- Quel est le contexte de la COP29 ?
La COP29 de Bakou, en Azerbaïdjan, se déroule dans une atmosphère internationale très particulière, marquée par une série d’événements, crises et conflits qui ne manqueront pas de peser sur la qualité des décisions qui en sortiront. La persistance du conflit russo-ukrainien, la crise multiforme au Proche-Orient, les tensions économiques entre la Chine et les Etats Unies d’Amérique, une crise politique en Allemagne et en France, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche qui menace de se retirer de l’accord de Paris sur le climat, la crise entre l’Egypte et l’Ethiopie à cause de la question de l’eau, les développements au niveau de la Corne de l’Afrique et les ingérences répétées au Sahel ainsi que la situation en Libye.
La conjugaison de ces situations a engendré un climat critique qui ne favorise pas une avancée spectaculaire lors de cette 29e Conférence de l’ONU sur le climat qui s’est ouverte le 11 novembre à Bakou, dans un contexte international miné. Trouver un accord ambitieux semble, cette année, particulièrement compliqué.
Il faut bien le souligner que le système multilatéral a été mis à rude épreuve par la question palestinienne et la guerre contre Ghaza. Le traitement et les positions au sein du Conseil de sécurité ont consommé encore le crédit du système onusien et cela laissera des séquelles sur les négociations climatiques, en particulier sur la capacité des Nations unies à assurer l’équité entre grandes puissances responsables de la dégradation du climat et les autres pays, notamment des pays en développement.
Cette COP29 marque un retour à un schéma plus classique, voire à une confrontation entre la vision des pays développés, d’une part, et les pays en développement et les pays les moins avancées, d’autre part, rappelant le schéma de l’accord de Kyoto avec les pays émetteurs de gaz à effet de serre et les pays sans responsabilité sur la dégradation du climat. On a tendance, au cours des dernières négociations d’experts, à retrouver les positions plus classiques des blocs Afrique, Amérique latine, petits Etats insulaires, etc.
- Quels sont, selon vous, les enjeux de la COP29 ?
Un des enjeux majeurs de cette COP est de mettre en place les bases pour des mécanismes d’adaptation face aux catastrophes. Autre enjeu important est de faire des avancées sur le fonds des pertes et dommages. Il y a aussi le lancement de la communication par la CCNUCC sur les plans climatiques, soit la troisième génération de leurs plans climatiques nationaux – NDC. Cette COP aura aussi pour but de définir des objectifs d’adaptation et les voies pour l’augmentation de la résilience. Et enfin discuter du marché carbone.
- Concrètement, est-ce qu’il y a des motifs d’optimisme ?
Pour répondre à votre question, je vous renvoie à la déclaration de Simon Stiel, secrétaire exécutif des Nations unies chargé du changement climatique, faite lors de son discours d’ouverture de la COP29 le 11 novembre à Bakou, où il a dit : «Il est maintenant temps de montrer que la coopération mondiale n’est pas en déclin.
Alors, je vous exhorte tous, levons-nous ensemble.» C’est un aveu d’impuissance du système multilatéral des Nations unies quant à la coopération internationale pour lutter efficacement et effectivement contre le changement climatique. Les efforts des pays et les résultats de l’action climatique au niveau global sont malheureusement bien en deçà de ce qui était attendu.
Selon l’ONU, les politiques, stratégies et plans climatiques mis en œuvre par les pays ont permis de contenir l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre en 2030 à 3%. Pour bien situer cette performance, il y a lieu de souligner qu’avant l’accord de Paris, les émissions étaient d’environ 16%. On est donc bien loin de la diminution autour de 40% à atteindre pour espérer limiter la dégradation du climat. Cette année encore, l’accent sera mis sur l’épineuse question de la finance climatique.
- Pourquoi on n’arrive toujours pas à trouver un accord ou du moins un compromis ?
Vous avez raison, les estimations et projections évaluent les besoins financiers des pays en développement (PED) pour leur action climatique à environ 600 milliards de dollars par an d’ici à 2030. Or aujourd’hui, rien n’indique que sur les cinq prochaines années, les 2500 à 3000 milliards de dollars pourront être mobilisés pour ces pays.
Selon l’AUDA-Nepad, il faudrait mobiliser rapidement environ 200 milliards de dollars uniquement pour les questions de gouvernance, de capitalisation et d’opérationnalisation afin de permettre au fonds des pertes et des dommages d’être fonctionnel. La volonté des grands donateurs et des pays responsables de la dégradation du climat mondial de respecter leurs engagements n’a, en réalité, jamais été clairement démontrée d’une manière pratique et effective.
