Le procès de Yacoub Belhassine, le fameux «général» qui a escroqué de nombreux hauts fonctionnaires de l’Etat, des diplomates, des walis, des ministres, en leur soutirant de l’argent, n’a révélé qu’une partie de l’iceberg, au vu des conclusions de l’enquête judiciaire. Lors de son audition, Belhassine a refusé l’assistance d’un avocat.
Il a reconnu plusieurs faits, rejeté d’autres et gardé le silence sur certains pour «des raison d’Etat», a-t-il déclaré. Il a expliqué que les fonds qu’il a soutirés à ses victimes étaient destinés aux pauvres, aux hôpitaux et aux personnes qui étaient dans le besoin. Pour lui, ce sont les victimes qui auraient dû être poursuivies pour l’avoir cru. Retour sur un procès inédit…
Par Salima Tlemçani
Baskets dernier cri avec des lacets d’une blancheur incroyable, jogging noir et blouson de la même couleur, visage enfantin au sourire remarquable et des cheveux raids et aussi noirs que les plumes d’un corbeau. Yacoub Belhassine, né en janvier 1999, celui que l’on surnomme le «Général», a quitté le pays en direction de la Grèce en 2018, alors qu’il n’avait pas encore bouclé ses 20 ans. Deux ans après, il est devenu l’Algérien le plus connu sur la scène médiatique, en raison de sa méthode inédite d’escroquerie ayant ciblé de nombreux hauts fonctionnaires de l’Etat, des cadres de l’administration locale, des directeurs de l’action sociale dans les wilayas de Béjaïa, Tlemcen, Bouira, Tamanrasset, Annaba, Sidi Bel Abbès, Tipasa, des walis, des magistrats, des diplomates, etc. Au moins 64 victimes (selon le dossier judiciaire), juste en se présentant, par téléphone, tantôt comme officier supérieur de la Sécurité intérieure, tantôt comme colonel de la sécurité de l’armée et souvent comme secrétaire du cabinet de la présidence de la République. Avec ces titres usurpés et des documents falsifiés, il a soutiré des sommes colossales en dinars mais aussi en devise, transférées à l’étranger, ou récupérées de l’étranger, puis virées sur des comptes des membres de sa famille ou de ses amis.
Mercredi dernier, lors de sa comparution devant le pôle pénal de lutte contre les délits liés aux TIC (technologies de l’information et de la communication), près le tribunal de Dar El Beïda, à Alger, il était seul au box des accusés. L’audience est consacrée uniquement à son procès pour «faux et usage de faux dans les écritures administratives», «intervention, sans en avoir la qualité, dans des fonctions publiques, civiles ou militaires», «escroquerie et tentative d’escroquerie en recourant aux TIC» et «violation de la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger». Six de ses co-prévenus étaient en liberté, le septième en fuite, alors que de nombreuses victimes étaient absentes.
Dès 9h30, le juge commence à appeler les parties et à vérifier l’identité des prévenus. Belhassine persiste à ne pas constituer d’avocat, et refuse une défense d’office. Le juge lui demande s’il avait rejoint la Grèce illégalement. «Je suis parti en 2018, avec un visa touristique et j’y suis resté de manière légale», affirme le prévenu. Le président prend quelques documents de la pile de dossiers devant lui, et l’interroge : «selon l’enquête, vous aviez contacté ces gens…» Yacoub répond : «je ne connais personne parmi ces gens.»
