Professeur Djamal-Eddine Akretche : «L’Université doit interagir avec son environnement socioéconomique»

25/04/2022 mis à jour: 00:14
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Photo : B. Souhil / Professeur Djamal-Eddine Akretche. Recteur de l’Université des sciences et de la technologie Houari Boumediène (USTHB)

Le professeur Djamal-Eddine Akretche est le recteur de la mythique USTHB : l’Université des sciences et de la technologie Houari Boumediène, de Bab Ezzouar. Créée officiellement par l’ordonnance n°74-50 du 25 avril 1974, cette université au style architectural si particulier, signé Oscar Niemeyer, célèbre aujourd’hui son 48e anniversaire. Depuis sa création, l’USTHB a formé plus de 100 000 diplômés, dont des chercheurs de renom, à l’instar de Belkacem Haba, Yasmine Belkaid ou encore Noureddine Melikechi. Aujourd’hui, l’université compte près de 50 000 étudiants, une capacité d’accueil qui fait de l’USTHB le plus grand campus du pays. Le professeur Djamal-Eddine Akretche est un pur produit de Bab Ezzouar, lui qui a fait partie de la toute première promo de l’ex-USTA (l’Université des sciences et de la technologie d’Alger), celle de 1974, en tant qu’étudiant en chimie, et qui a gravi les échelons jusqu’à en prendre les rênes. Dans cet entretien, il revient sur l’évolution de l’USTHB, nous parle des nouvelles filières qui y ont été introduites et des spécificités du système LMD. Il soulève également un aspect important : le taux d’échec élevé des nouveaux bacheliers en première année et le problème de l’orientation des étudiants. Il est question, en outre, dans cette interview, du défi pédagogique que constitue la volonté de concilier enseignement de masse et standards de qualité, et aussi, de la relation de l’université avec le monde économique.

  • Nous nous trouvons probablement dans le plus grand campus du pays. Combien d’étudiants compte aujourd’hui l’USTHB, monsieur le Recteur ?

Nous sommes à près de 50 000 étudiants et 1962 enseignants. L’université compte 9 facultés. Vous avez les facultés des sciences : sciences biologiques, physique, chimie et maths. Ce sont pour ainsi dire les facultés de sciences pures.

Et il y a les facultés de technologie : faculté de génie électrique qui vient d’être créée, faculté d’informatique, faculté de génie civil, faculté de génie mécanique et génie des procédés, et la faculté sciences de la terre, géographie et aménagement du territoire.

  • Quelles sont les filières les plus prisées par les étudiants ?

La plus prisée, c’est clair, c’est l’informatique. Il y a aussi le génie électrique, tout ce qui est télécommunications, automatique, électronique, robotique… Tout ça est très demandé. Derrière,  il y a le génie des procédés qui attire aussi de plus en plus d’étudiants.

  • Quelle est la moyenne exigée au bac pour accéder à la filière informatique ?

Ça varie d’une année à l’autre. Cette année, pour accéder au domaine M. I. (Mathématiques et Informatique, ndlr), un bachelier en sciences devait avoir au moins 16,31 de moyenne générale.

  • Ce n’est pas loin du seuil exigé par l’Ecole supérieure d’informatique, non ?

L’Ecole supérieure d’informatique exige une moyenne de 18,5 je crois. La différence est que nous ouvrons 1000 postes ou plus. L’ESI, elle, en ouvre environ 150. Il faut noter aussi que pour le domaine Maths et Informatique et pour les sciences de la matière, l’USTHB est un pôle de recrutement national.

Les meilleurs bacs sur tout le territoire national viennent faire Maths et Informatique chez nous. Le problème est que ceux qui rentrent en « M.I.», en grande majorité, c’est pour le I, ce n’est pas pour le M. C’est malheureux. Les mathématiques, c’est quand même très important.

  • Pourquoi ce peu d’attrait pour les mathématiques, à votre avis ?

