Rendre nos lois plus claires

17/04/2024 mis à jour: 01:01
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Dans le cadre d’une discussion d’un marché public s’est posée la question de la durée d’un marché à commande, l’un des interlocuteurs soutenait que la durée d’un marché à commande restait la même, à savoir 05 ans, et que la nouvelle loi régissant cette matière n’a apporté aucun changement par rapport au décret présidentiel n° 15-247 qui la précédait dans ce domaine. 


Cet interlocuteur a même soutenu qu’il a eu l’occasion de présenter récemment un marché à commande sur 05 ans à la commission des marchés et qui l’a approuvé en lui accordant le visa d’acceptation. 

Or, la lecture de cette nouvelle loi, à savoir la n° 23-12 dans le 2e alinéa de l’article 33 précise bien que «le marché à commandes porte sur une durée d’une année renouvelable. Il peut chevaucher sur deux (2) exercices budgétaires». Alors que l’article 34 du décret présidentiel n° 15-247 dans son alinéa 3 dispose que «la durée du marché à commandes ne peut excéder cinq (5) ans».

Ce changement de la part du législateur s’explique aisément car le marché à commande est lui-même un document comptable, il engage les parties signataires à mettre directement en œuvre son contenu, il n’a pas besoin d’un autre document pour être exécutable. 

L’inconvénient est que dans ce type de marché, les parties conviennent que les prix sont fermes et non révisables et une durée de 05 ans qui était acceptable en 2015 ne l’est plus en 2023 car les prix sont devenus instables et n’arrangent pas les partenaires du service contractant, puisque ces derniers ont exprimé la révision des prix mentionnés initialement et, tenez-vous bien, en se basant sur des mercuriales officielles.


Ce qui a amené le législateur à procéder à cette modification par une adaptation à la réalité car la technique du marché à commande arrange bien le service contractant.

Ceux qui continuent à croire que la durée d’un marché à commande est toujours de 05 ans se sont limités à la lecture de l’article 32 de la loi n° 23-12 qui régit les contrats programmes et où il est bien précisé que «le contrat-programme... peut chevaucher sur deux (2) ou plusieurs exercices budgétaires...»
Cette disposition ajoute «...Dont l’exécution se réalise à travers des marchés d’application, conclus conformément aux dispositions de la présente loi».
 

Il en ressort que le contrat programme n’est qu’un protocole d’accord qui prévoit les grandes lignes, les prix sont renvoyés au contrat d’application qui lui est un document comptable qui permet à l’ordonnateur de procéder au paiement et le contrat d’application est annuel, et il permet de fixer de nouveaux prix en fonction de la situation du marché sans qu’aucune partie ne soit lésée. 

On constate de ce qui précède qu’une simple lecture permet de comprendre que les marchés à commande ne doivent pas dépasser 02 années, mais la rigueur juridique dans des cas pareils oblige à revenir à la volonté du rédacteur et du législateur pour comprendre mieux l’objectif de la disposition débattue. Ce qui nous amène à la raison principale de l’exposé public de cette problématique qui n’est pas en réalité de débattre de la durée du marché à commande, mais de la manière dont sont présentées les lois au législateur mais aussi par comment se fait l’examen du texte par le législateur lui-même.


1 - Concernant la présentation du texte au législateur


Notre tentative de retrouver l’explication et la philosophie de cet article dans un exposé des motifs a échoué puisque celui présenté par le ministère des Finances est limité à 03 pages, il n’a pas pris en considération que c’est la première fois que les marchés publics vont être régis par une loi et il a fait passer l’évènement dans le silence.

Cet exposé est général, les articles ne sont ni commentés ni expliqués, ce qui fait de lui plus une présentation qu’un exposé des motifs, par conséquent, il ne peut être d’aucune utilité pour la doctrine juridique car la volonté et l’objectif visés par le rédacteur n’apparaissent pas.


Ceci va compliquer la mise en œuvre non seulement par les gestionnaires mais aussi par les magistrats dans l’appréciation des responsabilités et encore plus au chercheur dont la tâche est d’éclairer ses concitoyens. Tous ces éléments vont à l’encontre d’une exécution uniforme sur le territoire national.


2- Concernant le débat de la loi par les parlementaires


L’examen des journaux officiels des débats de l’APN n°175 du 02/08/2023 et 177 du 30/07/2023 qui reprennent le débat concernant cette loi montrent que le rapporteur s’est contenté d’énoncer les articles qui ont subi des changements et ironie du sort l’article 33 de la loi n° 23-12 qui réduit la durée du marché à commandes à 02 contrairement à l’article 34 du décret présidentiel n° 15-247 qui la fixait à 5 ans n’est ni signalé ni expliqué alors que c’est une modification importante. 


