Saïd Bouteflika et des hommes d’affaires devant la Cour : Ouverture houleuse du procès de l’affaire des SMS

19/04/2023 mis à jour: 00:19
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En dépit de son insistance et d’une longue bataille, le collectif des avocats constitué dans l’affaire dite des SMS, dans laquelle est  poursuivi Saïd Bouteflika et de nombreux hommes d’affaires, n’a pas pu arracher auprès de la présidente de la chambre pénale près la cour d’Alger, le report (le quatrième) du procès. 

Tout a commencé lorsque la juge a entamé l’examen de l’affaire, refusant toute idée d’ajournement du dossier, ce qui a suscité le retrait du collectif de la défense en signe de protestation. 

La présidente lève l’audience. Des membres du Conseil de l’Ordre des avocats tentent une médiation qui aboutit, selon ces derniers, à un accord qui consiste en l’entame du procès pour la journée et son renvoi pour lundi prochain. 

Mais dès la reprise de l’audience, la présidente annonce sa volonté d’ouvrir le procès et de poursuivre les auditions jusqu’à jeudi. Les avocats contestent et décident de quitter la salle. La juge poursuit l’audience en  faisant l’appel des prévenus. Elle les informe de la décision de leurs avocats. Du fond du box des prévenus, Réda Kouninef déclare : «Je ne peux pas être jugé sans avocat.» La juge : «Votre défense s’est retirée. C’est votre droit de refuser un procès sans défense.» 

La magistrate se tourne vers l’écran et appelle Saïd Bouteflika, en détention à la prison de Sid Echeikh, à El Bayadh, et lui fait savoir que ses avocats se sont retirés. Il réplique : «Vous voulez dire que je vais être jugé sans mes avocats ? Impossible. Je suis malade, je ne suis pas en mesure de répondre à vos questions ou de me défendre.» 

La présidente : «Nous allons entamer l’audience et vous donner du temps jusqu’à ce que vous soyez en mesure de répondre.» Elle poursuit l’appel des prévenus. Saïd Bouteflika reprend la parole : «Puisque mes avocats se sont retirés, moi aussi je me retire.» 

Et la magistrate répond : «Comme vous voulez.» Bouteflika revient à la charge. «Je ne céderais pas sur mes droits. Je ne veux pas être entendu sans ma défense», dit-il avant que Mahieddine Tahkout n’intervienne par visioconférence : «Je n’ai pas d’avocat. Comment puis-je être entendu sans ma défense ?» La présidente prend acte et entame l’audition d’un des prévenus en liberté. Mais subitement, les avocats reviennent à l’audience.

Avocats et présidente campent sur leurs décisions

Ils veulent à tout prix convaincre la magistrate de la nécessité de renvoyer le procès à cause de l’absence d’un des détenus pour des raisons médicales. Les deux parties campent sur leurs positions suscitant un climat électrique et houleux, poussant la présidente à quitter l’audience une seconde fois. Le collectif de la défense se réunit pour sa part dans la salle des avocats, et après intervention du président de la cour, les deux parties sont arrivées à un accord. 

Entamer le procès avec les plaidoiries de la défense sur les vices de forme, reprendre aujourd’hui durant la matinée et suspendre l’audience jusqu’à lundi prochain.  Il est 14h45 lorsque le procès s’ouvre enfin avec les plaidoiries des avocats relatives aux vices de forme. Me Adlene Bouchaib a plaidé contre le grief de blanchiment d’argent retenu contre son mandant, Réda Kouninef, arguant du fait que les 400 000 francs suisses contenus dans son compte en Suisse n’ont aucune relation avec ses activités en Algérie. 

«Ce montant a été révélé dans un paragraphe d’une lettre  adressée par la Suisse à l’Algérie, en réponse à une commission rogatoire. Mais personne ne l’a interrogé sur l’origine de ce montant», a déclaré l’avocat. Lui et la défense des autres frères Kouninef ont dénoncé la jonction des dossiers par le juge d’instruction, qui, selon eux, n’est pas habilité à le faire, sans que les prévenus ne soient informés ou entendus. «Chacun des 12 dossiers assemblés aurait dû être renvoyé devant le tribunal et c’est au président de l’audience de décider s’il faut les assembler», relèvent de nombreux avocats qui se sont succédé, tout en relevant d’autres «vices de forme» ayant entaché, selon eux, la procédure. 

