Le sort des 72 prévenus jugés dans le cadre de l'affaire dite des SMS, au centre de laquelle se trouve Saïd Bouteflika,
frère conseiller du défunt Président déchu, sera connu aujourd'hui.
Après trois jours d’audition, trois autres jours de réquisitoire et de longues plaidoiries achevées tard samedi dernier, juste avant que les prévenus ne disent leur dernier mot, comme il est d’usage, la chambre pénale près la cour d’Alger a mis en délibéré le dossier dit des SMS et communications échangés entre Saïd Bouteflika, frère conseiller du défunt Président déchu, et cinq hommes d’affaires pour aujourd’hui (2 mai 2023).
Les 72 prévenus, qui ont réclamé la relaxe, devront donc entendre les décisions des juges. Leurs avocats avaient pris tout leur temps pour tenter de casser les accusations en soulevant «plusieurs vices de forme et de nombreuses violations de la procédure», qu’ils ont justifiés en présentant «de nouveaux documents comme pièces à décharge, ignorés lors de l'instruction».
Membre du collectif de la défense de Ali Haddad, patron du groupe Etrhb, Me Nadir Lakhdari a insisté sur le fait que son mandant a été «déjà jugé à plusieurs reprises pour les mêmes faits», ce qui est, selon lui, «inadmissible». Pour l’avocat, il s’agit d’une violation de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, ratifiée par l'Algérie, mais aussi des lois algériennes.
Me Lakhdari affirme que les comptes que possède Ali Haddad «ont déjà été déclarés au juge d'instruction dès sa première audition en 2019». L’avocat s’insurge néanmoins : «On juge toutes ces personnes parce qu’il y a eu échange d’appels téléphoniques entre le conseiller du Président et les autres prévus. C’est un scandale ! Est-il interdit d’échanger des communications et des SMS ?
Savons-nous ce qui s’est dit entre les mis en cause ? Nous ne connaissons pas le contenu des appels. Bien plus. Nous avons au box que Haddad et les Kouninef, alors que le listing concerne plus de 500 personnes. Pourquoi ne sont-elles pas ici ? C'est un scandale ! Ce n’est pas ce qui a été demandé à la justice algérienne. Le peuple réclame une justice équitable agissant sur la base d’accusations fondées.
Pourquoi n’avons-nous pas poursuivi les nombreuses autres personnes qui figurent dans ce fameux listing d'appels ?» L’avocat aborde le cas d’Aghiles Haddad, fils du patron de l’ETRHB, «le plus jeune accusé», dit-il, qui avait 18 ans, au moment des faits et lance : «Ne me dites surtout pas qu’un enfant de cet âge, exilé pour ses études, peut faire du lobbying contre un pays continent.
Je n'arrive pas à réaliser que nous sommes dans ce procès depuis 12 jours, à parler d’un article diffusé sur les réseaux sociaux qui évoque un contrat avec un cabinet américain de relation. Nous avons mobilisé la cour, les agents de l'ordre, les avocats, le greffe, les magistrats pour le contenu d’un article.
Même les services de sécurité ont écrit qu’ils ne sont pas sûrs de l’existence de ce contrat.» Il estime qu’Aghiles Haddad n’avait même pas à être devant la barre, puis réclame la relaxe à l’homme d’affaires et son fils. Abondant dans le même sens, les avocats des frères Kouninef, Mes Khadar Bahia, Adlène Chaib et Walid Rahmoune, ont clamé eux aussi l’innocence de leurs mandants.
Pour Me Khadar c’est «grâce» à la présidente de la chambre pénale que la défense a «obtenu des pièces à décharge dissipées par le juge d’instruction». Intervenant au nom de Karim Kouninef, condamné à 10 ans de prison ferme pour la détention en Espagne de deux studios et des comptes bancaires (avec 16 000 euros) en Suisse, dont il est natif, servant au versement de la pension alimentaire de ses enfants.
«Kouninef Karim a été jugé deux fois…»
L’avocate précise que son mandant «n’a jamais caché» ses biens et «les a déclarés» lors de son audition par les gendarmes le 25 mars 2019. L’avocate précise que la réponse de la commission rogatoire délivrée à la Suisse «n’a rien ramené de nouveau» et rappelle que Karim Kouninef «a déjà été jugé et condamné» pour les mêmes faits.