Le juge : «eux disent qu’ils vous connaissent.» Yacoub persiste à nier. «S’ils ont une seule preuve, qu’ils me confrontent ici devant vous. Je pourrais vous dire que oui, j’ai escroqué des institutions pas ces gens…» Le magistrat l’interroge à nouveau : «vous aviez aussi contacté la direction de l’aviation civile et le ministère des Transports…» Belhassine avec un large sourire lui répond : «oui, c’est une autre affaire.» Le juge : «et la tour de contrôle aussi pour faire atterrir un avion qui était en vol.» Le prévenu : «c’est une longue histoire. Oui, j’ai appelé le ministère des Transports, pour avoir le numéro de la tour de contrôle. Je l’ai eu et lorsque j’ai appelé le responsable, je lui ai dit qu’il y avait une bombe à bord de l’avion d’Air France en provenance du Tchad, qui survolait notre espace aérien pour rejoindre la France, et qu’il fallait à tout prix le faire atterrir. J’ai même appelé le secrétaire particulier du président français pour parler de cette affaire. Mais bon…»
«J’ai appelé le secrétaire particulier du président Français»
Le juge : «vous aviez parlé avec un des pilotes. Le connaissiez-vous ?» «J’ai appelé le secrétariat du directeur général d’Air Algérie et j’ai eu le numéro de la tour de contrôle. Je vous ai dit que c’est une longue histoire, d’ailleurs ce pilote dont vous parlez était avec moi dans la même cellule à la prison, pour une autre affaire», affirme Belhassine, avant que le juge ne le ramène à l’ex-ambassadrice d’Algérie en Bulgarie. «Vous l’aviez contactée par téléphone, en vous présentant comme général des services et vous lui avez demandé de l’argent pour financer une opération secrète à l’étranger avec les fonds de l’ambassade. Vos échanges de communications se faisaient sur WhatsApp. Elle vous a remis 5000 euros. C’est ce que vous avez déclaré lors de vos auditions.» Belhassine, toujours avec un large sourire, nie les accusations. «Donnez-moi la preuve.» Le juge : «votre numéro de téléphone et l’historique de vos échanges téléphoniques.» Le prévenu : «ce n’est pas mon numéro.» Le juge insiste et confronte le prévenu aux numéros utilisés lors des communications avec l’ex-ambassadrice, mais Belhassine campe sur sa position : «ce n’est pas vrai.» Le juge : «vous aviez déclaré que ce numéro appartenait à votre frère.»
Belhassine : «je n’ai pas de frère.» Le juge : «niez-vous les propos que vous avez tenus devant le juge d’instruction ?» Belhassine : «ce n’est pas moi.» Le juge : «répondez à ma question !» Un peu irrité, Belhassine persiste à dire qu’il n’avait pas de frère. «Et ceux qui sont-là ne sont-ils pas vos frères ? Ne sont-ils pas vos frères adoptifs ?» «Je n’ai pas de frère adoptif et les téléphones ne m’appartiennent pas», crie Belhassine avant de se ressaisir et de dire : «oui, c’est ma famille adoptive. Ce sont mes deux frères et ma sœur adoptifs.»
Le juge : «ce sont donc vos frères ?» Belhassine acquiesce avant que le magistrat ne revienne à la charge en lui demandant si l’un d’eux lui a donné son téléphone et lui persiste à nier, mais affirme que l’un des numéros qu’il utilisait appartient à un de ses amis. «Je l’ai piraté.»
Le juge le relance. Il le fixe un moment puis lui demande de lui expliquer comment il faisait pour accéder aux numéros de téléphone de ses victimes et comment il arrivait à en pirater d’autres. «C’est avec Darkweb. Un site qui vous mène partout», dit-il, avant que le juge ne l’interrompe : «mais vous devez avoir un code. Vous l’a-t-il envoyé ?» Belhassine est affirmatif et le magistrat revient à l’ex-ambassadrice de Bulgarie. «Comment l’avez-vous escroquée ?» Belhassine avec son sourire narquois lui répond : «il y a beaucoup de choses qui concernent l’Etat dont je ne peut parler.»