Cette affaire, faut-il le rappeler, est liée aux 4352 SMS et appels, échangés (jusqu’au mois de mars 2019) entre Saïd Bouteflika et des hommes d’affaires, dont Tarek Kouninef (1238), son frère Réda (1140), Ali Haddad (487), Tayeb Zeghimi (91), Mahieddine Tahkout (80), mais aussi à des documents et dossiers administratifs relatifs à des marchés publics, retrouvés, toujours selon l’enquête judiciaire, au domicile de Saïd Bouteflika, situé à El Biar, lors d’une perquisition. 

En tout, 72 prévenus, dont deux sociétés italienne et turque, doivent répondre de plusieurs griefs en lien avec la corruption, notamment, «abus de fonction», «transfert de produits de crime vers l’étranger», «violation de la réglementation des mouvements de capitaux de et vers l’étranger», «blanchiment d’argent», «entrave au bon déroulement des enquêtes judiciaires», «dissipation de produits de crime», «dilapidation de deniers publics», «trafic d’influence», «octroi d’indus avantages». 

Parmi les prévenus, en plus de Saïd Bouteflika, il y a les hommes d’affaires Ali Haddad, Ahmed Mazouz, propriétaire du groupe GM Trade, Kouninef Karim, sa sœur Souad, ses frères Réda et Abdelkader, Mahieddine Tahkout, son frère Brahim, Aghiles Haddad (fils de Ali Haddad), Mohamed Bairi, Achour Aboud, ancien patron de la BNA, Tahar Missoum, ancien député, de nombreux cadres du ministère des Travaux publics, mais aussi des sociétés en tant que personnes morales, comme  l’italienne Rizzani, la turque Mapa. 

Lors du procès en première instance devant le pôle pénal économique en janvier dernier, Saïd Bouteflika, qui a comparu par visioconférence, a dénoncé des «violations de la procédure», le fait de «n’avoir pas été auditionné par le juge d’instruction», mais aussi de n’avoir «pas pu voir» son avocat en raison de son transfert vers la prison d’El Bayadh, avant de refuser de répondre aux questions du juge, arguant qu’il a «déjà été jugé pour les mêmes faits». 

La majorité des prévenus ont nié les griefs retenus contre eux, mais le procureur n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Durant son réquisitoire, il a réclamé une peine de 15 ans de prison contre Saïd Bouteflika, les trois frères Kouninef et Ahmed Mazouz, 18 ans contre Ali Haddad et Mahieddine Tahkout, 12 ans contre Mohamed Bairi, et d’autres,  allant de 3 à 10 ans, contre plusieurs prévenus, alors que le Trésor public a demandé une réparation de 500 milliards de dinars (500 000 milliards de centimes). 

Des demandes qui avaient fait réagir Saïd Bouteflika, lequel a transformé son dernier mot en une longue déclaration. Il s’en est pris avec virulence au représentant du parquet en lui reprochant son «discours de haine» et «irrespectueux» à l’égard de son défunt frère, le Président déchu, avant d’ajouter : «Dans un Etat de droit, il aurait été placé en détention.» Saïd Bouteflika est longuement revenu sur ses relations avec Ali Haddad et les frères Kouninef, puis a demandé au tribunal «d’enregistrer tous ses procès et d’en faire une série pour le mois de Ramadhan». 

Mais les sentences ont été très lourdes. Une peine de 12 ans assortie de 8 millions de dinars a été infligée à Saïd Bouteflika et Ali Haddad, une autre de 15 ans à Mahieddine Tahkout et Souad Kouninef (en fuite), alors qu’une condamnation de 12 ans a été infligée à Ahmed Mazouz, une autre de 10 ans aux trois frères Kouninef et à Brahim Tahkout, 5 ans à Tahkout, Hamid Rachid et Nacer, et 8 ans de prison à Mohamed Bairi. Les autres peines vont de 6 mois à 5 ans de prison, alors que 25 prévenus avaient bénéficié de la relaxe. 

Le tribunal a condamné Saïd Bouteflika et les hommes d’affaires à payer solidairement la somme de 500 milliards de dinars au Trésor public, comme réparation au préjudice subi. L’audience d’hier reprendra aujourd’hui. 

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