Procès en appel de Sonatrach : Khelil, le sénateur américain et la privatisation des hydrocarbures

12/04/2023 mis à jour: 02:20
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(les deux anciens ministres : Chakib Khelil de l’Energie et Mohamed Bedjaoui des Affaires étrangères)

Le procès en appel de Sonatrach a repris hier à la cour d’Alger avec le réquisitoire et les plaidoiries des parties civiles mais aussi de la défense. Lors de son réquisitoire, le représentant du ministère public n’y a pas été par le dos de la cuillère. 

Il commence par décortiquer l’affaire, présentée sous quatre volets : BRC, autoroute, le marché de réalisation de la centrale électrique de Hadjret Enous et celui du complexe gazier de Rhourd Enous, puis a entamé sa plaidoirie :  «Le dossier de l’autoroute concerne un marché de réalisation d’un tronçon accordé à une société chinoise après intervention du trafiquant d’armes Pierre Falcon auprès de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui. Le même Falcon s’est rendu en Algérie sur invitation du ministre des Travaux publics Amar Ghoul. Juste après cette visite, le cahier des charges à été retiré puis changé, et le marché attribué à la société chinoise en dépit des réserves de la commission nationale des marchés.» 

Poursuivant son réquisitoire, le magistrat passe au dossier BRC et rappelle l’enquête judiciaire du tribunal de Bir Mourad Rais, à Alger en 2006, ouverte à la suite d’une lettre anonyme faisant état de «graves anomalies dans les 41 contrats obtenus par BRC de gré à gré simple. Parmi ces derniers, 14 ont été accordés par le ministère de la Défense et 27 par Sonatrach». Ces marchés, dit-il, «ont causé un lourd préjudice et engendré des dysfonctionnements, notamment des retards dans la réalisation, le recours à des sous-traitants, des coûts élevés et l’apparition de malfaçons, paiement d’avance. 

Ces marchés ont été octroyés sur instructions écrites ou orales du ministre d’Energie, Chakib Khelil, en violation des règlements internes de Sonatrach». Le procureur général cite, à ce titre, quelques contrats, comme la construction des maisons d’hôte de Tamanrasset, Djanet et d’Oran mais aussi les centres de formation d’Arzew et d’Oran. Pour le représentant du ministère public, «même la réalisation de la centrale électrique de Hadjret Enous par SLC-Lavalin a été octroyée sur instruction de Chakib Khelil et après intervention de Mohamed Bedjaoui. SLC-Lavalin a bénéficié d’indus avantages au détriment des intérêts de Sonelgaz». 

Le magistrat évoque, par la suite, les deux marchés de réalisation de pipe-lines pour le transport de gaz et de pétrole de Gassi Touil et de Rhourd Enous vers Oran et Arzew, et cité les quatre compagnies étrangères Saipem, Petrofac INC, SLC-Lavalin et JGC, poursuivies dans ce cadre, en disant : «Ces contrats d’étude ont été attribués en violation de la loi et du règlement interne de Sonatrach. Ce qui a induit des transferts illicites de fonds vers l’étranger causant ainsi un préjudice financier à la compagnie. Le gré à gré est une procédure d’urgence exceptionnelle, bien définie pas la réglementation interne. Il ne peut être utilisé de manière systématique.»

100 milliards de dinars réclamés à Khelil, Bedjaoui et Hamech

Pour toutes ces raisons, le procureur général requiert une peine de 12 ans de prison ferme assortie d’une amende d’un million de dinars contre Amar Ghoul, Abdelmoumen OuldKaddour et Mohamed Meziane, et une autre de 10 ans de prison ferme et un million de dinars d’amende contre Noureddine Bouterfa, ancien PDG de Sonelgaz et ancien ministre de l’Energie. Le parquet général plaide aussi la condamnation à 8 ans de prison ferme et un million de dinars d’amende contre Boumedienne Belkacem, directeur de la division production à Sonatrach, et une autre de 5 ans de prison ferme et un million de dinars d’amende contre quatre  prévenus, dont Abdelhamid Zerguine, ancien PDG de Sonatrach, qui était chargé des infrastructures à la compagnie au moment des faits.

