C’est connu, l’histoire est écrite par les vainqueurs. Ce qui est moins connu est que l’histoire peut aussi être racontée, voire filmée, par les vaincus, mais longtemps après. Les Indiens d’Amérique, les Japonais ou les Noirs esclavagisés ont eux aussi donné leur version.
Quand à l’Algérie, comme le Vietnam ou la Russie, elle est sortie vainqueur de son affrontement et a fait ses propres documentaires. Pour autant, la maîtrise de l’image reste un exercice délicat, et c’est d’ailleurs une image, documentaire, cette petite fille nue courant affolée devant un bombardement US, qui a choqué l’opinion internationale et contribué à l’arrêt de la guerre au Vietnam, et le peu d’images venant de Ghaza, filtrées par les médias mainstream expliquant cette féroce guerre de l’image.
Mais pour la guerre d’Algérie, vivier important de production cinématographique, les documentaires français et algériens sur ce sujet sont-ils les mêmes ? Durant la guerre, évidemment non, quelque temps après l’indépendance, toujours pas ou peu, mais depuis quelques années, ils relatent tous deux globalement la même histoire, celle d’une colonisation cruelle et d’une révolution autant juste que salvatrice, malgré les regrets d’une partie de l’élite française qui heureusement ne fait pas films, et d’une minorité en Algérie, qui heureusement aussi ne connaît rien au cinéma. Mais du point de vue cinématographique, les Algérien(ne)s aiment-ils l’histoire ou les histoires ?
Écrire ou lire, il ne faut pas choisir
Dans une librairie d’Alger-Centre où les ouvrages se côtoient, la gérante explique : «Les Algérien(ne)s adorent les essais documentaires, les livres sur l’histoire de l’Algérie et ça se vend mieux que les romans de fiction.» Mais en cinéma ? En l'absence de statistiques, de chiffres de salles ou de système d’audimat, il faut revenir sur Le roman algérien, trilogie documentaire filmée, écrite et produite par Katia Kameli en 2019, qui démarre au centre d’Alger où un vendeur et son kiosque à images accroche avec des pinces à linge cartes postales anciennes, affiches, portraits d’hommes politiques, images orientalisantes et images des premières années de l’indépendance aux barreaux des fenêtres d’un immeuble. Pour se retrouver ensuite dans le 2e chapitre aux côtés d'historiens, de sociologues et d’experts en passant par la journaliste-photographe Louiza Ammi et son travail sur la décennie noire, et finir au 3e volet dans le hirak, tourbillon festif mais avec des images référence aux héros de la Révolution accrochées partout.
Ce travail sur l’image nationale est important et pose cette question pour la première partie des images, pourquoi nombre d’Algérien(ne)s aiment à poster sur les réseaux sociaux, dans les cafés ou restaurants des cartes postales coloniales comme s’il s’agissait de soulever de la nostalgie ? C’est aux psychologues d’y répondre, et pour revenir à l’histoire, s’il y a bien une commission historique officielle algéro-française chargée de l’étudier, les cinéastes d’ici et de France n’attendent pas ses conclusions pour continuer à raconter la guerre d’Algérie, près de 200 films et documentaires ayant ainsi traité du sujet.
Avec pour l’Algérie, un problème particulier qui s’est posé, la confusion entre biopics, tendance récente, et documentaires historiques, les premiers ressemblant souvent aux seconds sauf quand ils sont bien faits, Ben M’hidi ou Zighoud Youcef par exemple. Mais en dehors des commandes d’Etat, peu s’y aventurent aujourd’hui, sujets sensibles qu’il ne faut pas toucher avec cette instauration d’une commission de lecture des anciens moudjahidine pour tout film, fiction ou documentaire, qui a trait à la Guerre d’indépendance ou aux personnalités qui y sont liées.
L’histoire c’est compliqué. Surtout quand on n’y était pas. En ces JO à Paris, où la cérémonie d'ouverture a livré des images qui ont choqué beaucoup de gens, il est utile de citer Napoléon, «l’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord».