisien aujourd’hui ?

Il existe actuellement en Tunisie des énergies parmi les jeunes créateurs mais qui manquent de moyens. C’est le cas de plusieurs pays arabes. Je respecte beaucoup les jeunes qui avec peu de moyens produisent des spectacles de grande qualité. Pour les textes, il y a une tendance vers l’écriture de spectacles commerciaux en Tunisie. Les conditions matérielles des auteurs imposent ce choix. L’année passée, nous avons travaillé sur le texte de la dramaturge britannique Sarah Kane, Psychose 4.48 et cette année nous avons choisi un texte irakien. Nous ne faisons pas attention à la nationalité des textes mais à leur capacité à traduire notre pensée, notre vision artistique.
 

-Pour quel public vous faites du théâtre  ?

Dans mon théâtre, je m’adresse surtout aux jeunes pour les pousser à s’interroger sur leur existence, sur leur comportement, sur ce qu’ils font ou ne font pas. Ils ne doivent pas prendre comme acquises toutes les situations. Tout ce que je fais au théâtre est par conviction. C’est un théâtre qui n’est pas destiné à 100% à l’élite ou à 100% au grand public. Je veux que mon théâtre suscite la réflexion. Il existe des personnes qui ont des diplômes universitaires mais qui sont conformistes, ne se posent pas trop de questions, comme si elles n’ont jamais étudié. Après, c'est une expérience artistique que je tente. Peut-être que je me trompe, mais je continue. 
 

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