Dans le cadre des consultations d’usage au titre de l’article IV, l’équipe du Fonds monétaire international (FMI) a terminé sa mission, qui a débuté le 3 décembre, le 14 décembre 2023. Cette équipe dirigée par Chris Geiregat a fait des déclarations qu’elle qualifie de préliminaires. Les opinions qui y sont contenues «sont celles des services du FMI et ne sont pas nécessairement celles de son conseil d’administration».
Probablement, cet organe suprême du FMI dispose d’autres sources qui peuvent ajuster ces conclusions préliminaires qui feront l’objet d’appréciation de leur direction avant de les porter au niveau du conseil d’administration pour une décision finale.
Cette équipe constate un effort appréciable du rééquilibrage progressif qui pourrait «préserver» la vigueur des finances mais risque de ne pas absorber les chocs externes. Elle revient comme à chacun de ses passage prônant la flottabilité du taux de change pour le soumettre à l’offre et la demande. S’agissant d’une économie tout au début de sa compétitivité, cette flexibilité l’obligerait comme d’habitude à la dévaluation de sa monnaie pour rééquilibrer son budget.
Il se trouve que l’économie algérienne à chaque fois qu’elle dévalue sa monnaie, s’écarte plus du taux de change parallèle devenu un vrai casse-tête pour les décideurs.
La conjoncture immédiate est en bonne voie mais pourrait être perturbée par une inflation assez élevée. Quant à celle sur le moyen et le long terme, elle reste «tributaire» des réformes en cours dont la plus importante est celle qui vise la diversification de l’économie qui se confirme d’année en année. L’encouragement à une croissance «inclusive» dans laquelle le secteur privé devra contribuer et favorise la création d’emplois. Pour l’équipe, la fermeté de l’inflation, l’instabilité des prix des hydrocarbures et les aléas climatiques «constituent un risque majeur» pour le maintien du cap de ses efforts gigantesques.
1- Une croissance de 4,2% tirée principalement par les hydrocarbures
L’équipe semble, selon les déclarations du conférencier, constater avec satisfaction les efforts du programme gouvernemental pour d’abord assainir le climat des affaires, et les dernières sorties du président de la République pour encourager les investisseurs et les rassurer du soutien de l’Etat. Une nouvelle orientation stratégique en cohérence avec les contraintes particulières de l’Algérie. Quelles sont ces contraintes ?
D’abord, tout porte à croire que la nouvelle loi sur les hydrocarbures n’a pas drainé assez d’investisseurs pour explorer les zones vierges, mais semble plutôt intéressée par les gisements existants pour moins de risque. Ces zones vierges, toute forme confondue des hydrocarbures, à savoir conventionnels, Tight et carrément les non-conventionnels ainsi explorées, auraient pu étoffer le domaine minier en augmentant les réserves.
Ce domaine est sous-exploré et n’est exploité qu’à 40% de sa superficie réévaluée à plus 1 750 000 km2. Pour Alnaft, «ces chiffres témoignent de la diversité d’opportunités présentes et de l’ampleur des investissements à considérer dans les perspectives d’une valorisation optimale des ressources existantes».
Tenant compte de l’importance des recettes des hydrocarbures pour financer le circuit économique et social, le pays vise à augmenter les exportations du gaz à 100 milliards de mètres cubes. La deuxième contrainte est la consommation interne des produits pétroliers qui augmente à un rythme effréné selon les chiffres révélés par l’Agence de régulation des hydrocarbures (ARH). Ainsi, selon son responsable au premier semestre 2023, le taux de croissance de cette consommation a frôlé les 6,7% avec 8,69 millions de tonnes consommées qu’elle impute «à la dynamique économique que connaît le pays».
Cette augmentation effrénée de la consommation interne ponctue le volume des exportations qui sert non seulement à l’accompagnement de la transition énergétique mais aussi à l’augmentation de la production des produits hors hydrocarbures pour parer cette forte dépendance de l’économie nationale des hydrocarbures.
La troisième contrainte serait le déclin naturel des gisements matures. Trop préoccupé à étoffer un domaine aussi vaste que celui minier, on a peut-être délaissé nos gisements existants, que maintenant, c’est une opportunité de les reprendre, les entretenir et augmenter leur taux de récupération en encourageant les investisseurs étrangers fortement intéressés. Ces trois contraintes ont été sur orientation du président de la République mises en équation pour repousser le 5e appel d’offres et «opter pour une multiplication des partenariats pour l’intensification de l’exploration, afin de découvrir de nouveaux gisements et pour l’optimisation de certains champs de Sonatrach, appelés champs matures (des champs en fin de vie), en déclin».
