Il lui a fallu juste un message bien musclé sur la messagerie Telegram et une marche de quelques heures vers Moscou pour faire trembler le Kremlin et défrayer la chronique. Lui, c’est l’indomptable Evguéni Prigojine, patron du groupe paramilitaire Wagner, qui a défié ouvertement l’autorité du président russe Vladimir Poutine vendredi soir, comme personne ne l’a jamais fait, avant de faire volte-face en moins de 24 heures pour, disait-il, «éviter un bain de sang». Né à Léningrad en 1961, Evguéni Prigojine a eu un passé plutôt difficile.
Ses démêlés avec la justice pour délinquance ont commencé dès sa tendre jeunesse. A 20 ans, il écopa d’une peine de douze ans de prison ferme «pour escroquerie impliquant des mineurs», selon sa biographie disponible sur Wikipédia. Quittant la prison au début des années 1990, Evguéni Prigojine décida de gagner sa vie honnêtement en ouvrant un magasin de vente de hotdogs. Il racheta ensuite une épicerie avant de se lancer dans la restauration. Un créneau qui lui porta chance puisqu’il finira par bâtir une chaîne de restauration de luxe.
Le «New Island» à Saint-Pétersbourg, est l’une de ses grandes réussites dans ce domaine. Ce restaurant est vite devenu l’un des plus cotés de Russie, fréquenté par des hommes influents, riches et puissants.
Parmi eux, Vladimir Poutine. C’est d’ailleurs dans ce restaurant que le président russe avait accueillaient ses homologues à partir de 2001. C’est aussi dans ce restaurant qu’a commencé l’ascension véritable de Prigojine, qui a su, au fil des ans, tisser des liens d’amitié avec le locataire du Kremlin.
Des liens qui lui ont permis de décrocher de juteux contrats de restauration avec des institutions, des organismes étatiques et voire même des bases militaires. Surnommé le «cuisinier de Poutine», Evguéni Prigojine a vu sa fortune augmenter vertigineusement pour dépasser le milliard de dollars en 2010.
Exil forcé
Profitant de sa proximité avec Poutine, Prigojine, à l’appétit visiblement démesuré, décida de diversifier ses activités en créant, en 2013, Internet Research Agency (IRA), une entreprise informatique versée dans la propagande et la désinformation sur les plateformes numériques. L’IRA est d’ailleurs accusée puis inculpée en février 2018 par le département américain de la Justice pour avoir soutenu et aidé le candidat républicain Donald Trump à devenir le 45e président des Etats-Unis en 2016.
Evguéni Prigojine se lança également dans le paramilitaire avec la création, en mai 2014, du groupe Wagner, en association avec un ancien militaire russe Dmitri Outkine. Cette société militaire privée s’appuie sur des mercenaires qu’elle recrute parmi les anciens soldats des forces spéciales ou des repris de justice, pour mener des opérations clandestines en dehors du sol russe. Ayant pour devise «Sang, honneur, patrie, courage», Wagner est présenté comme une société qui défend les intérêts russes à l’étranger.
Composée de quelque 25 000 hommes lourdement armés en 2023, ce groupe paramilitaire est déjà engagé dans plusieurs conflits, en Syrie, au Mali et en Centrafrique. Mais son premier fait d’armes reste son intervention efficace dans le Donbass en 2014. Wagner s’est également lancé dans l’exploitation de ressources naturelles dans plusieurs pays africains comme la Centrafrique et la RDC. Souvent critiqué pour ses méthodes musclées, Wagner est sanctionné par l’Union européenne en 2021.
Il est également classé par les États-Unis depuis janvier 2023 comme une «organisation criminelle internationale». Bénéficiant souvent d’un soutien logistique non officiel de l’armée russe, ce groupe est en première ligne en Ukraine depuis le début du conflit en février 2022. Mais depuis quelques mois, le chef de Wagner multipliait les critiques envers le commandement militaire russe auquel il reprochait des retards dans la livraison de munitions et d’équipements nécessaires à ses «hommes» engagés dans l’est de l’Ukraine. Vendredi dernier, Evguéni Prigojine a carrément accusé l’armée régulière russe d’avoir bombardé des positions occupées par ses troupes.
Malgré un démenti formel du ministère de la Défense russe, le patron de Wagner s’est rebellé contre Moscou en engageant ses forces sur le sol russe, avant de battre en retraite après la médiation du président biélorusse, Alexandre Loukachenko. Selon le Kremlin, le patron de Wagner, dont les poursuites pour «trahison» ont été abandonnées, va s’installer en Biélorussie. Après cette rébellion avortée et l’exil forcé de son chef, que deviendra le groupe Wagner ?