Procès des auteurs présumés du meurtre de Djamel Bensmaïn : De nombreux accusés confondus par des images violentes

18/10/2023 mis à jour: 06:33
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Photo : D. R.

Les images et vidéos au contenu violent ont plombé l’ambiance à l’audience en ce troisième jour du procès en appel des auteurs présumés du meurtre de Djamel Bensmaïn, qui se tient à Alger.

Très chargé d’émotion, le troisième jour du procès des auteurs présumés de l’assassinat de Djamel Bensmaïn n’a pas été comme ceux qui l’ont précédé. D’autres accusés, notamment ceux poursuivis pour leur appartenance au Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), mouvement classé organisation terroriste par l’Algérie, sont appelés à la barre. Dès l’ouverture de l’audience, la juge appelle Lyes Benane.

La juge : «Vous aviez déclaré avoir assisté à tous les événements.» Benane revient sur toutes ses déclarations y compris celles où il affirme que c’est Khoualdi qui a asséné les premiers coups de couteau au défunt. «Je n’ai rien dit», ne cessait-il de répéter. Il déclare que sa présence au commissariat était pour déposer plainte contre un homme qui avait un pull avec les lettres ART et qui l’avait agressé à l’entrée de la ville.

Lorsque la juge lui demande si cet homme se trouve parmi les accusés, il réplique : «Non, il n’est pas là.» Le procureur général lui rappelle : «Vous aviez déclaré devant le juge qu’il s’agissait de Ferhat Ferhat qui avait pris un manche à balai pour vous frapper...» Mais Benane persiste à nier. Achour Habbani adopte la même position et nie avoir déclaré être un militant du MAK, ou avoir identifié Chaabane Mostefai comme étant celui qui incitait les gens à la violence. Cependant, il reconnaît que les policiers n’ont pas «fait pression sur lui», ce qui fait réagir le magistrat : «Toutes vos déclarations sont les mêmes. N’avez-vous pas signé  le PV ?»

Achour garde le silence avant de déclarer : «Je n’ai rien dit.» Il cède sa place à Hassan Sayoud, qui affirme s’être déplacé à Ikhlidjen, à Larbaa Nath Irathen, pour aider les sinistrés. «Quand on est arrivé au commissariat, j’ai vu un véhicule de police saccagé et une foule, révèle-t-il. J’ai vu quelque chose de noir par terre. J’ai même pensé à un épouvantail, avant que quelqu’un ne me dise qu’il s’agit du corps d’un homme. J’ai eu peur. Nabil Chmaala était avec moi.» Sayoud affirme n’avoir pas fait confiance à ce dernier, parce qu’il ne le connaissait pas et qu’il l’a pris sur sa route pour qu’il lui montre la direction vers Ikhlidjen.

«Il sentait l’alcool. Il m’a conduit sur une autre route qui n’était pas celle de notre destination. J’avais peur de le faire descendre», dit-t-il. Sur ses publications «racistes» sur la Toile, il explique : «Je visais Bensdira qui insultait les Kabyles. J’ai écrit que les Kabyles ne sont pas des tueurs.» Et sur ses écrits sur l’armée et d’autres institutions de l’Etat, il avance sa propre version. «Je ne veux pas parler de l’armée en mal. J’habite à proximité d’une cité militaire.» Il nie toutes les autres publications, en lançant : «Ce n’est qu’un langage de café.»

La juge : «Que voulez-vous dire par : vous serez ministre si vous suiviez les directives du temple ?» Perturbé, Sayoud lâche : «C’est juste des écrits.» Le procureur général relance : «Vous écrivez principalement sur le MAK. Réagissez-vous sur la page de Mohamed Abranis ?» «Je suis de Mila, je ne suis pas Kabyle pour être du MAK», répond Sayoud.

La juge : «Syphax vous connaît. Il vous a même promis un poste, et vu votre niveau d’instruction, il vous a dit qu’ils vont user de corruption pour vous le débrouiller.» L’accusé : «C’était un escroc.» Appelé à la barre, Hadjaz Azouaou nie d’emblée son appartenance au MAK. Il déclare que la vidéo sur la Clio renversée a été prise alors qu’il était de passage, mais il reconnaît l’avoir diffusée sur la Toile.

Deux des trois victimes sont ensuite appelées à la barre. Le premier est Lyes Fekar, propriétaire de la Clio, qui est revenu sur l’agression dont il a été victime. Parmi les accusés, il reconnaît Chaabane Mostefai qui tenait une pelle et incitait les gens à saccager la voiture en criant : «Vous êtes des Arabes, vous êtes des pyromanes.» Lui et son accompagnateur ont pris la fuite.

«Le MAK, une organisation que sur Facebook»

Le premier a été récupéré par la police et le second s’est sauvé. «Ils nous ont poursuivis jusqu’au commissariat. Ils nous ont évacués à minuit vers Tizi Ouzou.» Il identifie son agresseur qui jure à trois reprises : «C’est un menteur !» Le père du défunt entre dans la salle et demande la parole : «Mon fils a dit à sa mère avant de quitter la maison qu’il allait aider ses frères en Kabylie.

C’était un artiste. La manière avec laquelle ils l’ont tué nous a fait très mal. Il a demandé de l’eau, ils lui ont donné de l’essence. Je me torture à m’interroger à quoi pensait-il à ce moment précis, et pourquoi ne lui ont-ils pas donné de l’eau. Des questions que sa mère se pose tous les jours.» Les yeux larmoyants, il quitte la salle en refusant d’assister à la projection des vidéos.