Le juge : «il s’agit d’une affaire d’escroquerie pas d’Etat.» Belhassine : «l’ai-je menacée ?» Le juge : «vous vous êtes présenté comme un officier supérieur en mission secrète à l’étranger, pour le compte de l’Etat, et vous lui avez demandé de l’argent pour financer cette mission.» Le prévenu : «oui, mais je ne me rappelle pas.» Le juge : «vous a-t-elle donné l’argent ?» Belhassine finit par acquiescer. Il affirme avoir reçu la somme de 5000 euros, transférée via Western Union. Le juge : «parlez-nous des autres diplomates que vous avez escroqués avec le même procédé.» Belhassine cite la consule de Nice, en France, à laquelle il a soutiré 10 000 euros, une conseillère à l’ambassade de Belgrade, qui lui a versé la somme de 20 000 euros et une ancienne ambassadrice au Kenya, qui lui a transféré 8000 euros. Le procédé est toujours le même. De faux documents de la Présidence et du ministère des Affaires étrangères et des noms d’officiers supérieurs de l’armée ou des services et de responsables du cabinet de la présidence de la République.
Le juge revient à l’affaire de l’ancienne ambassadrice d’Algérie en Bulgarie : «vous leur avez donné rendez-vous à Athènes, en leur disant qu’un de vos éléments les attendra. Mais c’est vous qui êtes allé la rencontrer et l’avez emmenée dans un hôtel. Comment avez-vous fait pour avoir ses papiers d’état civil et ceux de son mari ?» Le prévenu affirme les avoir obtenus par le biais d’un wali, délégué de Sidi M’hamed, et… «je ne me rappelle plus». Le juge : «vous avez utilisé la même méthode.» Le prévenu : «oui, en leur disant que c’est pour une enquête d’habilitation de l’ambassadrice.» Le juge : «la même méthode aussi avec la diplomate de Nice et les autres. Combien avez-vous encaissé ?» Belhassine : «je ne me rappelle pas bien. Il y a eu 15 000, puis 20 000 euros. Pour Nice, c’est 10 000 euros.»
«Un guet-apens aux joueurs de football en Grèce»
Le juge : «et pour les autres ? Les wilayas, l’université de Sétif, les hôtels, etc.» Belhassine : «si j’avoue, ceux qui ont failli vont s’en sortir comme s’ils n’avaient rien fait. Ce sont eux qui doivent être comptables pas Yacoub.» Le juge : «c’est vous qui les avez escroqués. Vous circuliez avec une fausse identité.» Le prévenu : «je faisais l’objet d’une notice rouge à cause des mandats d’arrêt lancés contre moi. Je l’utilisais pour échapper à une arrestation.» Le juge : «vous avez aussi escroqué des hôtels en Algérie, comme par exemple le Sofitel. Qu’avez-vous à dire ?» Belhassine : «le Sofitel ?» Le juge : «oui. Vous aviez appelé l'hôtel en vous présentant comme officier supérieur auprès du cabinet de la présidence de la République, pour réserver une suite pour cinq nuitées et six jours au profit d’Anissa Jeridène, directrice de l’action sociale à la wilaya de Annaba, et son époux.» Le magistrat rappelle à Belhassine qu’il avait contacté Mme Jeridène par téléphone, en se présentant au nom du général Benbrahem, pour lui dire que l’Etat l’avait choisie pour être nommée comme attachée culturelle à l’ambassade d’Algérie au Royaume-Uni. «Vous l’avez appelée une seconde fois, par Whatsapp en lui demandant de préparer son dossier administratif et de venir à Alger pour le déposer, où une chambre à l’hôtel Sofitel lui a été réservée avec son mari. Vous lui avez aussi demandé de ramener avec elle la somme de 500 000 DA, qui représente les frais d’installation. Vous aviez tout étudié et préparé. Lorsque les responsables de l’hôtel ont envoyé la note aux services de la Présidence, elle a été rejetée, parce qu’elle n’émane pas de la structure habilitée. La dame a même fait l’objet d’une poursuite, avant qu’ils ne découvrent l’escroquerie.» Belhassine, après avoir bien écouté le juge, réplique : «avez-vous une preuve que c’était moi ? Y a-t-il ma signature ?» Il se tourne vers ses deux frères et sa sœur. «De leur vie, ces trois personnes n’ont mis les pieds dans un commissariat. Comment-peuvent-elles être aujourd’hui devant vous ici ?» Le juge le ramène au sujet : «je vous parle de vos victimes.» et Belhassine rétorque : «ont-elles des preuves ?» le magistrat le ramène à l’argent : «qu’avez-vous fait des fonds soutirés à vos victimes ?»