Des déclarations, il y en a eu, à commencer par la COP de Copenhague et les 100 milliards à mobiliser annuellement au profit des pays, notamment en développement, pour soutenir leurs efforts de lutte contre les effets négatifs du changement climatique. Ces déclarations se sont toujours opposées à la réalité économique, parce que ces pays eux-mêmes vivent des difficultés économiques et financières, et leur propre adaptation climatique est coûteuse.
Il est utile de préciser que mis à part les petits financements que j’appellerais «financement poudre aux yeux», les grands financements sont souvent conditionnés par des considérations économiques, comme le privilège pour les investisseurs du pays donateur ou prêteur, l’obligation de recours à une certaine technologie et donc à des fournisseurs précis qui fabriquent et commercialisent des équipements et des technologies dites amis du climat. Je citerais à ce titre les financements des grands projets d’énergie renouvelable.
Les conditionnalités politiques à l’accès au financement ne sont plus cachées depuis le conflit russo-ukrainien et les crises majeures dans la région du Golfe ainsi que les alliances impliquant des pays de la région de l’Afrique du Nord. L’illusion du financement climatique a bien berné tout le monde au cours de ces deux dernières décennies, tant les règles ont été imposées par les grandes puissances.
- Concrètement, qu’en est-il du «nouvel objectif chiffré collectif» connu sous l’acronyme anglais de NCQG (New collective quantified goal on climate finance) ?
Le NCQG correspond au nouveau budget qui doit être fixé, d’ici à l’an prochain, pour aider les pays en développement dans leur lutte contre le changement climatique. La COP29 est la dernière occasion pour choisir le montant qui sera débloqué pour les années à venir.
Certains experts considèrent que l’Azerbaïdjan est la COP de la dernière chance pour parvenir à un «quantum» pour désigner ce nouveau plan de financement et son montant, en remplacement des 100 milliards de Copenhague. Les estimations varient de 500 milliards à plus de 1000 milliards de dollars par an espérés par les pays en développement. Un montant qui viendrait à la fois des Etats, mais aussi d’investisseurs privés. Ce qui rend aussi le mode de financement complexe.
On estime qu’environ 70% du précédent NCQG s’est fait sous forme de prêts. Certains experts craignent que l’action climatique augmente la dette pour les pays en voie de développement et compliquer davantage la situation et la vulnérabilité financières de ces pays, en plus de leur vulnérabilité climatique. C’est un véritable piège contre le développement de ces pays sans leur assurer la garantie d’une plus grande résilience climatique.
- Selon vous, de quelle manière les pays industrialisés peuvent aider ceux en développement en la matière ?
Il y a un refus organisé et structurel de la part des pays industrialisés à favoriser le transfert de la technologie amie du climat. Il y a aussi une volonté délibérée des pays industrialisés à ralentir les financements climatiques qui n’ont en fait jamais atteints leur vitesse (flux) de croisière.
Il n’y a, à mon avis, aucune chance de voir à court ou moyen terme cette aide et ce soutien s’organiser et devenir effectifs. Par contre, il faudrait s’attendre de plus en plus à voir des «soft» pressions pour que les pays émergents et certains pays en développement à PIB en croissance soient sollicités pour participer au financement de l’action climatique. Malheureusement, certains pays arabes jouent ce jeu et mettent les autres pays en développement dans une position inconfortable sur ce sujet.
- A quoi devrait-on s’attendre lors de cette COP29 ?
Pas à grand-chose. Personnellement, je ne m’attends à aucune décision ni avancée spectaculaire pour les raisons évoquées précédemment. Le déséquilibre des puissances et des ambitions économiques et politiques entre pays est le véritable marqueur de l’engagement et de l’action climatiques. De ce point de vue, la COP29 sera seulement une étape de plus dans le jeu caché des grands intérêts.
- Vous n’êtes donc pas optimiste quant aux résultats de cette COP…
Non, pas du tout. Ces COPs commencent à ressembler à de grands rassemblements folkloriques où des leaders viennent soigner leur image et faire des déclarations qui ne les engagent en rien. Je crois fermement que sans une alliance africaine très forte et soudée et sans une démarche cohérente des pays en développement, qui ne se fissure pas à la première injonction ou pression, le déséquilibre entre ambition climatique et action climatique s’intensifiera.
Est-ce que l’Afrique sera en position de fixer un ultimatum pour le financement et l'aide à l’adaptation climatique ? Aura-t-elle suffisamment d’arguments pour cela ? Qui prendra le leadership sur un tel ultimatum ? Ne s’agit-il pas de reformer le cadre des négociations climatiques, car le système actuel est depuis quelques COPs déjà dans un essoufflement total ?
Doit-on encore respecter un agenda auquel tous les indicateurs sont au rouge ? L’action climatique est devenue éminemment politique avec des enjeux géostratégiques et des relents économiques et financiers d’une grande ampleur, qu’il devient très difficile et compliqué d’être optimiste au regard des rapports de force actuels.