Le groupe armé antigouvernemental du M23 soutenu par des forces rwandaises a pris hier le contrôle de la quasi-totalité de Goma, la grande ville de l'est de la République démocratique du Congo (RDC), rapporte l’AFP.
Le président angolais Joao Lourenço, qui dirigeait les derniers efforts de médiation entre la RDC et le Rwanda, a demandé le «retrait immédiat» du groupe armé et des troupes rwandaises du territoire congolais dans un communiqué.
Le président angolais «déplore l'occupation de la ville de Goma et appelle au retrait immédiat du M23 des territoires illégalement occupés», mais «également au retrait immédiat des Forces de défense rwandaises du territoire congolais», des «conditions nécessaires à la convocation d'un sommet tripartite à Luanda».
L’ambassadeur itinérant du Rwanda pour la région des Grands Lacs, Vincent Karega, a déclaré que le M23 «va continuer» d'avancer dans l'est de la RDC, voire au-delà. «Ils vont continuer dans le Sud-Kivu, parce que Goma (capitale du Nord-Kivu, ndlr) ne peut pas être une fin en soi, à moins qu'entre-temps ils ne négocient avec le gouvernement de Kinshasa, ce dont je doute», a-t-il indiqué.
Plus tôt, l'Agence congolaise de presse (ACP) a affirmé que le président de la RDC «ne participera pas» à une réunion avec son homologue rwandais Paul Kagame, initialement prévue hier à l'initiative du Kenya pour tenter de dénouer la crise dans l'est de la RDC. «Le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, ne participera pas au sommet virtuel des chefs des Etats de la communauté des Etats d'Afrique de l'Est», officiellement «pour des raisons d'agenda», a indiqué l’ACP. En mi-décembre, une rencontre entre les deux dirigeants prévue dans le cadre d'une médiation angolaise a été annulée.
Le président Tshisekedi était venu, mais pas son homologue rwandais. Mardi, la crise s'est étendue à la capitale Kinshasa (ouest). Des manifestants en colère y ont attaqué plusieurs ambassades, dont celle du Rwanda. Les ambassades de France, de Belgique et des Etats-Unis, des pays critiqués pour leur inaction dans cette crise, ont également été ciblées.
Les Etats-Unis ont appelé leurs ressortissants à quitter la RDC. L'ONU, les Etats-Unis, la Chine et l'Union européenne ont également appelé à la fin des combats ces derniers jours et demandé au Rwanda de retirer ses forces de la région. Paul Kagame, qui a eu mardi au téléphone le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio, a évoqué sur X la «nécessité d'assurer un cessez-le-feu» et de «s'attaquer aux causes profondes du conflit une fois pour toutes». Le gouvernement congolais a dénoncé une «déclaration de guerre du Rwanda» et ajouté vouloir «éviter le carnage» à Goma.
30 ans de conflit
La crise de la RDC remonte au génocide des Tutsi au Rwanda. D’avril à juin 1994, environ 800 000 personnes ont été tuées en seulement trois mois. Le Front patriotique rwandais (FPR), créé par des Tutsis en exil, a alors mené une offensive et est parvenu à prendre le pouvoir contre le gouvernement génocidaire et les forces armées rwandaises. Près de deux millions de personnes, essentiellement hutues, dont des miliciens auteurs du génocide, ont fui en direction du pays voisin, le Zaïre, l’actuelle RDC, alors dirigée par Mobutu Sese Seko.
Plusieurs milliers de déplacés ont été assassinés en chemin ou dans leurs camps par des groupes armés comme l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) désireuse de prendre le pouvoir à Mobutu Sese Seko, qui gouvernait sans partage depuis plus de trente ans. Chose faite en 1997, avec la prise de la capitale Kinshasa par cette coalition emmenée par Laurent-Désiré Kabila, qui devient le nouveau président du pays rebaptisé République démocratique du Congo. En 1998, le chef de l’Etat se brouille avec les militaires rwandais et ougandais qui l’ont aidé dans sa conquête du pouvoir.
Du 5 au 10 juin 2000, les Forces de défense du peuple ougandais (UPDF) et l’Armée patriotique rwandaise s’affrontent pour le contrôle de la région minière de Kisangani. En quête des nombreuses richesses minières de la RDC, les miliciens ougandais et rwandais se sont tournés vers les opposants de Kabila, lors de la deuxième guerre du Congo, de 1998 à 2002.
L’arrivée au pouvoir de Joseph Kabila après la mort de son père, assassiné en 2001 par l’un de ses gardes du corps, ne met pas fin aux tensions. En décembre 2002 est signé l’accord de Pretoria entre la RDC et le Rwanda. Il prévoit le retrait des soldats rwandais et le démantèlement des milices hutues génocidaires Interahamwe et la fin officielle de la seconde guerre du Congo.
Le 24 février 2013, onze Etats (Afrique du Sud, Angola, Burundi, Congo, Ouganda, République centrafricaine, RDC, Rwanda, Soudan du Sud, Tanzanie, Zambie) signent un traité. Ils sont rejoints en 2014 par le Kenya et le Soudan. Cet accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région, dit accord-cadre d’Addis-Abeba (Ethiopie), est censé mettre fin à la «seconde guerre du Congo».
Soutenu par l’Union africaine, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), l’Organisation des Nations unies (ONU) et la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), il vise à construire une solution durable aux conflits qui ravagent l’est de la RDC en s’attaquant à leurs causes fondamentales. Comme il exige un engagement de tous les Etats impliqués ou associés. Mais il n’a jamais été appliqué. Elu en 2018, F. Tshisekedi a entrepris de renouer les fils distendus sous son prédécesseur, Joseph Kabila, avec le Rwanda de Paul Kagame et l’Ouganda. Avec Kampala, Kinshasa a conclu plusieurs accords économiques et sécuritaires. Mais la paix est loin d’être consacrée.
Depuis fin 2021, le M23 et des troupes de l'armée rwandaise se sont emparés de vastes pans de territoire dans la province du Nord-Kivu, brièvement occupée par le M23 fin 2012. Ce dernier a ensuite été vaincu militairement, avant de faire son retour en 2021. Kinshasa accuse Kigali de vouloir piller les nombreuses richesses naturelles de l'est de la RDC, ce que le Rwanda dément. Les motifs de l’ingérence répétée du Rwanda dans l’est de la RDC sont, officiellement, d’ordre sécuritaire, notamment la menace que représenteraient les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).
En septembre 2023, le président Tshisekedi a demandé le retrait de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) après vingt-cinq ans de présence, la jugeant inefficace. «Il est temps pour notre pays de prendre pleinement son destin en main et de devenir le principal acteur de sa propre stabilité», a-t-il déclaré lors de l'Assemblée générale de l'ONU.
Le retrait «progressif» de la Monusco et de ses Casques bleus «est une étape nécessaire pour consolider les progrès que nous avons déjà réalisés», a-t-il estimé.
Il a observé que les missions onusiennes présentes depuis près de 25 ans «n'aient pas réussi à faire face aux rébellions et conflits armés qui déchirent ce pays et la région des Grands Lacs ni à protéger les populations civiles».