Ses romans ont reçu un accueil formidable : Saïd Khatibi, émergence d’une littérature de rupture

01/11/2023 mis à jour: 04:07
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Saïd Khatibi a publié dernièrenement son 4e roman Nihayatoulsahra (La fin du Sahara)

Il est l’un des auteurs les plus promoteurs de sa génération. Jeune trentenaire, Saïd Khatibi, qui a tôt fréquenté les rédactions algéroises, s’est intéressé aux arts. Auteur de deux essais sur l’histoire socioculturelle de la musique raï, il publie quatre romans, qui ont reçu un accueil formidable. 
 

Son dernier récit, Nihayatoulsahra (La Fin du Sahara), prix Cheikh Zayed 2023, raconte l’histoire de personnages habitant aux confins du désert. Le contexte est celui, très complexe, des événements d’Octobre 1988. Mais pourquoi le choix du genre «polar» ? «Il est vrai que ce roman évoque les événements du 5 Octobre 1988, ce soulèvement populaire qui s’est soldé par des dizaines de morts. Mais cela part d’une autre question : comment en sommes-nous arrivés à ce moment tragique ? Le genre ‘‘polar’’ était donc le plus approprié pour aborder politiquement l’histoire de l’Algérie», explique, à El Watan, l’auteur. Le récit, haletant, commence par le meurtre d’une chanteuse et en pleine recherche de son ou ses assassins, on se retrouve face à un autre cadavre : celui, symbolique, du pays, qui s’est empêtré dans des conflits inextricables. 

Ce roman, poursuit-il, parle également de l’émergence de la violence religieuse, qui a conduit le pays à une décennie de sang. «Pour comprendre ce qui s’est passé dans les années 1990, il faut remonter à la décennie précédente – durant laquelle se déroulent les événements du roman – pour expliquer l’émergence de l’extrémisme religieux», relève-t-il. Dans son dernier roman, comme dans les précédents, l’histoire est très présente. 

Des personnages forts, à l’instar de l’exploratrice, journaliste et écrivaine Isabelle Eberhardt, qui a vécu dans une maison voisine à celle de l’auteur à Bou Saâda, sa ville natale, y font leur apparition. «J’ai parlé d’Isabelle Eberhardt dans un précédent roman (Quarante ans dans l’attente pour Isabelle, Prix Katara de la fiction arabe 2017), car elle représente les contradictions du cas algérien. Femme dans une société conservatrice, étrangère dans un milieu patriarcal, elle a ensuite appris l’arabe et pris le parti du peuple, avant d’être effacée de l’histoire après l’indépendance», met en avant l’auteur. Khatibi estime que ses personnages «historiques» ne sont finalement qu’un «prétexte». «Je n’écris pas sur l’histoire, j’écris sur le présent, mais en Algérie, il n’y a presque pas de présent, mais plutôt un passé qui se répète.» Parti s’installer à l’étranger, Khatibi n’a pas vraiment quitté la géographie de l’enfance. Mais même si l’Algérie constitue le décor permanent de ses textes, il a fait le choix de s’«exiler» dans son roman Hatab Sarajevo (Le bûcher de Sarajevo). Mais, là aussi, les Algériens ne sont jamais loin.


 

«J’ai vécu Sarajevo»

«J’ai vécu quelque temps à Sarajevo, j’ai appris la langue des gens là-bas, puis petit à petit j’ai réalisé les similitudes entre les deux conflits qui ont eu lieu dans les années 1990, en Algérie et en Bosnie-Herzégovine. J’ai écrit le roman Hatab Sarajevo (sélectionné pour l’Arab Booker Prize 2020) en ayant à l’esprit ce qui s’est passé dans les deux pays. La Bosnie et l’Algérie ont une histoire similaire : de l’occupation coloniale, à la libération et à la guerre civile, où religion et violence coexistent. Je ne pense pas être sorti d’Algérie dans ce roman, étant donné que ses chapitres se déroulent à parts égales en Algérie et à Sarajevo», estime-t-il.  Hatab Sarajevo raconte le parcours d’Algériens qui ont participé à la guerre des Balkans dans les années 1990. «Comme vous le savez, ce qui s’est passé dans les années 1990 en Algérie était tragique, mais nous n’étions pas les seuls à souffrir, il y avait d’autres peuples qui ont vécu une expérience aussi dramatique que la nôtre», souligne-t-il, faisant remarquer qu’à Sarajevo, des musées racontent les atrocités de la guerre, pour que les gens n’oublient pas ce qui s’est passé et que les souffrances ne se répètent pas.
 

L’auteur arabophone, qui a vu certains de ses textes traduits dans quatre langues, a un regard lucide sur la littérature algérienne. L’antagonisme entretenu entre auteurs arabophones et francophones persiste. Comment explique-t-il la persistance de ce différend. 

«Ce que je sais, c’est qu’il existe une littérature algérienne qui se suffit à elle-même, quelle que soit la langue dans laquelle elle a été écrite (arabe, tamazight, français). Il y a un traitement politique de la langue française (…). Il faut être conscient que la langue arabe – en Algérie – est la langue du sacré. 

Ainsi, mon autre tâche est que cette langue retrouve son rôle de langue de dialogue, retrouve son caractère de langue de la littérature…» Pour l’auteur, il est impératif de traiter les langues (qu’elles soient arabe, amazighe ou française) avec impartialité. «Comme vous le savez, les grands écrivains algériens étaient bilingues : Mohammed Dib, Kateb Yacine, Tahar Djaout, Taos Amrouche, Assia Djebar, Abdelhamid Benhedouga, etc. Les divergences sont d’ordre politique...»
 

 

 

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