Le prévenu : «je les ai donnés aux pauvres, aux hôpitaux et aux personnes qui sont dans le besoin. Certaines sommes sont converties en dinars en Algérie et d’autres transférées sur des comptes de Dellel Lyes, mon frère. Personne ne savait ce que je faisais. Pour tout le monde, je suis conseiller à l’Onu.» Le juge : «j’ai ici tout l’historique de vos échanges avec votre frère Lyes. Vous leur aviez dit de cacher l’argent.» Belhassine nie. Le juge : «parlez-nous des autres victimes…» «La secrétaire particulière du chef de cabinet du ministre de l’Intérieur, qui était à l’époque, je crois, M. Beldjoud. Je l’appelais souvent et j’ai su qu’elle avait un problème de logement. Je voulais l’aider, j’ai appelé Beldjoud et même la présidence.» Le juge lui demande pourquoi de tels agissements et Belhassine répond : «pour faire le bien. De nombreuses personnes ont des difficultés et ne trouvent pas d’aide. J’ai l’occasion de le faire, je le fais. Mais je n’ai jamais exercé de pression sur les gens.» Le juge : «qu’en est-il de votre relation avec l’ancien secrétaire général de la FAF ?» Le prévenu : «vous voulez dire Mounir Debichi, que j’ai revu à la prison. Il me donnait les numéros de téléphone des responsables et je lui ai demandé ceux des joueurs. J’étais en Grèce, je voulais les connaître pour les escroquer. Toutes mes communications sont enregistrées. Je leur ai dit que la présidence de la République vous a invités à Kos, une ville très appréciée par les riches.» Le juge : «vous leur avez tendu un guet-apens !»
Belhassine : «ils ne voulaient pas venir.» Le juge : «c’est tout ?» et le prévenu se lâche : «il y avait de nombreux walis que j’appelais pour des affaires précises de citoyens, des ministres que je contactais pour la prise en charge de malades à l’étranger...» Le juge : «niez-vous toujours avoir escroqué les victimes qui sont là ?» Le prévenu : «ce sont elles qui auraient dû être poursuivies pas moi !»
Le juge : «qu’avez-vous à dire sur l’université Ferhat Abbas de Sétif, que vous avez aussi escroquée ?» Belhassine croise les bras et avec un rire moqueur déclare : «je ne veux pas en parler parce qu’ils vont prendre mes propos comme une humiliation.» Le juge : «avez-vous appelé les responsables ?» Le prévenu : «j’ai appelé le secrétaire général. Je lui ai dit que je faisais partie de la sécurité, puis je lui ai parlé du site de l’université qui n’était pas bien protégé. Au début, les responsables étaient réticents, mais j’ai réussi à les convaincre.» Le juge : «quel était votre objectif ?» Le prévenu : «je n’avais aucun objectif et je n’ai rien demandé en contrepartie. Ils m’ont confié la page de l’université. J’ai supprimé tous les administrateurs, puis je suis resté le seul à la gérer et publier des posts.»