Mamo Syphax est appelé à la barre. Militant du MAK, de 2017 à 2019, il déclare : «Coordinateur de Larbaa Nath Irathen, à titre honorifique en 2019, mon travail se limitait à l’affichage et à la participation aux marches. En 2020, j’ai pris conscience qu’il n’avait que l’option de l’indépendance qui était mise en avant et pas l’autonomie.» La juge lui demande s’il avait des contacts avec Ferhat Mhenni.

Il est catégorique : «Je n’ai pas communiqué avec lui et je n’ai jamais pris part aux réunions. Nous étions quatre à nous rencontrer au café.» Mamo cite les trois membres du MAK : Mohamed Oubelaid Malek, Yassine Nechak et Mohamed Laskri, mais insiste pour préciser qu’il n'y a jamais eu de contacts avec des parties étrangères.

Il affirme cependant que les échanges de discussion avec des personnes sur la Toile, telles que Nina Matoubi ne constituaient pas de véritable relation, ajoutant : «Les gens que je connaissais sont Hassan Sayoud, et Loucif Chemini, je les ai vus pour la première fois durant cette affaire.» 

La juge : «L’expertise technique de votre téléphone a montré que vous avez effacé toutes les données du 11 et du 12 août, y compris les activités sur la Toile.» Mamo Syphax : «Lorsqu’il y a eu l’arrestation de Laskri, j’ai effacé toutes nos photos et discussions.»

A propos de Bellabassi, un des dirigeants du MAK, l’accusé le présente comme un conseiller de Ferhat Mhenni et non pas son adjoint. Il ajoute que sa démission du MAK a été envoyée le 25 juin 2021, bien avant l’assassinat de Bensmaïn, précisant : «Avant cet événement, les activités du MAK était tolérées.»

Il est remplacé à la barre par Mechak, qui lui aussi dit avoir été membre du MAK entre 2016 et 2019.

La juge : «Vous étiez trésorier, donc vous gériez les fonds ?» Mechak : «Ce titre est uniquement sur Facebook. Dans la réalité, il n’existe pas. Une semaine avant mon arrestation, ma démission du MAK était toujours sur la page de Béjaïa City.» Sur les événements, il déclare qu'il était de passage lorsqu’il avait vu une foule importante devant le véhicule renversé et a pris une photo mais, sans la partager.

Il nie toutes les autres déclarations, notamment celles liées à ses contacts avec Mhenni. Mohamed Laskri lui succède à la barre et d’emblée nie avoir été présent sur les lieux durant les faits. «J’étais coupé du monde dans mon village. J’ai démissionné du MAK en 2020, après les deux autres membres. Je l’avais rejoint en 2016 et durant toute cette période ma mission consistait à prendre part aux marches et afficher les déclarations.»

La juge  : «Vous aviez déclaré que Yacine Drissi vous a appelé pour vous dire que le 11 août, il y aura quelque chose de grave et qu’il faut se préparer.» L’accusé nie tout en renvoyant ses propos aux policiers qui, selon lui, l’ont «forcé à faire ses aveux».

Des peines capitales requises contre 69 accusés

Le procureur général près le tribunal de Dar El Beida a requis, hier en fin de journée, des peines allant de 20 ans de réclusion criminelle à la peine capitale. Des peines capitales ont été requises contre 69 accusés poursuivis pour des crimes et 20 ans de réclusion criminelle contre 24 autres pour délits

 Le magistrat a souligné que le crime commis était dirigé, selon lui, contre les institutions de l’Etat et qu’il avait semé la terreur à Larbaa Nath Irathen et dans tout le pays. Il est revenu sur le contexte des incendies commis par des mains criminelles et qui ont endeuillé la région, suscitant un immense élan de solidarité à travers les quatre coins du pays.

Il poursuit : «Bensmaïn est venu avec une petite somme d’argent dans sa poche, lui qui aimait tant son pays, pour aider ses frères. Ils l’ont tué, mutilé et brûlé.»

Le magistrat a, dans son réquisitoire, évoqué les circonstances de l’attaque organisée contre les trois passagers de la Clio Campus immatriculée 44; puis a ajouté qu’au moment où le défunt filmait la scène, Haddad Amrane l’a sommé d’arrêter l’enregistrement avant de l’accuser d’être le pyromane devant toute la foule. Il a aussi cité Chaabane Mostefai, cet homme qui s’est permis de le fouiller, de lui retirer ses papiers, son téléphone et ses clefs des poches avant d’aller vers la foule et de déclarer que le défunt est venu de Ain Defla, comme s’il était étranger dans son pays.

Poursuivant son réquisitoire, le procureur a évoqué le nom d’Aghiles Zetri, celui qui a refusé une gorgée d’eau au défunt, l’a livré à cette foule hystérique et l’a traîné par terre avec une sauvagerie inouïe pour qu'il finisse brûlé. «Tous ont agi comme s’ils étaient au-dessus de la loi. Ils jugent, condamnent et exécutent sans appel. Ils ont appliqué la logique de la loi de la jungle.» Le magistrat a rappelé la publication d’un des accusés, professeur des sciences islamiques sur laquelle on pouvait lire : «Tu brûles, on te brûle» ; et en arrière-plan la photo du corps encore fumant du défunt.

Puis il a évoqué Iddir Louardi, celui qui avec un cutter a tranché le cou calciné du défunt et détaché la tête avec des coups de pied. Pour le magistrat, il y a beaucoup de preuves sur l’implication du MAK, citant ce message transmis la veille par un dirigeant de cette organisation à Yacine Dridi, l’informant qu’un grave événement allait se produire le 11 août et qu’il doit dire aux commerçants de baisser leurs rideaux. S. T.

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