Projeter la symbolique patriotique novembriste dans une perspective d’innovation (2e partie et fin)

06/11/2023 mis à jour: 16:06
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Internet offre des possibilités inédites pour briser les volontés, induire des complexes invalidants, véritables pilules empoisonnées dans les esprits des jeunes. Notre devoir est de démystifier ces démiurges en carton-pâte ! Une erreur répétée à l’infini, sans réplique adverse, prend la forme de l’évidence. 

Plus de soixante ans après notre indépendance, ces messieurs persistent dans leur tentative d’autant plus acharnée qu’elle est, à l’évidence désespérée de démonétiser et la nation algérienne et l’issue victorieuse de la Guerre libératrice. Ceci conforte notre pays dans sa marche et lui indique combien son expérience dérange encore, combien le danger est persistant. 

Tous les stratèges le savent bien, l’interprétation et la communication sur l’issue de la guerre est un acte de guerre à part entière, on pourrait même dire l’acte de guerre ultime, absolu. Si vous arrivez à convaincre le vainqueur d’une confrontation armée que l’issue de la guerre lui a été défavorable, s’il a la naïveté de le croire, alors quand bien même vous avez été  vaincus, la victoire finale vous revient. Faute de ce travail de mémoire, ce travail de deuil, cet exorcisme (les Etats-Unis ne l’ont-ils pas fait avec l’aide de leurs écrivains, de leurs cinéastes concernant la guerre du Vietnam ?), on a au contraire pensé utile en France de se livrer à ce jeu et tenter de vider l’indépendance algérienne de toute substance.

 Car la première vérité à dire surtout, sans pour autant écorcher l’orgueil hexagonal (si tant est que la vérité, une vertu, puisse être opposée à l’orgueil, un défaut tout de même, sinon un péché !) est que la France a été vaincue, elle a perdu la guerre d’Algérie. Nous l’avons montré dans notre livre, citant le grand stratège Clausewitz, la victoire était du côté des Algériens, pas de la France, même si, comme on le rappelle à souhait, les maquis étaient sévèrement affaiblis, voire dans certains cas désarticulés, par rapport aux 500 000 hommes du corps expéditionnaire français. 

La Casbah d’Alger héroïque était sous le contrôle de troupes d’élite venues pour des jungles vietnamiennes. Fallait-il vraiment faire venir de si loin des soldats d’élite pour mater, en perdant son âme, le petit peuple misérable et glorieux d’Alger ! On voudrait aussi nous convaincre que pour la première fois dans l’histoire, le vainqueur d’une guerre, dans un acte magnanime et totalement saugrenu, aurait abandonné au vaincu le territoire convoité, allant même jusqu’à déplacer une importante colonie de pieds-noirs dans la précipitation, dans des conditions chaotiques, épouvantables, allant même jusqu’à abandonner à leur sort les supplétifs qui, au péril de leur honneur et de leur vie,  trahirent leur peuple pour se mettre à son service.

 La France victorieuse de la guerre d’Algérie, cette contrevérité prend les traits de l’évidence, et une abondante littérature se charge de la fonder, notre histoire s’écrivant malheureusement ailleurs qu’en Algérie ; le plus souvent chez l’ancienne puissance coloniale. Clausewitz nous dit que la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. La guerre est un acte politique ultime, elle survient lorsque les intérêts de deux protagonistes ne peuvent être arbitrés autrement que par la violence. Son point de départ est politique de même que sa conclusion. On ne fait pas la guerre pour faire la guerre, on la fait pour réaliser un objectif politique qui ne peut être réalisé d’une autre manière, en l’occurrence ici l’indépendance de l’Algérie, ce à quoi est parvenu le FLN, on ne peut le contester. 

Convergeant avec Clausewitz qui, de son propre aveu l’inspira, Aït Ahmed le formule avec une grande clarté : «La guerre est un instrument de la politique. Les formes du combat libérateur doivent se mesurer à l’aune de la politique. La conduite de ce combat est la politique elle-même ; la lutte armée devient politique à son niveau élevé». 
 

Clausewitz confirme aussi que dans une confrontation armée lorsque l’un des deux belligérants considère que la poursuite des buts de guerre ne justifie plus les pertes (militaires, économiques, politiques) qu’il encourt, il renonce à la poursuite de l’affrontement et est donc de fait le vaincu, en aucun cas le vainqueur. N’était-ce pas le cas de la France ? Abondant dans la pensée de Clausewitz, Basil Liddell Hart, théoricien de référence en matière de stratégie, nous dit : «La victoire, au sens vrai du terme, implique que l’état de paix, pour le peuple vainqueur, est meilleur après la guerre qu’auparavant. Prise dans ce sens, la victoire n’est possible que si un résultat peut être acquis rapidement, ou si un long effort peut être proportionné aux ressources nationales. 

