- El Niño, phénomène météorologique cyclique caractérisé par l’augmentation de la température des eaux du Pacifique, fait son retour. A quoi faut-il s’attendre en Méditerranée ?
Selon les experts des questions météo-océaniques, l’oscillation australe El Niño (ENSO) est le principal moteur de la variabilité climatique interannuelle à l’échelle mondiale. Ce phénomène météorologique cyclique, qui se produit tous les 2 à 7 ans, est caractérisé par l’augmentation de la température des eaux du Pacifique. Les Péruviens ont baptisé ce phénomène d’El Nino, soit «l’enfant» en espagnol.
Les climatologues considèrent le risque qu’un «Super El Niño» aurait des effets dramatiques sur le système climatique mondial, avec des records de températures jamais égalées, des canicules intenses, des fortes pluies ou des sécheresses, des inondations importantes et cela aura un effet particulièrement désastreux sur la Méditerranée qui présente un régime de circulation marine et des équilibres météo-marines spécifiques et très sensibles aux fluctuations climatiques mondiales. Dans un communique récent, l’Organisation météorologique mondiale a annoncé le «réveil» d’El Niño.
On est passé de stade inquiétude, voire crainte à celui de la réalité inquiétante. Concrètement, ce phénomène atteint son maximum vers fin décembre et se caractérise par une augmentation de la température des eaux de surfaces de l’océan portée, ensuite, par les vents d’est en ouest. L’Organisation météorologique mondiale appelle «les gouvernements du monde entier à se préparer» à une augmentation des températures mondiales liée à ce phénomène climatique.
- Se préparer oui mais comment ?
Malgré trois années d’El Nina, le phénomène inverse d’El Nino qui refroidit les eaux de l’océan, des records de températures ont tout de même été enregistrés. Les conséquences d’El Nino risquent donc d’être catastrophiques. Il faut actionner les plans de prévention et les plans d’intervention d’urgence en cas de catastrophes «climatiques» ou météo-marines, avec potentiellement des risques côtiers particuliers dans les zones basses ou des inondations et des submersions marines seraient induites plus facilement.
A mon avis, il faut accélérer la cadence de nettoyage et d’entretien des évacuations des eaux au niveau des villes, accélérer également la protection des bassins versants, finaliser les plans d’intervention d’urgence pour l’ensemble des zones inondables qui ont été identifiées par une étude réalisée pour le ministère chargé des Ressources en eau il y a quelques années.
Développer rapidement des plans locaux d’adaptation climatique, en tout cas pour les zones et les collectivités les plus vulnérables et mettre en place l’organisation avec les simulations nécessaires au niveau de ces zones pour anticiper ces risques et les effets négatifs attendus. En mobilisant par anticipation les ressources et les financements nécessaires et adaptés pour agir de manière efficace et effective en cas d’urgence climatique.
- Ses conséquences se feront ressentir quand ?
Selon les commentaires de l’OMM et les experts du climat, il y a lieu de s’attendre à des épisodes caniculaires importantes en août-octobre ou potentiellement à des pluies torrentielles. Cela dépendra des régions de la Méditerranée qui ne sont pas toutes égales devant les changements climatiques et leurs effets combinés avec El Nino. Sous l’effet combiné d’El Niño et du réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre, la terre risque de se réchauffer plus que jamais.
- Sommes-nous donc installés dans la durée en ce qui concerne la perturbation du climat ?
En effet, les spécialistes soulignent le fait que ces dernières années qui avaient été marquées par l’autre phénomène dit «El Nina», qui est en fait l’inverse d’El Nino et qui refroidit les eaux océaniques seront suivies d’El Nino sans possibilité d’atténuer l’augmentation de la température, ce qui pourrait conduire à des élévations records de la température avec toutes les conséquences associées à cela.
Une étude récente fait remarquer qu’un «Super El Niño» ramènerait l’élévation de la température vers 2.5
à 2.8 ºC. Cette étude prédit la période 2023-2027 comme très plausible qu’elle sera la plus chaude jamais enregistrée.
Cela sera possible sous l’effet combiné d’El Nino et du réchauffement climatique. Les experts du climat s’attendent à un fin août-début septembre en Méditerranée qui pourrait connaître de fortes pluies qui pourraient être violentes. Les spécialistes vous diront qu’il est très difficile de scénariser El Nino et El Nina, compte tenu d’une part d’incertitude qui n’est pas encore maîtrisée par les modèles. Comme il est difficile de donner le nombre d’années successives qui seront marquées par El Nino et si entre temps un retour d’El Nina pourrait se produire et atténuer l’élévation de la température.
Ce qui est certain par contre, c’est que la dégradation du climat continue et les efforts consentis à ce jour n’ont pas été en mesure de ralentir cette dégradation, au contraire on assiste de plus en plus à des records de température, d’évènements climatiques violents et extrêmes et à des manifestations de plus en plus désastreuses des inondations et des vagues de chaleurs ainsi que les sècheresses de plus en plus récurrentes et longues, cas de la Corne de l’Afrique.
- Pensez-vous qu’il est trop tard pour revenir à des températures normales et cela, même si l’accord de Paris est atteint ?
Il est très difficile de répondre à cette question car il y a toujours des inconnues dans l’équation climatique mondiale et régionale. Même si les «drivers» des changements climatiques, notamment les drivers physiques, au sens météo-océanique sont mieux connus et que les modèles sont capables de générer des scénarios avec des niveaux d’incertitudes scientifiques et politiquement acceptables, il n’en demeure pas moins que l’évolution du climat mondial et régional est tributaire d’un faisceau de facteurs et surtout de la combinaison de ces facteurs qui peut donner lieu à des situations inédites.
Toutefois, si l’on se fie aux scénarios du GIEC dans le 6e rapport, on serait tenté de dire que nous assisterons malheureusement à une dégradation du climat et dans certaines parties du monde à l’accélération de cette dégradation. Tout cela reste en partie lié à la capacité des pays à agir de manière collective, efficace et ambitieuse. Mais cela dépendra, surtout, en grande partie des grands émetteurs des gaz à effet de serra qui refusent obstinément à voir la réalité en face et à assumer leur responsabilité historique.
L’accord de Paris sur le climat demeure un cadre d’action majeur au titre de la Convention des Nations unies sur les changements climatiques, mais des parties importantes et très sensibles de cet accord sont encore figées, faute de volonté d’agir et de moyens à mobiliser vers ceux qui ont le plus besoin pour agir face au climat.
En conclusion, dans la configuration actuelle et selon les données relatives aux forces motrices responsables de la situation climatique et de son évolution, tous les indicateurs prédisent une aggravation de la situation climatique ; et même une mise en œuvre de l’accord de Paris avec ses principaux termes ne pourront pas, en tout cas à l’horizon 2030-2035, rétablir un climat «normal», même si je dois préciser que la normalité du climat et son évolution sont, eux, un sujet de divergence entre spécialistes et experts.