Il y a plusieurs raisons. Des fois, je secoue mes collègues enseignants de mathématiques en leur disant : essayez de faire un peu de marketing, d’être un peu visibles. Parce qu’il y a de nouveaux métiers qui s’appuient sur les mathématiques. Le succès de l’informatique est d’abord dû au fait qu’il y a plus de débouchés. Et puis, il faut le dire, il y a un effet de mode. Il y a, par ailleurs, un aspect qu’il convient de souligner : c’est la mauvaise orientation.

Je ne parle pas à notre niveau. Le fait est que le travail ne se fait pas en amont. Une fois que les bacheliers arrivent chez nous, nous sommes obligés de les orienter par rapport à leur moyenne. Il y a un logiciel qui fait ça. L’étudiant quand il arrive, il n’a pas vraiment une idée de ce qu’il veut faire ou des notions sur le métier qu’il veut exercer plus tard. Et ça, en principe, ça se prépare au niveau du lycée.

Il y a un autre problème qu’il faut relever : c’est le taux d’échec en première année. Vous entendez parfois des cas de bons bacheliers rater leur première année, et on se dit mais ils étaient excellents, comment ça se fait ? Ce n’est pas normal. Je ne parle pas uniquement de l’USTHB. Nous, on a des taux de réussite de  l’ordre de 35% en première année en moyenne.

  • Ces taux d’échec élevés en première année sont dus à quoi, selon vous ?

C’est dû à plusieurs paramètres, entre autres la mauvaise orientation. Vous avez par exemple un bon élève qui cravache toute l’année.  Le jour du bac, il loupe quelque chose, il obtient son bac avec 11 de moyenne. Dès lors, ses choix deviennent limités. Cela dit, même un bachelier moyen peut faire un très bon chercheur.

D’ailleurs, quand on change de cycle – ça c’est l’être humain – il y a des périodes d’adaptation qui peuvent être positives ou négatives. Vous avez un élève qui est très bon au primaire, il arrive au CEM, c’est la catastrophe. Et parfois, vous avez l’inverse : vous avez quelqu’un qui est moyen au primaire, et au CEM, son niveau s’améliore et il devient brillant.

Le passage du CEM au lycée, c’est aussi autre chose. Et le passage du lycée à l’université est encore plus incertain. Ça peut être un choc. Au lycée, l’enseignant connaît tous les élèves, il les appelle par leurs prénoms. Et d’un coup, le jeune homme se retrouve au milieu de 50 000 étudiants.

  • Il tombe dans l’anonymat…

Oui, dans l’anonymat, déambulant sur un site de 100 hectares. Il est perdu. Dans l’amphi, le prof donne son cours et sort. Il ne l’a même pas remarqué. Et ce changement constitue en réalité un choc qu’on ne remarque pas. Vous avez beaucoup de cas où l’échec est dû à ce choc, ce problème d’adaptation.

  • A la dernière rentrée, vous avez reçu combien d’étudiants ?

Nous avons accueilli approximativement 10 500 bacheliers. Toutefois, il faut savoir que sur les 10 500 inscrits, ce n’est pas tout le monde qui rejoint les bancs de l’université. C’est encore une fois lié à la question de l’orientation. Certains s’inscrivent, bloquent leur année et repassent leur bac. D’autres abandonnent en cours de route.

  • M. Akretche, vous avez été étudiant dans la toute première promotion de l’USTHB, celle qui a inauguré cette université en 1974. Ensuite, vous avez intégré le corps professoral puis l’encadrement administratif avant de devenir recteur. Vous avez donc été un témoin privilégié de la transformation de Bab Ezzouar, vous avez vu grandir ce campus. L’USTHB, on l’imagine, a beaucoup changé. Comment a progressé l’université ? Les conditions dans lesquelles évoluent étudiants et enseignants sont-elles meilleures ?

Si on démarre de 1974, il y a eu bien sûr une très grande évolution. Actuellement, les étudiants sont privilégiés par rapport à notre époque. On était 2000 étudiants : 1000 en sciences exactes et technologie, et 1000 en sciences biologiques. Il y avait une grande majorité de coopérants pour l’encadrement. Il y avait uniquement les premiers amphis, de A jusqu’à M, et il y avait les salles de classe qu’on appelle les 100 et les 200.