«Ce n’est pas moi qui suit fort, c’est l’Algérie qui est faible»
Le juge : «le même procédé avec Algérie Poste ?» Le prévenu : «les pages d’Algérie Poste et de l’université Ferhat Abbas avaient une très faible protection.. A l’époque, j’étais en Allemagne, et je peux vous dire que dans ce pays, il est impensable d’avoir un tel niveau d’insécurité. J’ai éliminé leurs administrateurs pour garder le contrôle.» Le juge : «vous êtes fort dans ce domaine alors.» «Pas du tout. Je n’ai pas beaucoup de connaissances. C’est l’Algérie qui est très faible. Elle est très loin. Je ne peux pas en dire plus. Ces victimes qui disent que je les ai escroquées, dites-leur de me donner une seule preuve concrète. Aucune», lance Belhassine avant que le magistrat ne lui demande de rejoindre le box.
Il appelle Lyes Dellel, son frère adoptif, poursuivi pour «violation de la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger». Il explique que Yacoub, après son départ en Grèce, le contactait souvent et «pour moi, il travaillait et gagnait de l’argent». Interrogé sur les montants qu’il recevait de son frère, il déclare : «je me rappelle qu’une fois il m’a envoyé 4070 pounds, l’équivalent de 5000 euros, et m’a demandé de les convertir et de donner 200 000 DA à ma sœur, la même somme à mon deuxième frère et de garder le reste sur le compte pour lui.»
Le juge : «vous ne lui avez jamais demandé l’origine de cet argent ?» Le prévenu : «jamais je n’ai eu cette idée. Pour moi, il travaille à l’étranger et c’est normal qu’il envoie de l’argent pour aider sa sœur. Je vivais en Grande-Bretagne. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas les transférer vers l’Algérie, mais entre les pays européens c’était faisable. Alors, je me chargeais de trouver des personnes en Algérie, qui versent les montants en dinars, et moi, je leur remets l’équivalent. Mais je n’avais aucune idée de ce qu’il faisait. Je virais l’argent sur le compte de ma sœur et parfois je l'envoyais par Western Union.»
Le prévenu cède sa place à sa sœur Ouahiba, elle aussi poursuivie pour les mêmes chefs d’inculpation. Le juge : «est-ce que Yacoub vous envoyait de l’argent ?» La prévenue : «ce n’était pas pour moi, mais pour l’épouse de son ami, qui était en prison. Il avait un local à Bou ismail, pas très loin de chez nous. Son épouse en avait besoin pour payer la location, je crois.» Le juge lui demande comment elle peut avoir autant d’argent sur un compte alors qu’elle ne travaillait pas. «Je vivais en Autriche. J’avais économisé un peu d’argent que j’ai ramené.»
Le juge : «que faisiez-vous en Autriche ?» La prévenue : «j’étais dans l’éducation, je n’avais pas beaucoup d’argent. Mais après, j’ai travaillé comme couturière dans des ateliers à Vienne. C’était pour vivre seulement. L’Etat autrichien m’aidait aussi pour soigner mes enfants.» Le juge : «qu’en est-il des montants retrouvés sur votre compte Cnep en Algérie ?» La prévenue : «c’est l’argent que mon frère Lyes a viré.» Le juge : «vous aviez déclaré que c’est Yacoub qui vous l'avait envoyé ?» «Oui, mais 1 million de dinars seulement que Yacoub a transféré. Le reste appartient à Lyes. A chaque fois qu’il venait en Algérie, il mettait des sommes sur le compte. Il y avait environ 1,20 million de dinars», répond la prévenue. Le juge appelle Dellel Sofiane, un autre frère de Yacoub, poursuivi pour «violation de la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger». Il affirme que la somme de 1,33 million de dinars a été virée sur son compte par Yacoub. Elle était destinée à sa sœur. «Il m’avait appelé pour me dire de donner 500 000 DA à ma sœur. Sur le montant total, je n’ai pris que 20 000 DA», a-t-il expliqué. «C’est mon frère qui vit à l’étranger qui a viré l'argent sur mon compte CCP. Je ne travaillais pas. Il m’aidait de temps à autre en m’envoyant de l’argent. Il y avait près de 5 millions de dinars et parfois il me demandait d'en prendre lorsque je suis dans le besoin», a-t-il affirmé.
