A. Les pressants enjeux du siècle nouveau et les challenges pour l’Algérie
Les grands challenges pour notre pays sont son émergence, avec comme condition impérative la réussite de son entrée dans la quatrième révolution industrielle, portée par la digitalisation, la 5G, l’intelligence artificielle, le cloud computing, les objets connectés, les réseaux neuronaux et, demain, les ordinateurs quantiques. Un million et demi de martyrs nous ont laissé en héritage un fabuleux pays, riche en ressources, un pays continent porte de l’Afrique pour l’Europe et de l’Europe pour le continent qui marquera l’avenir, l’Afrique.
Un million et demi de martyrs ont laissé en héritage le patriotisme si fort de notre peuple qui prit le dessus sur les épreuves passées une décennie noire durant. Cet héritage, pour s’accomplir, ne doit-il pas, avec un esprit visionnaire, avec intelligence, notre grande ressource, volonté et rigueur, nous ouvrir les portes du futur ?
Cet héritage est surtout un devoir sacré qui impose aux intellectuels producteurs de sens de se mettre à l’ouvrage pour cautériser les plaies, ouvrir de réelles perspectives stratégiques à notre pays, redonner espoir à notre jeunesse – faute de cela, comme le sang s’échappe de la plaie, elle ira vendre ses bras, ou plus sûrement son génie dans des horizons plus accueillants. Notre jeunesse a besoin de rêver, notre jeunesse, notre peuple, ne sait plus ce que rêver veut dire, disait dans un texte immense mon ami Taïeb Hafsi. Nombre de mes étudiants me disent qu’ils ont pour projet de traverser la mer, le seul horizon qui luit à leurs yeux inexpérimentés, sincèrement assoiffés d’accomplissement, de victoires personnelles.
Que leur répondre ? La seule réponse, la plus opératoire, morale oserais-je dire, serait de faire l’effort de projeter dans le futur la symbolique patriotique novembriste en l’inscrivant dans une logique d’innovation, d’excellence, de compétitivité des universités, des start-up, des entreprises, de notre économie, mais aussi et surtout de justice sociale, de prospérité partagée. Pour ce faire, mettre impérativement au cœur des préoccupations nationales l’intelligence, le savoir, donner le statut qu’ils méritent aux porteurs de savoir, aux innovateurs.
Leur permettre de s’épanouir, de légitimement s’élever dans l’échelle sociale, rayonner sur leur pays et sur le monde. Car voici aujourd’hui la manifestation la plus claire du patriotisme, réussir l’émergence de notre pays, une émergence fondée sur le savoir, l’innovation, l’excellence, l’effort productif qui donnera à notre Nation les moyens de sa légitime puissance.
Les Sud-Coréens, en 1961, alors l’un des pays les plus pauvres du monde, conduits par le général visionnaire Park Chung-Hee, sont aujourd’hui une puissance majeure et une véritable locomotive scientifique et technologique pour l’industrie mondiale (lorsque Apple vend son iPhone X, 14 milliards de dollars tombent dans les caisses du sud-coréen Samsung, son sous-traitant et néanmoins concurrent ! Autre exemple, dans le classement mondial des constructeurs, le groupe Hyundai-Kia est quatrième… devançant Ford et General Motors, jadis premières !) Ils nous en ont fait la brillante démonstration en marchant dans les pas des Japonais, n’hésitant pas à nouer des partenariats technologiques structurants avec ce pays, pourtant de triste mémoire pour eux. Les grands bénéficiaires de ce partenariat furent les universités, la véritable base, le secret du miracle économique sud-coréen.
Le pouvoir innovant phénoménal des Chaebols Samsung, LG, Daewoo et autres trouve en effet (les innovations de rupture dans les écrans, les semi-conducteurs, le formidable rattrapage technologique dans l’automobile, la construction navale, le génie civil, etc. que réalisèrent ces entreprises ne peuvent être possibles sans une puissante relation organique entreprises-universités) sa racine et sa force dans les universités sud-coréennes !
A l’instar des Sud-Coréens, il est de notre devoir d’offrir à notre jeunesse de réelles et puissantes perspectives d’épanouissement, cela en portant notre économie aux standards de ce siècle. Il revient à notre génération la mission historique d’ouvrir à notre jeunesse les horizons à la mesure de ses attentes, de son formidable potentiel.
Ainsi que ses aînés de Novembre (mais quel âge avaient donc Didouche Mourad, Larbi Ben M’hidi, Hassiba Ben Bouali ?), notre jeunesse est en droit de pouvoir construire sa propre légende en propulsant notre pays parmi les faiseurs de règles, les conquérants du futur ! Nos étudiants, nos experts qui sont partis ne sont pas des mercenaires, loin s’en faut. Ils ont l’Algérie dans la peau et en souffrent le martyre.
Ceux qui sont essaimés à travers le monde, dans des entreprises d’excellence, des universités de référence, ne demandent qu’à servir leur pays. Ils représentent une force qui peut exercer un effet de levier pour l’émergence de notre pays. Nous avons intérêt à ce qu’ils le fassent en restant là où ils sont.
Ainsi, nous pouvons accélérer notre rattrapage scientifique et technologique en leur offrant l’occasion de servir la patrie et démultiplier ainsi son potentiel de développement, la prospérité de notre peuple, la puissance de notre Nation. Je le dis souvent, l’intelligence et le patriotisme sont la grande ressource, la grande et plus sûre énergie renouvelable de l’Algérie, qui tarde à s’en rendre compte, à retrouver le rang qui lui revient dans le concert des Nations.
Pour cela (et nous n’avons pas le droit à l’erreur), il nous incombe de placer le curseur au bon endroit et projeter notre pays de manière innovante et visionnaire, avec audace et détermination dans le monde de demain, caractérisé par une accélération du changement de plus en plus discontinu et chaotique. L’interconnexion des acteurs économiques dans ce «Grand village», permise par la révolution des TIC, a pour effet l’écrasement des distances et du temps avec pour conséquences une transnationalisation des processus productifs des firmes, l’émergence de firmes globales englobant tous les secteurs industriels ainsi que la finance. La globalisation, ce paradigme qui recouvre ces changements structurels, a pour effet une augmentation de l’interdépendance et de la complexité, la prééminence des réseaux sur les Etats avec un affaiblissement des frontières et l’apparition d’un nouveau paradigme de la souveraineté et de la puissance.
Ces changements s’accompagnent d’une accélération du progrès scientifique et technique et de ruptures technologiques à une vitesse inédite, fulgurante, avec pour cœur la digitalisation. De sorte que deux postulats s’imposent à nous aujourd’hui :
(a) l’indépendance et la souveraineté relèvent d’une position dynamique sans cesse remise en cause, en évolution permanente. La puissance des Etats repose ainsi sur le pouvoir innovant, la compétitivité de leurs firmes et de leurs universités.
(b) La digitalisation est un phénomène structurant, multidimensionnel désormais. Les Etats doivent rechercher leur souveraineté numérique, laquelle repose sur l’excellence technologique et managériale de leurs acteurs publics et privés opérant dans l’industrie digitale. Pour faire simple, la souveraineté de l’Algérie, si elle reposait sur la puissance de Sonatrach en 1971, doit aujourd’hui se confondre avec sa souveraineté numérique, son levier dans le siècle nouveau et qui repose sur les performances, la compétitivité et l’excellence technologique et managériale de Mobilis, à qui il revient de se porter en permanence aux standards mondiaux d’excellence technologique et en conséquence managériale (5G, objets connectés, intelligence artificielle, cybersécurité de nos entreprises et institutions, cloud computing, etc.), en même temps qu’elle est un instrument de l’Etat pour réussir la révolution
digitale et consacrer notre souveraineté numérique.
L’émergence de notre Nation est organiquement liée à sa transition énergétique et digitale, soit par l’excellence des champions nationaux, Sonatrach et Mobilis, qui plus que jamais prennent une empreinte régalienne qu’il serait dangereux de mésestimer. Ces champions nationaux ont toutes les caractéristiques des locomotives pour les universités et start-up nationales, pour nos entreprises en général.
B. Cette Nation existe-t-elle vraiment ? Depuis quand ? A-t-elle, comme elle le prétend, gagné la guerre d’Algérie ?
La force d’un arbre ne réside-t-elle pas dans la vigueur de ses racines ? Comment s’en assurer, sinon en nous souvenant qu’au plus fort des tempêtes, contre toute attente, cet arbre ne fut pas emporté, déraciné, anéanti, en sortit plus fort encore.
Cent trente ans de colonisation furent une épreuve, dix ans de terrorisme aveugle et destructeur une piqûre de rappel pour démontrer à ceux qui prêchent l’inconsistance de la Nation algérienne, son absence de profondeur historique, qui sous-estimaient ses exceptionnelles capacités de résilience, car forgées des millénaires durant. La pire aliénation serait de ne pouvoir se définir que par rapport à l’autre, alors même que notre histoire crie son besoin de fonder sur des bases inébranlables l’être collectif. «Nous n’avons pas de haine contre le peuple français», lançait dans un de ses magnifiques poèmes notre poète visionnaire Bachir Hadj Ali, paraphrasant Aragon.
Comment construire une ambition d’excellence, de compétitivité et, en définitive, de puissance, sur un sentiment si pauvre et morbide que la haine, de retour vers le passé, alors que le futur nous presse de le conquérir ! L’impératif aujourd’hui est que notre pays, dans une posture prospective de casseur de règles et de faiseur de règles, porte son regard bien au-delà de l’horizon, réussisse à gagner la bataille du futur et soit constamment en phase, sinon en avance, avec les challenges structurants du siècle nouveau. Car là réside la garantie de la pérennité, de la prospérité de la Nation et de la puissance.
La concrétisation du projet national porté par l’Emir Abdelkader se manifesta par des insurrections ininterrompues depuis le début de la conquête coloniale. Cette constante vigueur nationaliste prenait ses repères dans la millénaire histoire de résistance de la patrie, tout autant dans notre patrimoine culturel et religieux où l’islam constituait le ciment de la Nation algérienne. Il n’est que de citer notre héros, le Cheikh Abou-Ziyân lançant en 1849 : «Les Français ne rentreront pas à Zaâtcha, pas plus qu’ils ne rentreront dans La Mecque !» Novembre et son glorieux aboutissement sont la résultante d’un puissant bond qualitatif du projet national.
A son avantage l’ouverture des élites sur les transformations en cours dans le monde et leur accès à une abondante littérature à caractère stratégique caractéristique aux moments des grandes accélérations de l’histoire. Notre émigration, en interaction constante avec l’Algérie profonde, fut d’un puissant apport en permettant l’émergence d’esprits éclairés, enrichis des grandes idées libératrices de la Révolution française, de la Commune de Paris, des luttes ouvrières et tout autant de la triste expérience de la guerre libératrice irlandaise. Le rapport historique de Zeddine, présenté par Hocine Aït Ahmed au comité central du MTLD en 1948, pose ainsi avec génie les concepts essentiels et méthodologies du choix stratégique avant-gardiste qui sera fait par le FLN pour une approche innovante de la guerre asymétrique.
L’immersion dans les luttes ouvrières, la langue et la culture françaises, ce «butin de guerre», selon l’expression du grand Kateb Yacine, par ailleurs très sensible à l’œuvre littéraire de l’Irlandais Joyce et de l’Irlandais de souche Faulkner, fut incontestablement un levier qui permit au FLN de théoriser et adapter les principes de la guerre asymétrique au cas algérien, d’innover aussi, comme on le verra plus loin.
Cela permit à notre élite de prendre exemple et tirer les leçons de la guerre d’indépendance irlandaise et du «désastre», selon l’expression d’Aït Ahmed, qui accompagna l’indépendance de ce pays en 1921. Ces erreurs que le FLN autant que le FNL vietnamien évitèrent bien de faire. Hô Chi Minh n’était-il pas à Paris, mêlé aux luttes ouvrières en compagnie de Abdelkader Hadj Ali, fondateur de l’Etoile nord-africaine cinq ans après l’indépendance irlandaise ?