C’est tout ce qu’il y avait sur le campus. C’était le désert autour. Il n’y avait pas le train au premier semestre. Au niveau de la ville de Bab Ezzouar, il y avait juste la pompe à essence, un arrêt de bus et un salon de thé.

  • L’infrastructure signée Oscar Niemeyer a beaucoup changé  aussi ?

Oui, tout a changé. Par rapport au plan de Niemeyer, il y a de nouveaux bâtiments qui ont été construits.  La faculté d’informatique, par exemple, a été livrée en 2006.

  • Ce style architectural qui fait partie de l’identité de l’université de Bab Ezzouar est assez singulier. Certains estiment même que c’est un monument qui mérite d’être classé. Qu’en pensez-vous ?

En effet, c’est un monument et ce n’est pas évident de construire en gardant le même style. Cette architecture, elle plaît à certains, elle déplaît à d’autres. Il y en a qui me disent que ce béton est affreux. C’est comme la peinture abstraite. Ce n’est pas tout le monde qui sait l’apprécier. Là, pareil, c’est un style qui divise. Maintenant, le gros problème, c’est l’entretien. C’est assez délicat.

D’abord, ça demande un budget colossal qu’on ne pourra jamais obtenir. Vous avez l’étanchéité, le traitement des façades, qu’il faut prendre en charge. Mais il est difficile de trouver des entreprises spécialisées dans ce type d’interventions. Et comme je l’ai dit, cela demande beaucoup d’argent. Nous avons fait une étude pour refaire l’étanchéité. L’enveloppe qui nous a été attribuée, et qui est assez conséquente, il faut la multiplier par dix pour refaire tout le campus. Nous sommes donc obligés de procéder par parties et de faire des choix.

Certains vous diront que cette administration ne fait rien. Ils ne savent pas que d’un point de vue gestion, il y a des procédures à respecter. Ils ne savent pas ce qu’est une consultation, ce qu’est un marché.

On me dit pourquoi vous ne refaites pas l’entrée. Même quand vous avez l’autorisation de programme, rien que pour l’étude, ça met une année. Après, il faut lancer l’avis d’appel d’offres et trouver la bonne entreprise qui va réaliser les travaux. Quand tout va bien et qu’il n’y a pas d’infructuosité, vous êtes facilement à 18 mois. En plus il n’y a pas qu’un marché, il y a plusieurs opérations qui sont inscrites. Nous essayons d’avancer opération par opération. Et toutes ces contraintes sont autant de freins au niveau de la gestion.

  • Justement, quelles sont les difficultés auxquelles le recteur d’une université de la dimension de l’USTHB est-il confronté ?

Les problèmes sont multiples. La première difficulté, c’est de se faire comprendre de la part de ses collègues et des étudiants. Le recteur est responsable de tout ce qui se passe dans le campus.  Ce qui est embêtant, c’est qu’il y a des problèmes qui peuvent être réglés au niveau de la faculté, et qui remontent jusqu’au recteur.

  • L’organisation est décentralisée ?

Oui, elle est décentralisée. Vous ne pouvez pas gérer si vous centralisez tout à votre niveau. Il y a une décentralisation même financière, sauf pour les salaires.

  • L’Université de Bab Ezzouar a été classée première au niveau national sur 107 universités algériennes, selon le classement Webometrics monde, publié le 31 janvier 2022. Que représente pour vous ce classement, Professeur ?

C’est d’abord un bon stimulant. Cela permet de se jauger. Maintenant, il existe plusieurs classements à travers le monde, et chacun a ses critères. Le classement Webometrics sort tous les six mois. C’est un labo espagnol qui fait de la webométrie, qui l’établit.

Ce sont eux qui prennent les informations. Ils font une évaluation tous les six mois sur 30 000 établissements à travers le monde. Nous, on est dans les 2150 à l’échelle mondiale.

C’est quand même un bon classement. Il ne faut pas comparer l’incomparable. Avec les moyens que nous avons, c’est un bon score. Si on se compare au MIT ou à une université européenne, ça n’a rien à voir.

D’ailleurs, après le classement, je me suis amusé à dresser un comparatif avec d’autres universités. J’ai pris MIT et j’ai pris l’université de Montpellier qui compte 16 UFR (Unité de formation et de recherche) et 54 000 étudiants, soit à peu près comme nous, mais leur budget de fonctionnement est 12 fois supérieur au nôtre. En plus, ils ont la possibilité de travailler avec des entreprises industrielles, et ça leur rapporte de l’argent supplémentaire. Et je ne parle pas des frais d’inscription qui sont chez nous hyper-symboliques.

  • Ils s’élèvent à combien ?

200 DA. On a des amis étrangers qui nous posent la question des frais d’inscription. Quand on leur dit que c’est l’équivalent de 1 euro, ils n’en reviennent pas et nous disent : «Is it a joke ?» (C’est une plaisanterie ?). Le MIT, son budget est de 1,6 milliard de dollars.

Les frais d’inscription représentent 30% de ce budget. La majorité de l’argent provient des contrats avec des entreprises. MIT en fait est une grosse PME. En plus, ils ont une fondation. Donc arriver à cette place avec les moyens qui sont les nôtres, je pense que c’est un classement plus qu’honorable.

Actuellement, nous sommes en train d’enclencher des mécanismes pour avancer dans ce classement. Nous faisons des audits pour voir qu’est-ce qu’on peut développer. Nous essayons également d’interagir avec le secteur socioéconomique.

  • A ce propos, l’USTHB a conclu, ces dernières années, des accords de partenariat avec un certain nombre d’entreprises et d’opérateurs économiques : Naftal, Sonelgaz, Saidal, Biopharm… Sur quoi porte ce partenariat ?

Le partenariat référence où nous avons mis le plus d’efforts, c’est celui que nous avons développé avec Saidal et Biopharm. Quand on a signé une convention avec eux, j’avais promis de lancer un master spécialisé dans l’industrie pharmaceutique.

Ce master a démarré cette année. Le programme a été élaboré avec le partenaire industriel. Et au sein de l’université, nous avons réalisé une synergie entre trois facultés : la faculté de biologie, la faculté de chimie et la faculté de génie mécanique et génie des procédés. C’est une formation de qualité qui va dans le sens des priorités du pays actuellement.

Avec Naftal, c’est autre chose. On va démarrer quatre projets de recherche conjoints sur des thématiques proposées par leurs soins. On a même évoqué la possibilité d’ouvrir une filiale si ça marche. D’autres actions similaires sont envisagées avec d’autres entreprises. L’Université doit interagir avec l’environnement socioéconomique qui l’entoure.

  • Quelle appréciation faites-vous de la relation université-entreprise dans notre pays ?

Ce n’est pas encore au point. On peut faire nettement mieux. Il faut que le secteur socio-économique se développe aussi. On ne peut pas avoir un développement d’un seul côté. Je le dis en tant que chimiste : pour que deux atomes forment une liaison, il faut qu’ils aient des niveaux d’énergie voisins.

Si la différence d’énergie est importante, la liaison ne peut pas se faire. Et c’est un peu le cas. Il faut qu’on s’élève tous les deux en même temps.

Le secteur industriel est en train de se relever peu à peu de ses blessures. Aujourd’hui, s’il y a un renaissance de ce secteur, ça viendra accompagner le renouveau de l’université. Et celle-ci sera obligée de s’ouvrir.

  • Les départements Recherche & Développement qui sont censés être les moteurs de l’innovation industrielle au sein des entreprises sont-ils, d’après vous, assez performants ?

C’est malheureux à dire, mais les centres Recherche et Développement souvent c’est la dernière roue de la charrette au niveau de nos entreprises. J’ai personnellement été consultant dans un centre Recherche et Développement, de 2000 jusqu’à 2011. J’ai assisté à la chute de ce centre.

Je voyais en plus le poids, somme toute modeste, qu’il avait dans ce groupe industriel, alors qu’un centre Recherche et Développement, normalement, c’est le cœur de l’entreprise. C’est là que sont élaborées toutes les innovations qui permettent de résister au marché et de soutenir la concurrence.

Ce volet Recherche & Développement, si on lui accorde toute l’attention qu’il mérite, l’université est prête à accompagner les entreprises pour accroître leurs capacités d’innovation. C’est comme ça que se tissent et se renforcent les relations université-entreprise au niveau de la recherche.

  • Qu’en est-il de la coopération internationale avec des universités et des centres de recherche étrangers ?

On avait des accords avec un certain nombre d’universités, mais la Covid a cassé tous les ressorts. Maintenant, à la faveur de l’amélioration de la situation sanitaire, il faudra espérer qu’on puisse relancer la coopération. Nous avons des accords bilatéraux. Il y a également des programmes bilatéraux qui ont été lancés par le ministère de l’Enseignement supérieur.

  • Avec quels pays avez-vous le plus de relations ?

En premier lieu c’est avec la France, en raison d’abord de l’aspect langue, et il y a aussi l’aspect je dirais réglementaire en ce sens que le plus grand nombre d’appels à projets et donc de possibilités de collaboration, c’est plus via la coopération algéro-française. Nous avons développé aussi, ces dernières années, des relations bilatérales avec l’Espagne, l’Italie, le Portugal. Nous participons par ailleurs à des projets européens type Erasmus, Prima..

  • Y a-t-il un programme de bourses permettant à vos étudiants de parfaire leur formation et développer leurs projets de recherche à l’international ?

Tout à fait. Il y a des appels d’offres du ministère qui arrivent régulièrement. Il y a des pays qui offrent des bourses, et qu’on diffuse. Nous avons des bourses pour le master et des bourses de doctorat.

En outre, nous avons un budget qui est habituellement attribué à l’établissement, mais du fait de la crise de Covid, nous ne l’avons pas utilisé. Ce budget, qui est alloué par le ministère chaque année, permet d’envoyer en stage des doctorants. Ce sont des stages de deux à trois mois. Ce financement permet aussi de participer à un congrès international.

  • De votre point de vue, comment concilier enseignement de masse et excellence ?

Si on parle du cas de l’USTHB, c’est vrai que nous avons un enseignement de masse, on est obligés. Toujours est-il que l’enseignant doit consentir des efforts pour transmettre de la meilleure des façons les connaissances requises.

Et cette transmission peut être sélective, c’est tout à fait logique. Personnellement, quand je donnais mon cours, je ciblais en priorité les trois premières rangées dans l’amphithéâtre. Ce sont généralement les plus studieux qui se mettent aux premiers rangs. Comme je le disais, nombre d’étudiants ont un problème d’adaptation.

Quand je vous ai dit que le taux de réussite en première année est de 35% à peu près, je trouve que c’est correct. Si sur 50 000 étudiants, j’en ai 5000 qui excellent, c’est très bien. Et si j’ai 20 000 qui sont plus ou moins moyens, ce n’est pas méchant. Parce qu’il y a un taux de déperdition que de toute façon vous ne pouvez pas éviter. Et quand vous avez la quantité, justement, à ce moment-là, vous pouvez extraire cette qualité.

Et c’est souvent de la très bonne qualité. Parce qu’ils ont évolué dans un environnement difficile. Quand je vois que beaucoup de nos informaticiens, sortis de Bab Ezzouar, réussissent en Europe, au Canada, que nombre de nos diplômés ont créé des start-up, sont devenus de bons managers, c’est gratifiant.

  • Cela renvoie aussi à la question de l’exode massif de nos cadres vers l’étranger. C’est un sujet qui revient régulièrement dans le débat public et émeut l’opinion. Vous n’êtes pas peiné de voir toutes ces compétences partir ?

C’est triste, en effet, mais vous remarquerez que tous les pays connaissent ce phénomène.

  • On est à l’ère de la mobilité ?

Exactement, on est à l’ère de la mobilité. On ne peut pas retenir nos diplômés. Bien sûr, il faudrait œuvrer pour garder une partie de ces talents dans notre pays afin de participer au développement.

C’est quand même navrant de voir qu’après tous les efforts que nous avons déployés, un grand nombre de nos meilleurs cadres vont exercer sous d’autres cieux. Nous, en tant que formateurs, on n’y peut rien.

Le rôle de l’université, c’est d’abord de former, ce n’est pas d’embaucher. Il faut savoir intéresser ce jeune diplômé et créer les conditions adéquates en termes d’emploi, de salaire, pour l’inciter à rester en Algérie.

  • Le système LMD est-il adapté, d’après vous, aux exigences de l’enseignement des sciences et de la technologie ?

Le système LMD ne pose pas fondamentalement de problème. En fait, le LMD, c’est le modèle anglo-saxon, et il a été ensuite adopté par pratiquement tous les pays. Ce n’est pas le système lui-même qui pose problème, mais son application.

Dans ce modèle, il y a trois diplômes qui sont délivrés. Vous avez un premier diplôme au bout de trois ans d’études, ce qui n’existait pas pour le cursus d’ingénieur. Ainsi, l’étudiant, pour peu qu’il arrive à s’accrocher, peut déjà sortir avec une licence après trois ans de formation. L’autre avantage avec le LMD est qu’il permet une plus grande flexibilité quant aux offres de formation.

Outre le master académique, vous avez le master professionnel. Et vous pouvez créer autant de masters professionnels que vous voulez. Seulement, il faudrait que le secteur socioéconomique suive. Dans ce sens, j’espère que le master qu’on a créé avec nos deux partenaires pharmaceutiques va bien fonctionner, et qu’on va lancer d’autres masters de ce type-là.

  • Vous avez pris vos fonctions, M. Akretche, en mars 2020, pile au moment où on plongeait dans la crise du coronavirus et le début du confinement total. Comment l’USTHB a vécu cette crise sanitaire ? Les choses sont-elles revenues à la normale ?

C’était très dur au départ. Il fallait surtout convaincre, que ce soit les étudiants ou bien les enseignants, que nous étions dans une situation exceptionnelle. Le 20 mars 2020, j’étais un peu comme Tarek Ibn Ziyad : «El adouwwou amamakoum wel bahrou waraakoum» (L’ennemi est devant vous et la mer derrière vous).

Il fallait trouver rapidement une alternative. De mars 2020 jusqu’à la rentrée, c’est-à-dire le deuxième semestre 2020, on n’avait pas d’autre choix que le distanciel. Nous avons eu de la chance, le responsable de Cisco a mis à notre disposition la plateforme Webex gratuitement.

Nous avons dispensé des cycles de formation au profit des enseignants. Le centre de ressources informatiques a travaillé d’arrache-pied, il a créé 2000 comptes pour les enseignants. On s’est donc lancés dans l’interactif, et en parallèle, nous nous sommes également mis sur la plateforme Moodle. Il y avait des cours enregistrés au profit des étudiants.

  • Vous avez donc réussi à boucler le deuxième semestre 2020 ?

Oui, nous l’avons assuré et les examens ont été tenus. Avant les examens de septembre 2020, nous avons profité du déconfinement partiel et avons renoué pour une période de deux à trois semaines avec le présentiel pour permettre aux étudiants de mieux se préparer. On l’a fait  surtout pour les modules fondamentaux. C’était plus des cours et des TD de révision, en prévision des examens.

  • Comment évaluez-vous rétrospectivement l’impact de la pandémie sur les étudiants ?

On était au SMIG pédagogique. Heureusement que ça n’a duré qu’un semestre. Parce que le premier semestre (2020, ndlr) a été bouclé dans de bonnes conditions. Et au cours du deuxième semestre, nous avons malgré tout réussi à transmettre ce qu’il y avait à transmettre. Lors de la rentrée universitaire 2020-2021, on a instauré le mode hybride. On a réparti les étudiants sur trois vagues, soit une semaine sur trois.

