Baisser de rideau, tard dans la journée de mardi dernier, sur les débats du procès en appel de Sonatrach devant la chambre pénale près la cour d’Alger et le sort des 37 prévenus, dont quatre sociétés pétrolières internationales, l’italienne Saipem, le canadien SLC-Lavalin, le britannique Petrofac INC et le japonais JGC, sera tranché dimanche prochain.
Parmi ces derniers, trois anciens ministres : Chakib Khelil, de l’Energie, Mohamed Bedjaoui, des Affaires étrangères, les deux en fuite, et Amar Ghoul, des Travaux publics, ainsi que Mohamed Meziane et Abdelmoumène Ould Kaddour (poursuivis en tant que directeur général de BRC), ancien PDG de Sonatrach, Réda Hamech, son directeur de cabinet, en fuite, Noureddine Bouterfa, ancien ministre de l’Energie (poursuivi en tant qu’ancien PDG de Sonelgaz), Abdelhamid Zerguine, ancien PDG de Sonatrach (poursuivi en tant que chef de division engineering et développement), Samy Michel, ancien directeur de la division engineering et développement, et plusieurs cadres dirigeants de la compagnie notamment de l’activité Amont.
Censées éclairer les magistrats sur les failles dans les procédures d’attribution des marchés liés aux études des projets de Gassi Touil, Rhourd Ennous, les auditions ont plus compliqué la compréhension du concept de feed-compétitif (présentation d’une étude du projet), avant l’attribution du marché de réalisation en EPC (clé en main).
Les représentants des quatre sociétés étrangères ont tenté d’expliquer de manière détaillée ces études sur la base desquelles repose la décision d’attribution du marché de réalisation en EPC, tout en évoquant des pertes en argent, notamment pour Petrofac et Saipem.
Les représentants de JGC, bénéficiaires du marché de Gassi Touil (aujourd’hui en activité), se sont déclarés «étonnés» de voir leur statut «basculer de témoins à inculpés» sans qu’ils «soient informés». Ils affirment avoir obtenu le marché «dans le cadre de la loi», et l’ont réalisé «dans les délais».
Pour ce qui est des projets octroyés à BRC, Ould Kaddour explique qu’ils ont été «attribués par Sonatrach à une société dans laquelle elle est actionnaire à 50% et représentée au conseil d’administration avec cinq sièges».
Il reconnaît que les projets réalisés au profit de Sonatrach (parking, piscine, villas d’hôtes, centres de formation, etc.) ne sont pas du «gabarit» de BRC qui fait de l’engineering et la construction, «mais lorsque Sonatrach nous saisit, nous ne pouvons pas refuser». Les «surfacturations», il les explique par «la qualité des travaux et des matériaux utilisés».
Khellil et la loi sur les hydrocarbures
Dans ses réponses aux juges, Zerguine laisse planer le doute sur l’attribution de ces marchés à BRC, sur «instruction», dit-il, du ministre de l’Energie puis évoque son «limogeage illégitime et inexpliqué» de son poste en 2006.
Mais les révélations sont venues d’abord d’Amar Ghoul, embarqué dans un dossier de Sonatrach, alors que les faits qui le concernent sont liés à l’octroi d’un tronçon de l’autoroute Est-Ouest à la société chinoise Citic-CSC qui, selon l’enquête, s’est fait sur intervention du trafiquant d’armes Pierre Falcon. Des faits qui lui ont valu une peine de 10 ans de prison, en 1re instance. Très en colère, il a essayé de mettre la lumière sur l’énigmatique Falcon et sa visite en Algérie. Il rejette l’accusation arguant du fait que la visite de Falcon a eu lieu en janvier 2005 et la décision de lancer le «projet de l’autoroute a été annoncée au mois de mai 2005».