La fin doit être ajustée aux moyens. Si les éléments indispensables à une telle victoire font défaut, l’homme d’Etat avisé ne manquera aucune des occasions qui lui seront offertes pour négocier la paix.» Et qu’a donc fait de Gaulle, sinon négocier la paix ! La guerre d’Algérie est l’un des conflits asymétriques les plus caractéristiques dont le Rapport de 1948 au Comité central du PPA-MTLD, la Déclaration de Novembre et la plate-forme de la Soummam ont posé fondements théoriques, objectifs et principes directeurs. J. Baud nous dit que «dans les guerres asymétriques, le succès n’est pas associé au nombre de morts mais à la réaction provoquée par les destructions». 

Guerre du faible contre le fort, c’est aussi le seul cas dans l’histoire où la guerre a été portée par le faible, avec la glorieuse Fédération de France du FLN, jusque sur le territoire supposé sanctuarisé du fort. Les conflits asymétriques sont en effet une rupture dans l’art de la guerre ; ils y bouleversent les règles, rompant la linéarité propre aux conflits symétriques, aux guerres classiques, le succès ne se concrétisant pas par des positions sur le terrain, ni dans les pertes humaines ou matérielles, mais dans l’impact auprès des opinions, la désorganisation que provoque la guerre dans l’ensemble des systèmes qui constituent et fondent la force ennemie : économie, image générale, cohésion sociale, stabilité politique. 
 

La Quatrième République n’a-t-elle pas volé en éclats en France ? La France n’a-t-elle pas manqué d’imploser alors même que des paras séditieux étaient prévus d’être parachutés sur les Champs-Elysées ? En mai 1958, on a dû faire appel à un monsieur qui est venu avec ses galons de général prendre les rênes de l’Etat. Le Premier ministre Pflimlin s’est effacé de même que le président René Coty, et la direction du pays fut confiée à un chef d’Etat, militaire de son état, qu’on continua à appeler «mon général». 

Que cela se fût déroulé au Mali ou au Niger, les bonnes consciences n’auraient-elles pas levé les bras au ciel et crié au coup d’Etat ? De fait, l’avènement de la Cinquième République n’est rien d’autre qu’un coup d’Etat, par ailleurs salutaire pour la Nation française, en réponse à une situation de chaos dont la cause est qu’on le veuille ou non l’efficace résistance opposée par le FLN aux desseins français et la violence qui a résulté de cette résistance, laquelle frappa le système adverse dans son entier ! Certains universitaires français ont beau gloser sur la question, autant en France que dans les tribunes qu’on leur offre obligeamment en Algérie, ils n’y changeront rien car les faits sont têtus. 

Dans les conflits asymétriques nous n’avons en effet pas deux armées qui se font face sur un théâtre d’opérations, il n’y a pas matérialité d’un champ de bataille mais un espace opérationnel englobant l’ensemble des dimensions où la confrontation s’opère. L’espace humain en devient la clé ainsi que l’espace informationnel ou «infosphère». Les espaces géographique, aérien, etc. n’y jouent pas le rôle clé comme dans les conflits symétriques. 

Le «centre de gravité» cher à Clausewitz, ce point duquel dépend la force de l’adversaire, n’est pas ici visé directement. Nous sommes en présence d’une stratégie indirecte qui vise le système dans son entier et non une partie de celui-ci. «La stratégie indirecte est donc globalement orientée sur un système et non sur des éléments de ce dernier», nous dit Jacques Baud. Ainsi, la désorganisation de celui-ci et non l’acquisition de positions sur le terrain expriment la victoire. Et en général, les révolutionnaires qui mènent des batailles asymétriques l’entendent ainsi. 
 

La guerre du Vietnam en est un exemple frappant. Il y est admis que les Etats-Unis ont dominé sur le plan tactique sans pour autant remporter la guerre. Bien entendu, la communication y joue un rôle-clé ; par elle, le faible projette le conflit hors du champ de bataille et impose au fort un champ de bataille virtuel à son avantage, impliquant par l’information les opinions publiques, les ONG et les Nations unies. Les décisions tactiques prises sur le terrain y sont souvent assujetties. L’opération visionnaire engagée par Zirout Youcef dans le Nord constantinois le 20 août 1955 décision était une décision tactique caractéristique d’un conflit asymétrique. 

L’attaque des lieux publics par les commandos du FLN et la grève des huit jours à Alger sur ordre de Ben M’hidi sont du même ordre ; de plus pour cette dernière une réplique du FLN aux manœuvres diplomatiques françaises lors de l’examen de la question algérienne aux Nations unies. «L’une des particularités essentielles de la guerre asymétrique est qu’elle n’est pas basée sur la recherche de la supériorité mais sur la conversion de la supériorité de l’adversaire en faiblesse.» Cette démonstration était nécessaire car je trouve inutile d’entretenir davantage encore le débat sur l’issue de la guerre, voire même la question de la repentance qui devient accessoire dans la mesure où l’Algérie a remporté cette guerre. 
 