Cette année, on les a  répartis sur deux vagues, une vague en présentiel, et une vague en distanciel. Cela nous a permis de faire plus de travaux pratiques. Il y avait également plus d’interaction entre les étudiants après le déconfinement. Il y a eu une vraie solidarité inter-étudiante qui s’est installée. Tout cela a fait que la situation s’est nettement améliorée du point de vue de la transmission des connaissances, et on a assuré nos semestres de façon normale.

  • Et comment avez-vous vécu la 4e vague, en janvier ? Vous avez dû fermer l’université, n’est-ce pas ?

En janvier, on a dû fermer pendant 15 jours. Mais, fort heureusement, on avait entamé nos examens avant. On avait même terminé ceux de première année. Après, il y a eu l’Omicron qui a commencé à sévir. Il y a eu quelques perturbations. J’ai réuni la cellule Covid et j’ai pris la décision de fermer le campus. On a fermé pendant deux semaines, après, on s’est rattrapés.

  • Aujourd’hui,  vous êtes revenus au présentiel ?

Officiellement, on ne peut pas. Je ne peux pas prendre seul la décision. Tant que le ministère de la Santé ou le Comité scientifique n’ont pas décrété le retour au présentiel, on maintient le système hybride, mais avec une forte coloration présentielle.

Dans l’ensemble, hamdoullah, on a pu gérer cette période. Pour jauger, il faut regarder la production. Quand je vois qu’à l’étranger, on continue à prendre nos étudiants, cela veut dire qu’on fait du bon travail.

D’ailleurs, il y a quelque chose qui me tient à cœur, et que je voudrais réactiver : on avait une cellule qui s’appelait l’Observatoire des diplômés de l’USTHB. Cet observatoire est un indicateur de qualité.

Si, par exemple, au terme d’une année universitaire, j’ai 100 diplômés et que les 100 sont recrutés, c’est un bon signe. Si, sur une autre saison, j’ai 80% de réussite, puis l’année d’après, 50% de réussite, c’est un signe que quelque chose ne va pas. Donc ça m’alerte sur la pertinence de cette formation.

  • L’université de Bab Ezzouar a formé plus de 100 000 diplômés depuis sa création en 1974, selon le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdelbaki Benziane. L’université a lancé un projet de création d’une association des diplômés de l’USTHB. Quel est l’esprit de cette initiative ? Pour vous, c’est important de garder ce lien avec les anciens de l’USTHB ?

Oui, absolument ! On a lancé ça il y a longtemps, du temps de M. Benzaghou. Mais pour le moment, nous n’avons pas encore mis cette association sur pied. L’idée, c’était de créer un réseau qui servirait en quelque sorte à faire du lobbying au profit de l’université.

  • Vous nous disiez, avant d’entamer cette interview, que des chercheurs de renommée mondiale, comme Belkacem Haba, Noureddine Melikechi ou encore Yasmine Belkaid, ont fait l’USTHB. Vous les avez sollicités pour venir donner des conférences, transmettre leur expérience aux étudiants ?

Effectivement, je les ai contactés. Belkacem Haba, je l’ai rencontré récemment. On s’est vu au CIC (le Centre international des conférences). Il est membre du CNRST, le Conseil national de la recherche scientifique et technologique. Je lui ai lancé une invitation pour donner une conférence à l’USTHB, et il m’a promis de venir. Melikechi aussi. J’ai écrit également à Mme Belkaid.

C’est important que des chercheurs de cette dimension viennent rencontrer nos étudiants. Ça va les motiver. Ils verront que ce sont de purs produits de l’USTHB et de l’Ecole algérienne, et voilà aujourd’hui où ils en sont. Ce sont des modèles dont ils pourraient s’inspirer. C’est aussi pour dire que rien n’est impossible pour un étudiant de l’USTHB. Nos diplômés sont partout. 

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