 Il a demandé aussi une peine de 4 ans contre 18 prévenus et de 3 ans contre 3 autres. Concernant les quatre sociétés étrangères, le représentant du ministère public a requis le paiement par chacune d’elles d’une amende de 5 millions de dinars et la confiscation de tous les objets et biens saisis. Présente comme partie civile, Sonatrach s’est constituée contre les deux anciens ministres : Chakib Khelil de l’Energie et Mohamed Bedjaoui des Affaires étrangères, ainsi que Réda Hamech, ancien directeur de cabinet de Mohamed Meziane, PDG de Sonatrach et homme de confiance de Chakib Khelil. En dédommagement du préjudice subi, elle leur a réclamé le paiement solidaire d’une somme de 10 milliards de dinars. 

Pour sa part, le Trésor public a plaidé le paiement, par l’ensemble des prévenus condamnés, de la somme de 5000 milliards de dinars. Les premiers avocats qui se sont succédé devant le prétoire sont ceux des sociétés étrangères, Petrofac, Saipem, JGC et SLC-Lavalin. Ils étaient unanimes à déclarer que leurs mandants ont pris part aux consultations à la demande de Sonatrach pour les deux projets de Gassi Touil et Rhourde Enous et que l’intérêt n’était pas les contrats de feed-competitif, qui est une étape nécessaire, mais celui de la réalisation. Tous ont estimé «qu’il n’y a eu aucun préjudice» et pour preuve, ajoutent les avocats, 

«Sonatrach ne s’est pas constituée contre elles». Avocat de Mohamed Meziane, Me Chiat évoque les griefs retenus contre son mandant : «abus de fonction» et «dilapidation de deniers publics», puis s’insurge : «On reproche à Meziane de ne pas avoir démissionné. Qui osait parler de Chakib Khelil à l'époque ? Ils étaient ministres et sont aujourd'hui dans cette salle, qui d'entre eux osaient parler de la loi sur les hydrocarbures ?»

Bedjaoui : «C'est le président qui a invité Falcon»

L’avocat poursuit : «En ce temps-là, Chakib Khelil, conseillé par un sénateur américain, devenu ministre de l’Energie, l’a aidé à obtenir un crédit de la Banque mondiale d’un montant de 18 millions de dollars pour la préparation de l’Algérie à la privatisation de l’énergie. Il a travaillé et présenté la loi sur les hydrocarbures en 2005, qui était en violation du principe de la souveraineté de l’Etat sur les ressources du pays. Seul un homme, le défunt Yazid Zerhouni, a réussi à déjouer le plan de Chakib Khelil qui consistait à privatiser Sonelgaz. Il est revenu faire la tournée des zaouias et aujourd’hui on poursuit Meziane et on lui demande pourquoi n’a-t-il pas démissionné !» 

Me Chiat poursuit sa plaidoirie en se demandant pourquoi sur les 41 marchés obtenus par BRC seulement 11 ont fait l'objet d'enquête, et pas ceux des autres. 

Me Boutaleb, avocat de Amar Ghoul, lui emboîte le pas et s’interroge lui aussi pourquoi son mandant est en prison. «On reproche à Ghoul d’avoir invité Falcon alors qu’un fax a été envoyé aux ministres Khelil de l’Energie et Bedjaoui des Affaires étrangères, pour les informer de sa visite et il a été reçu par le président de la République et les hauts fonctionnaires de l’Etat, sans que Ghoul n’en soit informé ou convié. Les déclarations des témoins confirment toutes ces révélations.»  

Abondant dans le même sens, Me Allegue ajoute : «J’ai été saisi par un bureau d’avocats étrangers constitué par Bedjaoui, à travers un courrier où il affirme clairement que leur mandant précise que c’est lui qui était derrière la visite de Falcon et qu’il l’a fait à la demande du Président et un haut responsable de la sécurité dont je tairai le nom.» 

Il remet la lettre à la présidente, puis continue sa plaidoirie en parlant de cette lettre anonyme qui a fait éclater l’affaire envoyée, selon lui, par «le lobby franco-américain qui n'a pas pu obtenir le projet de l’autoroute». 

Les plaidoiries s’étaient poursuivies tard dans la journée.

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