Il explique : «Il est venu dans un avion avec une délégation de 13 militaires. Est-ce que le ministère des Travaux publics vend des armes pour que Falcon lui rende visite ? Falcon est venu dans une mission militaire. Il a été reçu au ministère de la Défense, en présence du ministre des Affaires étrangères et des hauts responsables de l’armée. Il a été invité par le président du Conseil constitutionnel, pris en charge par le Conseil constitutionnel qui lui a obtenu son visa.»
Il exhibe même un document «faxé par l’équipage à la direction de l’aviation civile», avant l’atterrissage de l’avion, dans lequel il est écrit «invité du ministère de l’Energie». La suite de l’énigme vient de Me Allegue, avocat de Ghoul, qui présente aux magistrats un courrier, adressé par Mohamed Bedjaoui, à partir de son refuge, par le biais d’un bureau d’avocats parisien, avec copie à la Présidence et au ministère de la Justice. Dans cette lettre, il affirme que c’est lui qui est derrière l’invitation de Pierre Falcon, et ce, «à la demande du président de la République et d’un haut responsable de la sécurité».
Un autre avocat du collectif de défense de Ghoul s’est d’ailleurs insurgé contre «le fait que son mandant qui se trouve en Algérie, et en prison soit condamné à 10 ans alors que Bedjaoui qui est toujours en fuite, et qui a reconnu avoir été derrière l’invitation de Falcon pour aider les Chinois à avoir des marchés a écopé d’une peine de 5 ans par défaut». Me Boutaleb, un autre avocat de Ghoul apporte d’autres précisions : «Falcon est venu pour quelques jours avant de repartir vers le Rwanda. Il a été reçu au ministère de la Défense, et à la Présidence.
Dans sa réponse écrite, le secrétaire général du Conseil constitutionnel a clairement affirmé que la prise en charge de Falcon et de la délégation qui l’accompagnait à l’hôtel Sheraton a été assurée par le Conseil constitutionnel. L’ex-ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra a déclaré à la presse que c’est le Conseil constitutionnel qui a invité Falcon. Pourquoi Ghoul est-il ici aujourd’hui ? Sur quelle base le parquet réclame contre lui 12 ans de prison, alors que Bedjaoui a écopé de 5 ans de prison ?» Représentée par Me Chiat, la défense de Mohamed Meziane retient l’attention de l’assistance avec des révélations surprenantes sur Chakib Khelil.
L’avocat commence par revenir aux longues années passées par l’ex-ministre de l’Energie aux Etats-Unis et son «étroite relation avec ce sénateur du Michigan, Edward Abraham Spencer, devenu ministre de l’Energie dans son pays», puis présente ce dernier comme «un influent» conseiller. «Qui osait contredire ou démissionner sous Chakib Khelil ? Personne.
Pourquoi alors reprocher à Meziane de n’avoir pas abandonné son poste ? Chakib Khelil était le maître sorcier qui leur enseignait la sorcellerie. Il agissait sous les conseils du sénateur américain, qui est en réalité l’artisan de la loi sur la privatisation du secteur de l’Energie. Le sénateur a pesé de son poids pour obtenir un crédit de 18 millions de dollars, auprès de la Banque mondiale, destiné à l’Algérie pour accompagner cette privatisation, à travers une loi sur l’énergie en 2005 qui était en violation avec le principe de la souveraineté de l’Etat sur les ressources du pays, mais aussi avec l’article 12 de la loi portant création du conseil national de l’énergie.
Il a préparé une loi pour la privatisation de Sonelgaz et donc de l’électricité et du gaz algérien. Qui a osé lui barrer la route à l’époque ? Un seul s’est dressé contre lui pour lui faire barrage. C’était le défunt ministre de l’Intérieur, Lyazid Zerhouni», déclare Me Chiat, devant une assistance collée à ses lèvres. A propos de BRC, il s’est demandé pourquoi sur les 41 contrats obtenus par BRC, l’enquête ne s’est intéressée qu’à 11, tous signés par Mohamed Senhadji, qui n’a jamais été cité.