La seule référence à l’article 33 de la loi n° 23-12 qui existe est une demande de correction de forme formulée par un député qui consistait à préciser en lettres la durée. L’examen des débats transcrit au niveau des journaux officiels de l’Assemblée nationale populaire (APN) fait apparaître que la discussion de cette loi a été globale et non article par article comme il se doit et comme préconisé par les principes en usage à travers le monde mais aussi par le guide légistique élaboré par le secrétariat général du gouvernement.
Même si certains députés sont intervenus d’une façon précise sur le contenu de quelques articles, leurs interventions restent diluées dans l’ensemble des débats, et cette façon de faire ne permet pas d’analyser les liens existants entre les articles, car une loi est un tout et elle se doit d’être rédigée d’une façon cohérente.


Les examens article par article qui existent ne portent que sur ceux qui font l’objet de propositions d’amendement dont certaines ont été retirées, le reste des amendements est varié, il porte souvent sur des rajouts pour apporter plus de précisions à la disposition. La commission quant à elle a procédé à 10 modifications, 55 articles du projet sont restés tels quels. 

L’examen de la transcription des débats dans les journaux officiels des débats a montré que le projet a été discuté par uniquement 04 personnes au niveau de la commission, composée initialement de 61 députés comme l’a déclaré l’un des députés et en plénière seuls 60 députés sont intervenus, soit 14% de l’ensemble, ce qui est peu au regard de l’évènement. 

La plupart des députés ont plus abordé d’éventuels faits de corruption, de manques de crédits de paiement et de généralités concernant la passation des marchés publics. 

Le manque de visibilité des textes provoque souvent la mise en œuvre de la procédure de demande d’avis juridiques auprès de la direction des marchés du ministère des Finances qui a enregistré l’expression de plus de 1000 demandes formulées par les services contractants. Le ministre des Finances l’a qualifiée de désastre dans sa réponse aux députés lors de la présentation de la loi n° 23-12 (Voir JOD n° 175).

Ce qui nous renvoie à la nécessité d’un exposé des motifs qui d’ailleurs est exigé par le guide juridique élaboré par le secrétariat général du gouvernement qui préconise que le projet de texte juridique doit être accompagné de l’exposé des motifs en langue arabe et française.

L’exposé des motifs a pour fin de préciser les raisons qui se trouvent à l’origine du projet de texte. Il sert de référence dans l’interprétation des dispositions du texte. Le guide conseille à ce qu’il soit précis et clair.
L’exposé des motifs trouve son ancrage juridique non seulement dans les instructions gouvernementales n°041 du 12 décembre 1994 émanant du chef du Gouvernement et n°077 du 02 février 2000 émanant du Secrétaire général du Gouvernement, mais également dans l’article 19 de la loi organique n°16- 12 du 25 août 2016, modifiée et complétée, fixant l’organisation et le fonctionnement de l’APN et du Conseil de la nation ainsi que dans les relations fonctionnelles entre les chambres du Parlement et le Gouvernement, aux termes duquel chaque projet ou proposition de loi doit être accompagné d’un exposé des motifs.
 

Il est soumis à la discussion, mais n’est pas publié au journal officiel. Il constitue l’un des éléments des travaux préparatoires du texte juridique, auquel on peut se référer pour s’assurer de la volonté du législateur. Les débats des parlementaires gagneraient plus de clarté par l’organisation de leur intervention basée sur un examen des textes article par article et de se limiter uniquement à ce sujet sans y intégrer d’autres, totalement étrangers à l’objet de la séance afin d’éviter la dilution de leurs observations dans un ensemble de discours à caractère général. 


Une loi gagnerait beaucoup à être d’abord débattue en plénière pour s’assurer de son impact sur le plan social, économique, politique et même international.

Cet examen en plénière permettra aussi de s’assurer de sa cohérence avec le système juridique national. Un retour vers la commission concernée en présence de son auteur pour apprécier les impacts soulevés en plénière, il est fort possible que les éléments dégagés peuvent amener son auteur à la retirer.

En cas de maintien, le texte revient en plénière pour être débattue article par article et le style de chaque disposition sera appréciée ainsi que sa faisabilité et sa cohérence et il ne restera par la suite à la commission que la rédaction définitive des articles pour les présenter au vote.   

Cette manière de faire révélera que si les quatre cent députés ont compris le texte de la même façon, cela veut dire que les agents chargés de son application le comprendront aussi de la même façon et sa mise en œuvre sera uniforme sur tout le territoire national sans aucune interprétation et si l’interprétation d’un texte disparait, cela constituera un grand coup pour la bureaucratie.

La législation dans la plupart des pays joue le rôle de catalyseur qui propulse les changements sociaux et économiques. La législation a toujours été et restera toujours pour les décideurs un instrument de gestion de leurs sociétés. Par les lois, le citoyen se sentira ou ne se sentira pas en sécurité dans son pays si elles assurent un cadre stable qui lui permet de se projeter dans le futur ou une instabilité qui le poussera à fuir physiquement et financièrement vers d’autres horizons. Pour cette raison aucun effort ne doit être négligé pour rendre notre législation et notre règlementation claires.
 

Par Mohamed Benkraouda 
Association nationale des anciens magistrats de la cour des comptes ANAMCC. 
 

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