Le plus impératif est que nous démystifions les tentatives plus insidieuses prises en charge par des historiens pour le nier, plus encore affirmer contre toute logique que la Nation algérienne, qui plus est vaincue par la France, naquit à l’indépendance, que sa configuration présente est le fait de la puissance coloniale. Il était important pour nous de le dire. Car il faut aussi que nos enfants sachent d’où ils viennent, que la guerre d’indépendance était surtout le fait d’authentiques héros anonymes, le plus souvent provenant du petit peuple, qu’elle fut portée, selon le mot du grand Ben M’hidi, par ce peuple. Elle est et restera aussi un cas d’école en matière de stratégie, après Diêm Biên Phu une avancée réelle dans l’art de la guerre, nous voulions insister sur ce point. Elle s’est surtout soldée par une victoire indiscutable que nous devons défendre et consacrer chaque jour, non pas par un repli sur le passé mais, forts de celui-ci, par un travail de production de sens, par la projection dans le futur de notre grande Nation l’Algérie. Nous le devons à nos martyrs, nous le devons à nos enfants.
 

C. En guise de conclusion… 

Le devoir de vérité est la seule issue possible pour instaurer des relations apaisées, l’amitié entre les peuples. Combien de Français sont-ils d’origine algérienne, combien ont-ils un lien affectif fort avec l’Algérie ? Combien d’enfants de Bondy, Sarcelles, des Minguettes ou du Neuf Trois parisien aiment d’amour l’Algérie, la patrie de leurs racines, sont prêts à donner leur vie pour elle, comme pour la France, leur patrie tout autant ? Les footballeurs venus de l’Hexagone ainsi que leurs supporters ne finissent pas de nous le dire. Le drapeau algérien flottant rageusement dans les Champs-Elysées les jours de victoires de l’Equipe nationale ne sont en rien une insulte à la France, ils sont surtout pour un prospectiviste averti un signal porteur de futur. Faut-il seulement avoir, non pas la compétence, surtout l’honnêteté de le lire à Paris. 

L’Algérie, tout comme la France, s’enrichit de ce lien culturel, affectif. Un lien malheureusement télescopé, mis en danger par des intellectuels, tout brillants qu’ils fussent, encore incapables d’intégrer toute la complexité de la condition humaine, de l’homme sujet et objet de l’histoire. 

Au moment où se défont dans l’Afrique des réseaux Foccart et la Françafrique, l’évidence de l’absurdité du lien néocolonial apparaît dans toute sa nudité. Maintenu par acharnement thérapeutique au prix d’un brinquebalant compagnonnage de la France des Droits de l’homme avec de douteux dictateurs, cela au prix de pillages et de fermeture de toute perspective de développement et de prospérité pour les peuples africains, cette option stratégique est contestée en profondeur, irréversiblement réfutée, par une jeunesse africaine décomplexée, surtout éduquée et ambitieuse pour ce continent jusqu’alors sinistré.

 Au moment où l’OCDE vit une crise structurelle qui en menace la viabilité, l’Europe est brutalement télescopée par les retombées de la crise ukrainienne. L’Union européenne déjà chancelante depuis la crise du Covid qui s’était surajoutée avec à une crise économique structurelle dont l’essence réside d’une part dans un élargissement excessif, pensé surtout dans l’esprit de Mackinder et son disciple Z. Brzezinski qui consiste à contenir l’émergence d’une Eurasie puissante qui mettrait en péril les puissances thalassocratiques Etats-Unis et Grande-Bretagne. Elle réside aussi gravement dans l’inflexion néolibérale donnée au projet européen en totale contradiction avec la vision dirigiste étatiste qui présidait au projet de ses fondateurs.  

L’Allemagne, le désormais «homme malade de l’Europe», par son affaiblissement, fragilise le couple dit franco-allemand et met en grave péril l’Euroland. La France, pays désindustrialisé au grand regret de nombre de ses experts, doit se réinventer un projet, loin des schèmes néocoloniaux. 

Un projet qui n’aurait plus comme béquille la défunte Françafrique mais se fonderait sur un nouveau paradigme basé sur un sincère engagement en faveur du co-développement et de la prospérité partagée. L’Algérie ambitionne légitimement à l’émergence et à l’affirmation de sa puissance.

 Frontière méridionale de l’Europe, contenant à son corps défendant, au prix de d’un lourd coût financier, au profit de cette dernière, il faut bien le dire, les pressions entropiques, la diffusion de l’instabilité venant de son flanc sud, son ancrage africain et méditerranéen occidental constitue sa profondeur stratégique et sa force, soulignent l’impératif de l’Europe pour la construction de partenariats stratégiques avec les champions industriels nationaux. Son ensoleillement exceptionnel, ses ressources en hydrocarbures ainsi que son expertise et expérience industrielle, la jeunesse de sa population, la qualifient pour ambitionner à figurer parmi les leaders de la transition énergétique et numérique. Car l’énergie est à la base de toute ambition numérique, l’Algérie en regorge.

 La Méditerranée occidentale ne devrait-elle pas, dans ce sens et ce nouveau contexte, être un pont et non plus une arène où des producteurs de sens sur son flanc nord se jouent de l’asymétrie induite par l’histoire et, il faut bien l’avouer, l’économie, engagent inutilement le fer, faute d’être eux-mêmes décolonisés, affranchis, dans leurs esprits ? 

 

Dr Mourad Preure 
Fils de moudjahid, descendant de braves qui combattirent aux côtés de l’Emir
Enseignant et consultant en stratégie et géopolitique
Expert dans les questions énergétiques

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