Saccage de la stèle en l’honneur de l’émir Abdelkader à Amboise : «Nous instruire de l’histoire de l’Emir»

15/02/2022 mis à jour: 02:22
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Photo : D. R.

Ahmed Bouyerdene est historien, spécialiste de l’Emir Abdelkader. Christian Delorme est prêtre catholique du diocèse de Lyon, engagé dans le dialogue interreligieux. Tous deux ont réagi au saccage de la stèle en l’honneur de l’Emir Abdelkader, à Amboise, érigée suite aux recommandations du rapport Stora (janvier 2021).

Paris
De notre bureau

C’est dans une tribune parue dans Le Monde, que l’historien auteur de Abd el-Kader par ses contemporains. Fragments d’un portrait (réédition Albouraq, avril 2022), Ahmed Bouyerdene, et le prêtre Christian Delorme ont dénoncé ce «véritable outrage contre l’art, contre l’histoire, mais également contre la culture de paix et de la réconciliation». 

Leur ressentiment est d’autant plus vivement exprimé que «l’émir Abdelkader est, sans conteste, le fondateur du premier Etat algérien et, on peut l’affirmer, le père de la nation algérienne moderne. Comparable à d’autres grands libérateurs de son temps tels Bolivar ou Garibaldi, l’Emir représente d’abord un motif de fierté pour tous les Algériens et pour tous les Français d’origine algérienne. Mais cette envergure politique qui le caractérise ne doit pas masquer son humanisme spirituel, sa promotion de l’interconnaissance, et sa volonté de conjuguer tradition et modernité ».

Ainsi, rappellent-ils, «véritable légende de son vivant même, l’émir Abdelkader a inspiré de nombreux littérateurs mais également des artistes, tels qu’Horace Vernet, Ange Tissier, Jean-Baptiste Carpeaux, ou encore les maîtres de la photographie Gustave Le Gray ou Etienne Carjat. Les odes, en vers ou en prose, qui louent ses qualités et son éthique, fleurissent comme celles de Victor Hugo ou d’Arthur Rimbaud, pour ne citer que les plumes les plus prestigieuses. Plus près de nous, à l’été 2021, l’organisation dans le Pays souletin d’une pastorale basque, spectacle haut en couleur de trois heures, qui a réuni près de 5000 personnes sur quatre représentations, pour célébrer Abdelkader, montre qu’il demeure une figure inspirante de l’histoire de France».

Hormis la détestation de l’Algérie, commune à des sphères d’extrême-droite de plus en plus décomplexées et prêtes aux actes les plus abjects, les deux signataires de la tribune expliquent aussi comme moteur de ce saccage «la haine des musulmans, qui monte, nourrie par des discours à prétention politique qui jouent sur les peurs et les désarrois des Français dans un climat délétère où se cumulent grandes mutations internationales et crise sanitaire».
Pourtant, se questionnent-ils, «l’Emir Abdelkader mérite-t-il de prendre sur lui le déferlement de cette haine ou de ces ressentiments ?

 Depuis quelques mois, nous sommes malheureusement confrontés à des réécritures mensongères de l’histoire à des fins électoralistes, et l’on peut se dire que dans la critique haineuse qui est faite du héros algérien, il n’y a qu’une menée révisionniste supplémentaire. La facilité avec laquelle cette histoire biaisée trouve son public, notamment via les réseaux sociaux, s’explique par une méconnaissance de l’histoire et notamment de cette figure majeure du XIXe siècle».

Enfin, les deux auteurs de la tribune estiment qu’à l’occasion du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, «nous avons besoin de regarder vers Abdelkader, de nous instruire de son histoire et de nous nourrir de son exemple. Il doit absolument entrer dans les manuels scolaires, et pas seulement de manière anecdotique. Il offre également une source non négligeable pour les étudiants en histoire ou en islamologie».

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