Il n’est pas exclu que le front social entre une nouvelle fois en ébullition comme au printemps dernier, surtout si les revendications des syndicats portant sur l’augmentation des salaires et l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs ne sont pas satisfaites.
Nous sommes aux portes de septembre, et en cette veille de «rentrée sociale», le contexte général, force est de le constater, est plutôt morose. On le voit partout autour de nous : de plus en plus d’Algériens sombrent dans la précarité. Celle-ci est nourrie, d’un côté, par une érosion vertigineuse du pouvoir d’achat et, d’un autre côté, par l’amenuisement des revenus des ménages et l’insécurité de l’emploi.
Et alors que la date officielle de la rentrée scolaire est enfin connue, la reprise des classes ayant été fixée au 21 septembre, l’angoisse des parents ira crescendo à mesure qu’approche le retour à l’école. De fait, un nombre important de pères et de mères de famille se font un sang d’encre en songeant au coût du cartable qui pèse de plus en plus sur le budget domestique, les prix des affaires scolaires ayant connu ces derniers mois une flambée spectaculaire.
Le gouvernement a annoncé la mise en place de marchés «Errahma» spécial fournitures scolaires. Ces marchés devaient être opérationnels à partir du 15 août écoulé, mais on n’en voit pas encore la trace sur le terrain.
Pour le reste, il faut dire que le problème est plus profond et ne se limite pas au coût de la rentrée scolaire. La vie est de plus en plus chère et de plus en plus dure dans tous les secteurs. Face à la montée galopante de l’inflation, les salaires et les pensions de retraite paraissent de plus en plus insignifiants.
Cela a fini par alarmer en haut lieu, et le dernier Conseil des ministres, dimanche dernier, a clairement annoncé : «Le président de la République a enjoint au gouvernement de procéder à la révision de l’allocation chômage et de la liste des bénéficiaires, des salaires des travailleurs et des pensions de retraite, en adéquation avec les équilibres financiers, en vue de leur introduction dans la loi de finances de 2023».
L’Algérie à la 98e place au classement mondial des salaires
Une étude publiée le 15 août par la revue économique américaine CEOWorld Magazine s’est amusée à dresser un comparatif entre les salaires nets mensuels moyens dans 105 pays. Et le résultat est assez édifiant. La Suisse arrive en tête avec 6142 dollars par mois, suivie par Singapour (4350 dollars) et l’Australie (4218 dollars).
Arrivent ensuite les Etats-Unis à la quatrième place avec 3721 dollars. Les Etats-Unis sont talonnés de près par les Emirats arabes unis qui occupent la 5e place avec 3663 dollars de rémunération mensuelle. L’Algérie, elle, est à la 98e place avec un salaire moyen de 249,67 dollars, soit, au taux officiel actuel, un peu plus de 41 580 DA.
Un chiffre qui n’est pas loin de celui de l’ONS. Dans son «enquête annuelle sur les salaires auprès des entreprises», enquête réalisée en mai 2019, l’Office national des statistiques nous apprenait que «le salaire net moyen en 2019 s’élève à 41 800 DA». «Il est de 58 400 DA dans le public contre 34 100 DA dans le privé», précisait le même organisme.
A titre de comparaison, et toujours selon le document publié par le magazine américain CEOWorld, la Tunisie est classée à la 96e place avec un salaire légèrement meilleur : 277, 44 dollars mensuels. Au Maroc, le salaire moyen est nettement plus élevé avec 385,53 dollars par mois. Même avec tous ses problèmes, le Liban occupe, à en croire cette même étude, une honorable 47e place avec un revenu mensuel moyen de 837 dollars.
Selon une autre étude, réalisée cette fois chez nous, par un syndicat, le Satef, le Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation, en décembre 2021, il faudrait 80 000 DA à une famille algérienne moyenne pour pouvoir vivre dignement. L’étude partait d’une comparaison entre les salaires et l’indice des prix à la consommation en 1995 et en 2021.
Nous sommes évidemment très loin de ces prétentions salariales. Pire encore : ce que l’on constate, à regret, c’est que non seulement les salaires stagnent mais ils ne sont même plus assurés. Les crises successives qui ont affecté le secteur économique ces dernières années ont fragilisé le salariat.
Cela a commencé avec la chute progressive des prix du pétrole en 2014 qui a directement impacté l’investissement public et porté un coup dur à un secteur important comme celui de la construction qui a pâti frontalement du recul de la commande publique. Après, il y a eu la crise politique de 2019, dans la foulée du hirak, et l’instabilité qui s’en est suivie.
Et le «pompon», ça a été la crise sanitaire de 2020-2021. Là encore, le BTPH (bâtiment, travaux publics et hydraulique) a été sévèrement touché par la récession provoquée par l’épidémie mondiale.
Selon l’Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA), la pandémie a provoqué la fermeture de 5700 entreprises et la perte de 150 000 emplois dans ce secteur en Algérie, recensement établi à la fin avril 2021, soit 10% de la main-d’œuvre embauchée dans le bâtiment, sachant que le secteur de la construction, d’après la même association, représente quelque chose comme 1,5 million d’emplois.
Plus de 2,4 millions de demandeurs de l’allocation chômage
Autre indice révélateur de cette précarité grandissante : le nombre de candidats à l’allocation chômage. Pour rappel, cette allocation, d’un montant de 13 000 DA, a été instituée en février 2022 par le chef de l’Etat.
Le directeur technique et chef de l’équipe des développeurs de la plateforme électronique «Minha» qui est rattachée à l’ANEM (minha.anem.dz), Yacine Fratssa, et qui était invité il y a quelques jours de l’émission «Moustaqbal Tech» sur la Chaîne I, a assuré que le nombre de bénéficiaires de l’allocation chômage depuis la mise en place de la plateforme numérique s’élève à plus de 1 838 000, tandis que le nombre des inscrits sur la plateforme est de 2 460 000 personnes. Des chiffres qui en disent long sur l’étendue réelle du chômage dans notre pays.
A la lumière de tous ces indicateurs, il n’est pas exclu que le front social entre une nouvelle fois en ébullition comme au printemps dernier, surtout si les revendications des syndicats portant sur l’augmentation des salaires et l’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs ne sont pas satisfaites.
On se souvient que les mouvements de protestation du mois d’avril avaient pour origine l’insatisfaction manifestée avec véhémence par plusieurs formations syndicales regroupées sous la bannière de la Confédération des syndicats algériens (CSA) après les annonces relatives à la révision de la grille indiciaire des salaires des personnels de la Fonction publique, jugeant ces hausses insuffisantes.