Règlement de la crise libyenne : Les Parlements libyens veulent éjecter Dbeiba du pouvoir

04/03/2024 mis à jour: 17:00
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Des parlementaires libyens réclament l’installation d’un nouveau gouvernement qui organisera les prochaines élections. Pour eux, Abdelhamid Dbeiba ne fait pas partie de la solution

Tunis a abrité, mercredi 28 février, une réunion groupant 120 membres de la chambre des représentants et du Conseil d’Etat libyens. La tenue de la réunion a d’abord suscité les réserves des autorités tunisiennes, soucieuses de garder une neutralité positive dans le dossier libyen, avant qu’il n’y ait accord sur la tenue de la rencontre en la qualifiant toutefois de consultative. 

Les présents ont convenu d’adopter les lois électorales adoptées par le Parlement libyen en octobre dernier et issues de la commission 6+6 de Skhirat au mois de mai 2023 qui réclament l’installation d’un nouveau gouvernement qui aura pour mission d’organiser les prochaines élections. Lequel gouvernement sera désigné par le Parlement et le Conseil de l’Etat, en concertation avec l’envoyé spécial de l’ONU. 

Les présents à Tunis ont également exprimé leur accord avec les recommandations du Conseil de sécurité. Le chef du gouvernement d’Union nationale, Abdelhamid Dbeiba, a exprimé, lui aussi, un accord favorable aux recommandations du Conseil de sécurité, notamment l’appel à l’application de l’initiative de l’envoyé Bathily, en insistant sur sa disposition à être présent à la réunion de réconciliation des cinq dirigeants libyens, cités par Bathily. 

Il s’agit des deux présidents des deux Chambres, Salah Aguila et Mohamed Takala, du président du Conseil présidentiel, Mohamed El Menfi, de l’homme fort de l’Est libyen, Khalifa Haftar et du chef du gouvernement d’Union nationale, Abdelhamid Dbeiba. Or, l’une des recommandations de l’accord des 6+6’ consiste à installer un nouveau gouvernement. Donc, pour les deux Parlements, Abdelhamid Dbeiba ne doit pas faire partie des négociations. Ainsi, tout le monde joue sur le flou réel de la déclaration du Conseil de sécurité. 

Ils vont donc renvoyer leurs différends à la phase suivante, en prétendant se plier aux recommandations du Conseil. 

Le ballet diplomatique bat ainsi son plein. Abdelhamid Dbeiba ne compte pas se laisser faire. Il était vendredi 1er mars en Turquie où il a rencontré Erdogan à Antalya. La Turquie essaie de renforcer sa présence en Libye. Paris s’apprête, pour sa part, à retrouver un rôle actif dans ce pays, en abritant une rencontre entre le président du Parlement, Aguila Salah, avec le président du Conseil d’Etat, Mohamed Takala. 

L’objectif de la réunion prévue prochainement dans la capitale française serait de valider ce qui a été convenu entre les 120 membres des deux institutions à Tunis, à savoir l’adoption des lois électorales parrainées par le parlement en octobre dernier. 

Reste toutefois l’accord sur l’épineuse question d’installer un nouveau gouvernement technocrate pour parrainer les élections. Et, même s’il y a accord pour éliminer le premier ministre Abdelhamid Dbeiba, il faudrait une entente sur le nom du nouveau chef de gouvernement (technocrate). La tâche ne semble pas de tout repos. Si Paris parvient à rapprocher Aguila et Takala et les accorder sur un nom, pareil accord ouvrirait largement la voie à des résolutions réalisables lors du futur Congrès de réconciliation de Syrte, prévu fin avril prochain.

Le Conseil présidentiel, l’Union africaine, la délégation de l’ONU ainsi que plusieurs pays africains travaillent depuis près d’un an sur la tenue de ce congrès de réconciliation nationale à Syrte, le 28 avril prochain. 

Plusieurs conférences préparatoires ont eu lieu et vu la présence de participants de tous bords. Les organisateurs comptent sur ce congrès pour parvenir à une solution libyo-libyenne à la crise.  Le Président congolais Sassou-Nguessoest est à la tête du haut comité de l’Union Africaine pour le renforcement de la réconciliation en Libye. Sassou-Nguesso compte être présent à Syrte le mois prochain.  

L’Algérie joue également un grand rôle dans cette initiative. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a déclaré lors de son intervention à Addis-Ababa en Février dernier lors de la 37ème session ordinaire de l’Union Africaine, que les Libyens doivent saisir cette opportunité afin de ressouder leur unité et contribuer efficacement aux efforts de l’ONU pour tenir des élections, la solution idoine espérée en vue de résoudre cette crise. 

C’est dire l’importance accordée par plusieurs pays à une solution en Libye, encore faut-il que les puissances tirant profit du chaos actuel, ne mettent pas les bâtons dans les roues et acceptent de retirer leurs hommes et leurs arsenaux militaires, à commencer par la Turquie, la Russie et les Emirats arabes unis. 

Le doute est permis quant aux intentions des uns et des autres, surtout lorsque l’on observe le ballet diplomatique actuel. La Turquie vient d’accueillir le chef du gouvernement d’Union nationale, Abdelhamid Dbeiba, qui vient de signer un nouvel accord de coopération militaire avec le ministre turc de la Défense. Ce développement ne laisse pas présager qu’il y aura un prochain retrait des Turcs de Libye. 