Mais pour gagner la bataille du futur ne faut-il pas auparavant gagner celle de la mémoire ? Gardons toujours à l’esprit cette évidence : les miracles japonais, sud-coréen, indien, chinois et iranien, on l’oublie souvent, se sont tous construits sur un puissant socle symbolique, le sentiment valorisant d’appartenance à une vieille Nation riche de sa culture et de son passé millénaire.
Pour cela, il nous faut débusquer et démystifier les points d’ancrage de la haine de soi, pilule empoisonnée laissée dans les consciences par un colonisateur défait mais néanmoins intelligent et visionnaire. Nous en distinguons trois principaux, autour desquels s’articule un faisceau métastasique de schèmes et contrevaleurs ayant pour but de déconstruire la conscience nationale qui a rendu possible le miracle de Novembre et la remplacer par une haine de soi postcoloniale inhibitrice de l’être collectif, propice à son irréversible assujettissement.
Ces trois points d’ancrage sont les suivants : (i) la Nation algérienne est de création récente, (ii) la France a remporté une victoire militaire sur le FLN, (iii) la gestion de l’Algérie post-indépendance est un échec absolu. Ce qui sous-entend que les Algériens ne peuvent ataviquement se gouverner.
Trois idées qui vont ensemble et se nourrissent l’une de l’autre. Tout ceci a pour intérêt d’amoindrir la légitimité du combat libérateur d’une part ; d’autre part, la faillite de la gestion de l’Algérie par les Algériens souligne bien tout l’intérêt qu’il y avait pour eux de ne pas contester l’ordre colonial, de le laisser perdurer, y compris sous une forme renouvelée qui agréerait la Cinquième colonne et son soubassement de proto-bourgeoisie compradore. La patrie de Massinissa – ce chef d’Etat dont la tombe tarde à être fleurie à El Khroub – devrait d’ailleurs insister davantage pour dire l’ampleur de sa profondeur historique, toute la richesse symbolique et le pouvoir fédérateur de son passé numide. Les germes auto-immuns en mesure de fragmenter et détruire l’être national sont pris en charge avec un ingénu entêtement par un historien français à la mine fort sympathique, autoproclamé spécialiste de l’Algérie et par ailleurs bien en cour dans notre si naïf pays, mais aussi par quelque élite algérienne, son obligée le plus souvent. Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, ça marche !
De nombreux Algériens pensent sincèrement que le FLN a perdu la guerre d’Algérie, que leur Nation est de création récente ! Dans sa grande mansuétude, le Général qui rétablit la dignité de la France en 1942 et lui évita le naufrage en 1958 aurait, par charité – totalement farfelue en l’espèce – offert l’indépendance à des Algériens dont l’Armée de libération, épuisée, défaite, en guenilles, osons le mot, n’opposait plus aucune résistance !
Quelle raison d’Etat pourrait bien corroborer ce genre d’hypothèses incongrues ? Les Algériens furent-ils battus puis inexplicablement épargnés, élevés même au rang de Nation par l’ancien colonisateur ? Il semble bien que non, comme nous allons le démontrer.
Il faut le souligner avec force, nous avons combattu et remporté la victoire, nous n’avons que faire de la rancœur et de la haine, quand bien même nous y serions expressément invités par des comportements insistants de personnalités et historiens français représentatifs (parmi les stars, des obligés à l’évidence de quelque voisin inutilement hostile, citons B. Lugan et A. Juillet, par ailleurs maître espion malheureusement recyclé dans un douteux commerce qui lui aliène notre pays et notre estime) d’une manière ou d’une autre d’une partie de la société française.
Les guerres de nouvelle génération travaillent en profondeur les consciences des peuples de sorte à les convaincre de leur condition atavique d’esclaves.
Dr Mourad Preure
Fils de moudjahid, descendant de braves qui combattirent aux côtés de l’Emir
Enseignant et consultant en stratégie
et géopolitique.
Expert des questions énergétiques
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