Hamid Guerroudj, poursuivi pour les mêmes griefs que son prédécesseur, explique que les fonds qui étaient transférés sur son compte appartiennent à son fils qui vit en Espagne. «Il m’a dit lorsque la somme atteint les 1,7 million de dinars, tu la remets à quelqu’un que je ne connais pas. Il avait envoyé 1 million de dinars et j’ai ajouté le reste parce qu’il avait besoin de cette somme.» Le juge : «vous aviez déclaré ne pas avoir d’argent, d’où avez-vous eu le reste ?» Le prévenu : «c’est à mon fils. Il avait vendu sa voiture avant de partir et laissé l’argent sur mon compte.»
«Il s’est présenté au nom du général Benbrahem»
Le juge appelle Réda Kerboua, également poursuivi pour les mêmes faits. «Mon frère Mohamed était en Espagne et je n’avais aucun contact avec lui, jusqu’à ce qu’un jour, quelqu’un m’appelle et me le passe. Il m’a dit qu’il allait m’envoyer de l’argent. Une somme de 1,69 million de dinars. Quatre mois après, la personne est venue à Alger et moi j’étais à Annaba. J’ai été la voir. C’était un déplacement spécialement pour lui remettre l’argent. Je ne la connais pas», dit-il avant de céder sa place à Mohamed Bouamama, poursuivi pour les mêmes griefs. Il jure qu’il ne connaît pas Yacoub et qu’il n’a servi que d'intermédiaire entre un certain Khellil pour remettre l’argent à l’épouse de Hamza, un détenu emprisonné en Grèce, qui était dans le besoin. Youcef Rabhi, le dernier prévenu poursuivi pour les mêmes griefs que ses prédécesseurs, nie tous les faits qui lui sont reprochés. La première victime à être appelée par le juge est Anissa Zidène, directrice de l’action sociale de la wilaya de Annaba. Elle affirme que Belhassine l’a appelée sur whatsapp en se présentant en tant que général Benbrahem. «Il m’avait dit que l’Etat m’a choisie, parmi les cadres qui allaient être promus, pour être nommée en tant qu’attachée culturelle à l’ambassade d’Algérie au Royaume-Uni. Il m’a demandé de préparer le dossier administratif en attendant mon déplacement à Alger. Quelques jours après, il m’a appelée toujours sur la même application, pour me demander de venir à Alger, où la présidence nous a réservé, à moi et mon époux, une chambre à l’hôtel Sofitel, et de ramener avec moi la somme de 500 000 DA pour les frais d’installation, qui sera, m’a-t-il expliqué, remboursée après. Le montant devait être viré sur un compte et mon dossier, je l’avais envoyé à une adresse qui comportait le nom de la présidence, qu’il m’avait communiquée par whatsapp. Une fois à Alger, j’ai effectivement trouvé la suite réservée par la présidence. Moi et mon mari avons passé une seule nuit, puisque le lendemain, nous avons eu un décès dans la famille.»
Très affecté, l’ancien directeur de l’éducation d’El Taref, Azzedine Djillali, est lui aussi une des victimes de Belhassine. «J’étais bien dans mon poste et, un jour, il m’a appelé. Je ne le connaissais pas. Il m’avait dit que j’ai été choisi pour aller travailler à l’étranger dans une de nos représentations diplomatiques. Quelques jours après, il me contacte pour me donner rendez-vous à l’hôtel Aurassi, où une chambre devait être réservée à mon nom. Il m’a demandé de ramener un montant de 600 000 DA pour les frais d’installation, qui sera remboursé après. Lorsque je suis arrivé à l’hôtel, j’ai été vraiment surpris. C’était comme un rêve. Il y avait une grande réception en mon honneur. De nombreuses personnes m’ont reçu avec des fleurs, de la musique et une grande collation, en présence du responsable de l’hôtel. Comment pourrais-je deviner que c’était une escroquerie. Dans la suite qui m’était réservée, comme il me l’a précisé, une femme est venue prendre la somme d’argent et elle est partie», dit-il avant de se retourner vers la sœur de Yacoub. «C’est elle. Je l’ai reconnue. Et c’est Yacoub, celui qui est dans le box, qui m’a parlé. J’ai bien reconnu sa voix. Je ne peux l’oublier. Il m’a détruit. J’ai été le premier à dénoncer cette escroquerie, parce que au fond de moi, il y avait toujours un doute. Je suis allé voir quelqu’un que je connais à la gendarmerie qui a ouvert une enquête. Toutes les victimes exercent toujours, mais moi, j’ai perdu mon travail, et mon épouse est au bord de la dépression. Après tant d’années de travail, je me retrouve chômeur. C’est injuste», lance Djillali, les larmes aux yeux.