Le président du Conseil de l’Etat, Mohamed Takala, est également en ce moment en Turquie où il est arrivé, lui-aussi, vendredi 1er mars. Takala vient de faire un séjour à Moscou où il a discuté avec les Russes de la situation en Libye. Ankara est sûrement importante sur l’échiquier libyen. C’est la raison pour laquelle elle est la destination de plusieurs leaders libyens. 

Pour sa part, l’ambassadeur russe à Tripoli a tenté de rappeler dans ses déclarations médiatiques que «Moscou encourage les Libyens à discuter entre eux pour parvenir à des élections permettant de rétablir la stabilité dans le pays». 

Le diplomate russe a insisté sur le fait que la Russie «veut garder l’unité de la Libye et évite tout esprit d’ingérence». Il répond de la sorte aux accusations sur l’encouragement russe de la scission de l’Est libyen. Toutefois, entre la réalité du terrain et les propos diplomatiques, il y a généralement un fossé et c’est ce qui explique les développements tragiques en Libye. 

Inquiétudes et calculs

Deux questions fondamentales inquiètent les puissances occidentales à propos de l’avenir de la Libye, la gestion de la reconstruction de Derna et la présence militaire russe dans l’est du pays. Le dossier de la reconstruction, notamment à Derna, attise les convoitises en raison de l’importance des contrats et de l’opportunité offerte aux Occidentaux pour accéder à l’Est libyen, où ils sont absents depuis les élections de Juin 2014 et la mainmise progressive de Khalifa Haftar sur la région. 

En effet, en l’absence d’un gouvernement central assurant la gestion et le contrôle sur toute la Libye, c’est celui de Oussama Hamed, désigné par le parlement, qui gère les affaires dans l’Est libyen. Il a organisé à Benghazi, début novembre 2023, une conférence internationale pour la reconstruction de Derna et Benghazi. La majorité des grandes entreprises occidentales n’étaient pas présentes, faute de reconnaissance internationale du gouvernement de Hamed. 

La situation n’incommode pas le parlement et son gouvernement. Ils ont créé un Fond de développement et de reconstruction et accordé sa gestion à Belgacem Haftar, le cadet des fils du Maréchal autoproclamé Khalifa Haftar, avec des pouvoirs étendus. Belgacem Haftar a déjà commencé les attributions des marchés aux Egyptiens et aux Emiratis. 

L’Occident et ses entreprises se sentent bien évidemment exclus de ces marchés juteux. D’où leurs inquiétudes. Cela expliquerait les visites nombreuses d’officiels américains dans l’Est libyen.  Le dossier de la présence russe dans l’Est libyen inquiète également, et à très haut niveau, l’Occident et, notamment, les Américains. Aux dernières nouvelles, Khalifa Haftar est en train de négocier avec les Russes le renforcement des capacités de ses forces militaires en contrepartie de l’exploitation, d’un port libyen, celui de Benghazi ou de Toubrouk, par les forces navales russes. Moscou est tenté par cette alternative pour s’offrir un port d’attache en Méditerranée occidentale aux côtés de celui de Tartous en Syrie plus à l’Est. Les Américains sont conscients que pareil scénario renforcerait la Russie en Afrique et en Méditerranée. Washington veut donc prêter plus d’attention à cette question tant que les jeux ne sont pas encore finalisés. 

Pareille initiative pourrait même aboutir à une scission définitive en Libye. La craintes sont fondées d’autant que le statuquo actuel est maintenu par un accord tacite entre les Turcs qui soutiennent Tripoli et les Russes qui soutiennent Benghazi. Washington s’inquiète également des manœuvres rivales de Dubaï et Doha, très présents dans le dossier libyen. Doha est avec Dbeiba alors que Dubaï soutient Haftar. 

La Libye est donc toujours au centre de fortes rivalités géopolitiques. Les tractations de Tunis, Paris, Istanbul et Moscou ne pourraient être qu’une manifestation de cette lutte, au grand dam des Libyens. 

Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami

 

 

L’Américaine Stéphanie Khoury nommée assistante de Bathily

La nomination de l’Américaine Stéphanie Khoury pour assister Abdoulaye Bathily dans les affaires politiques s’inscrit surtout dans les efforts des Etats-Unis destinés à éviter à la Libye de tomber dans l’escarcelle russe. La récente nomination de Belkacem Haftar par le Parlement libyen à la tête de toutes les instances de reconstruction en Libye a poussé Washington à contacter Haftar Jr directement, en vue de se replacer sur l’échiquier. Le jeu du trio Russie-Turquie-Emirats en Libye inquiète les Américains et les a poussés à la nécessité de suivre de près l’évolution de la situation. Stéphanie Khoury bénéficie de 30 ans d’expérience dans la médiation politique et les négociations de paix et de conciliation en phase de conflit ou de post-conflit, y compris au Moyen-Orient. Elle a travaillé durant plus de 15 ans avec les Nations unies en Irak, au Liban, en Libye, au Soudan, en Syrie et au Yémen. Khoury vient de quitter le poste de directrice des affaires politiques dans la mission de l’ONU pour renforcer la phase de transition au Soudan.  S.M

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