Selon toute vraisemblance, il favorise le contact direct avec les grandes compagnies que d’attendre les résultats d’un appel d’offres. On annonce que «Sonatrach est en négociations directes avec une multitude d’entreprises dont certaines sont de grandes compagnies».
2- Pourquoi le FMI a salué cette démarche
En plus de la position de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en faveur d’un ralentissement des investissements dans les énergies fossiles et le difficile compromis trouvé lors de la COP28. L’analyse publiée au début de la Covid-19 en février 2020 et qui se confirme à ce jour. En effet, une soudaine interruption de l’exploitation pétrolière pourrait éventuellement réduire de moitié les projets en cours de développement.
Pourquoi ? Les géants du pétrole, notamment les Américains comme ConocoPhillips, BP, ExxonMobil et Chevron qui guettent depuis fort longtemps les moindres occasions dans le domaine des hydrocarbures en particulier et l’énergie en général et qui ont compté sur leurs énormes investissements consentis dans des projets de sables bitumineux et surtout de gaz des roches mères argileuses, restent les plus exposés à cette surprenante chute de la demande que pourraient entraîner des régulations climatiques tardives.
En termes simples, soutient le groupe de réflexion Carbon Trucker, un think tank, dont les conclusions sont très écoutées dans le monde de l’énergie et de l’environnement. «Les compagnies pétrolières qui s’appuient sur le statu quo pour planifier leurs futurs investissements risquent de voir la valeur de leurs nouveaux projets réduite de moitié en raison d’une politique plus stricte.
Elles risquent de se retrouver avec des actifs bloqués, si elles partent du principe que les gouvernements ne prendront pas des mesures énergiques pour limiter le changement climatique. Donc, les projets pétroliers développés avant 2025 pourraient ne jamais générer la valeur attendue si les réponses politiques ne sont pas anticipées.
Avec l’entrée en vigueur, depuis décembre 2019, d’un nouvel exécutif européen insistant de faire de ce continent l’un des premiers climatiquement neutres d’ici 2050, les sociétés pétrolières européennes ne sont pas non plus épargnées des conséquences de cette réglementation stricte inscrite dans une loi contraignante et complique leur tâche un peu plus avec l’entrée en vigueur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans une échéance beaucoup plus proche, celle de la fin de la décennie en cours.
Ce groupe de réflexion estime que les investisseurs devraient demander un taux de rendement plus élevé aux sociétés qui développent des projets onéreux, tels que l’exploitation de sables bitumineux. Ces projets comptent également parmi les plus polluants et sont les plus sensibles à la volatilité des prix. En outre, le risque de se retrouver avec des actifs bloqués demeure, quelle que soit la fluctuation des prix du baril en haut ou en bas. L’expérience du passé dans le domaine pétrolier et gazier montre que lorsque l’entreprise dispose de projets moins coûteux, automatiquement, le risque qu’ils comportent est plus faible et leur rendement restera plus élevé.
C’est certainement ce qui attire le plus les capitaux dans ces circonstances. Il est vrai que les compagnies pétrolières ont coutume de faire dans les pays pauvres, ce qu’ils n’ont ne font pas chez eux, mais cette dernière décennie a montré que les réseaux sociaux les poursuivent même en dehors de leurs frontières, d’où leur réticence de prendre ce risque très capitalistique.
Contrairement à l’approche que développe le géant TotalEnergies par exemple par des effets d’annonce, comme montrer son intérêt pour les blocs schisteux algériens, elle travaille de pair avec les décideurs politiques européens pour contenir les menaces climatiques d’ici 2025 en réorientant ses investissements avec moins de risque pour éviter les situations comme celle d’In Salah en Algérie. Elle n’est pas la seule en Europe, Eni et Equinor sont considérées comme les moins exposées aux risques climatiques, car elles ont commencé à diversifier leurs portefeuilles en investissant dans les énergies renouvelables ou les stations de recharge pour véhicules électriques.
Ce rapport cite l’exemple de la compagnie pétrolière d’Etat, Saudi Aramco, qui affiche de faibles coûts de production et qui reste l’une des moins exposées avec une sensibilité au prix du pétrole inférieure d’environ 30% à celle du reste de l’industrie du secteur. A l’inverse, la valeur des projets pétroliers existants et modélisés d’Exxon Mobil est d’environ 40% plus sensible au prix du pétrole que le reste de l’industrie de production pétrolière. Cela devrait amener les géants du pétrole à repenser leurs stratégies d’investissement.
La pression croissante de l’opinion publique concernant le changement climatique et la baisse des coûts des technologies pour les énergies renouvelables obligeront chaque compagnie pétrolière à agir en fin de compte même en dehors de ses frontières. Il faut dire aussi que les réseaux sociaux sont très contagieux.
Par Reghis Rabah , Économiste pétrolier