Le juge appelle d’autres victimes, mais seul Chaabane Lounakel, ancien directeur général de la Télévision, répond présent. «Il a appelé mon secrétariat en se présentant comme responsable de la sécurité intérieure et demandé à me parler. J’ai pris l’appel. Il m’a dit que Yacoub Belhassine a été arrêté à Chypre et qu’il était sur la voie d’être extradé vers l’Algérie et que l’information doit être diffusée sur la chaîne de télévision. Ce qui a été fait. Mais quelque temps après, le ministre m’a contacté pour me dire de supprimer l’information qui était fausse.» Le juge ne s’est pas très attardé avec Lounakel, mais il est important de rappeler que Belhassine avait défrayé la chronique avec cette affaire. L’échange de discussion avec l’ancien ministre de la Communication a fait le buzz sur les réseaux sociaux en cet automne de l’année 2023. Les réprimandes de Belhassine, qui s’est présenté comme officier supérieur de la sécurité de l’armée, contre l’ancien responsable étaient très dures. Il lui reprochait, dans des termes virulents, la diffusion de l’information sur son arrestation par la chaîne de télévision publique, et lui exigeait de l’annuler. Ce qui a été fait par la suite.
Le débat terminé, c’est au tour des plaidoiries des parties civiles. L’agent judiciaire du trésor (ajt) affirme que «Belhassine est coupable d’une grande opération d’escroquerie qui a ciblé de nombreuses sociétés et des personnalités de l’Etat pour leur soutirer de l’argent, qu’il transférait via Western Union et Money Gram». Il réclame un dédommagement de 50 millions de dinars et cède sa place à la défense de l’hôtel Sofitel. «Le bon de commande de la réservation d’une suite, pour 6 jours, porte certes le nom de la présidence, mais n’était pas conforme à la procédure. L’hôtel ne l’a su que lorsqu’il l’a envoyé, avec la facture de 167 000 DA, à la présidence pour le paiement. Nous demandons un dédommagement de 1 million de dinars.»
Le procureur, resté silencieux durant toute l’audition, s’est contenté de lire ses demandes. Une peine de 20 ans de prison ferme contre Belhassine, assortie d’une amende de 20 millions de dinars, une autre de 7 ans de prison contre un des prévenus en fuite, une amende de 7 millions de dinars et un mandat d’arrêt international, et une condamnation de 5 ans de prison et 5 millions de dinars d’amende contre le reste des mis en cause, dont les deux frères et la sœur de Belhassine. Tous ont clamé leur innocence et demandé la relaxe, mais Belhassine a déclaré : «tous ont parlé mais personne n’a avancé une seule preuve contre moi. Pour ce qui est de mes frères et ma sœur, je vous dis que j’assume tous les actes qui leur sont reprochés. Je suis le seul responsable. Ils n’ont rien fait. Je demande la réduction de ma peine.» L’affaire qui n’a pas livré tous ses secret, au vu du contenu de l’enquête judiciaire, a été mise en délibéré et le verdict sera connu le 4 décembre prochain. Salima Tlemçani