Repère : Secteur de la Pub : jusqu’où ira-t-on ?

07/12/2023 mis à jour: 23:36
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Dans la liste des toutes récentes mesures considérées comme «gratifiantes» pour la presse, décidées par la présidence de la République, une décision en particulier était attendue depuis longtemps par les médias parce que vitale et infiniment cruciale pour leur existence en tant qu’entreprises socioéconomiques.

Médias privés s’entend, car les entreprises publiques de presse ont leur quota de publicité assuré par l’ANEP.  Il s’agit, on l’a compris, de la mesure qui touche le secteur très sensible de la pub qui a toujours été au centre de controverses à répétition, notamment, à propos du monopole exercé sur le marché de la publicité, et aussi il faut le dire de fortes convulsions intra-muros dans un métier où le professionnalisme et la probité intellectuelle ne sont plus devenus des valeurs sûres.

Prendre donc la décision de revoir l’angle le plus pointu de la profession, c’est déjà en soi un engagement empreint de lucidité et l’affirmation d’une réelle volonté politique d’aller : d’abord vers une redéfinition claire du marché de la publicité sur la base de nouvelles règles qui l’extirperaient d’un système fondamentalement  rentier, dont l’influence et les redistributions inégalitaires ont fortement désagrégé le produit informationnel et journalistique.

Ensuite, vers la propension à une ouverture commerciale plus adaptée aux exigences économiques qui favorisent la libre entreprise et la recherche de la performance par la qualité du travail, le respect de la concurrence loyale et le mérite professionnel.

Autant dire, et ce n’est un secret pour personne, que tel que gérée et administrée jusque-là dans une configuration notoirement fourvoyée par la subjectivité et la partialité, le monopole étatique qui a toujours été imposé au marché de la publicité n’a jamais tenu compte réellement de ces critères.

Avec l’avènement du pluralisme médiatique, ce monopole qui était strictement consacré à des impératifs économiques et d’équilibres budgétaires pour permettre à la presse gouvernementale de se maintenir confortablement à flot, a mué à une autre fonction de régulation plus synchronisée qui a fini par le transformer en un paramètre «déstructurant» de l’espace médiatique dès lors qu’il a été «amalgamé « avec le contenu des journaux jugé un trop critique.

En termes plus clairs, l’ANEP récipiendaire de la manne publicitaire qui provient des entreprises et organismes publics, s’est-elle aussi pliée à ce rôle de simple distributeur des placards qui échouent sur son bureau sans aucune emprise sur leur destination.

La Pub étant devenue un élément de «classification», et forcément d’orientation, il va sans dire que c’est tout le marché de la publicité, ou ce qu’il en reste en termes de transactions commerciales qui s’est retrouvé complètement bouleversé, pour ne pas dire perverti. On a eu ainsi ce triste paradoxe de voir de grands journaux par leurs tirages et le nombre de lecteurs carrément marginalisés de cette manne publicitaire au profit de petites publications inconnues du public et parfois inexistantes dans les kiosques.

Pourquoi, comment, dans quel but ? Si l’injustice est profondément ressentie par ces titres à la notoriété incontestable auprès des lecteurs, ce sont souvent les organismes étatiques, pratiquement seuls annonceurs avérés compte tenu du retrait économique significatif du secteur privé de la scène publicitaire, qui sont pénalisés par cette répartition incongrue de la pub dès lors que leurs annonces ne vont pas vers les espaces les plus stratégiques. Il y a dans ce cas double avatar : perte de crédibilité  et perte d’argent.

Ce sont donc, pensons nous, toutes les anomalies et toutes les injustices provoquées volontairement ou pas qui doivent être nécessairement corrigées et remises à jour par le gouvernement pour donner un sens positif à la décision présidentielle de repenser le secteur de la publicité. Ce n’est pas une mince affaire de vouloir redynamiser une structure ou un système rentier traditionnellement adossé à la vision étatique, sans passer par sa redéfinition politique étroitement liée à la nature du dispositif  de la redistribution et il va sans dire à  son objectif. D’où cette question essentielle : ira-t-on jusqu’à réformer le principe même du monopole en optant pour une nouvelle décantation du marché publicitaire qui risque d’être libéré de toute tutelle ? Abolir le monopole, c’est en réalité mettre fin au système de contrôle et de dispatching orienté de la manne publicitaire pour le laisser aux seules exigences du marché et de la libre concurrence.

En arrière plan, évidemment, le plus important dans cette projection serait de voir l’édifice de la publicité, érigé depuis des années comme un appareil stratégique de régulation, se passer du jour au lendemain de l’influence (la pression) de la politique au niveau de son fonctionnement.

Il est difficile, en effet, d’imaginer que  sous la bonne intention de vouloir «réorganiser» le secteur de la publicité, les instances iront aussi loin dans les concessions. Pourtant, livrer la publicité à un marché concurrentiel relève strictement d’un postulat économique et managérial en ce sens que les médias ont davantage besoin de gardes fous de performances propres à leurs capacités créatives que d’un système d’assistanat.

Dans cet ordre d’idée, il est utile de rappeler que si la ressource émanant de la pub s’avère vitale pour la survie des entreprises de presse, elle est avant tout un droit économique garanti par les lois, et non une faveur accordée au gré des humeurs et... des connivences.  Lever ainsi le concept du favoritisme c’est incontestablement aider la presse à  retrouver les vrais repères du professionnalisme, et par extension du journalisme objectif libéré de ses contraintes, de ses crispations et de ses calculs mesquins.

On le voit, la mesure concernant la réorganisation du secteur de la publicité est loin d’être une simple sinécure, encore moins une coquetterie pour montrer ses bonnes dispositions à aller dans le sens du positif. Elle bouleverse en tous cas tout un fondement structurel et psychologique dans la perspective d’un progrès médiatique souhaité par tous. Pour l’heure, elle est encore en phase de réflexion et de maturation. Laissons-lui le temps de mûrir.

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