«Pourquoi le juge-t-on une seconde fois», s’est-elle interrogée. «Ces deux studios ont été saisis dans le cadre du premier procès, à l’issue duquel il a écopé d’une très forte amende. On ne peut pas ouvrir une information judiciaire sur la base des réponses aux commissions rogatoires ni sur la base d’un procès-verbal de la gendarmerie», lance-t-elle.
Elle évoque la lettre de Emros, institution financière suisse qui fait partie du groupe Edmond d’entraide financière, dont est membre l’Algérie, à travers la CTRF (cellule de traitement du renseignement financier), et relève qu’il est mentionné dans ce courrier, que «les informations transmises ne peuvent être utilisées pour une quelconque poursuite et que dans le cas contraire, l’Etat doit passer par des commissions rogatoires.
Où sont-elles ? Elles n’existent pas. Karim Kouninef n’a pas quatre comptes, mais un seul avec trois sous-comptes de ses trois enfants, dans lesquels il leur verse leur pension alimentaire. La Banque d’Algérie a dit que l’argent n’est pas sorti de l’Algérie. Les montants trouvés dans ses comptes proviennent du loyer des deux studios. Un des montants a été transféré à Mme Louni, de Louni Extincteur, qui est connue.
Il lui a prêté de l’argent, elle le lui a remboursé. Pourquoi n’a-t-elle pas été entendue en tant que témoin ? L’instruction a été faite à charge. Toutes les commissions rogatoires sont revenues négatives, mais elles ont été écartées. Après la jonction des 14 dossiers, les Kouninef n’ont pas été entendus, alors que tout repose sur la relation avec Saïd Bouteflika.
Pourquoi n’ont-ils pas été entendus sur cette relation qui est nouvelle dans le dossier ? Karim n’est pas concerné par les communications, puisqu’il n’y a pas eu de communications entre lui et Saïd. Karim n’est également pas concerné par les documents trouvés dans le domicile de Saïd. Pourquoi est-il ici alors et sur quelle base ont-ils fait la jonction entre lui et Saïd Bouteflika ?» déclare l’avocate.
Elle souligne en outre : «L’Espagne a donné 90 jours à Karim Kouninef pour faire opposition contre la saisie de ses deux studios, mais le juge ne l’a pas informé.» Me Khadar s’offusque à cause des demandes du Trésor public, en disant : «Il nous réclame 280 milliards de dinars (28 000 milliards de centimes), soit 3 milliards de dollars, sur la base d’un procès-verbal de la gendarmerie et il revient demander une seconde fois la somme de 500 milliards de dinars.
Comment arrête-t-il ces montants ahurissants ? Même si nous additionnons toutes les sommes trouvées dans les comptes des membres de la famille nous n’atteindrons pas le chiffre interminable présenté par le représentant du Trésor public.» Avocate des deux anciens cadres techniques Mohamed Khaldi et Hacene Benblidia, de l’Ana (Agence nationale des autoroutes), Me Nacera Ouali commence par rappeler aux magistrats que Khaldi a obtenu un non-lieu auprès du juge d’instruction avant que celui-ci ne soit nommé procureur en titre du pôle financier puis déclare son «étonnement de constater qu’il se retrouve parmi les prévenus et condamné à 2 ans».
Elle rappelle aussi le décret présidentiel qui donne à l’Italie le statut de pays privilégié et ce dans le cadre de l'assainissement de sa dette avec l’Algérie et rejette toute intervention en sa faveur : «A l’époque, Khaldi et Benblidia étaient des techniciens.
Khaldi avait émis des réserves sur les capacités de la société à réaliser le projet. Il a affirmé dans un écrit que ses moyens étaient en deçà de ceux nécessaires pour la réalisation du projet. Il n’a aucune responsabilité.» Abordant la question du recours à la sous-traitance, l’avocate souligne que «rien ne l’interdit, puisque la procédure est prévue par la loi».
«Ceux qui ont signé les contrats sont absents»
Pour elle, «le marché n’aurait jamais été signé si, à l’époque, les avis de Khaldi et Benblidia avaient été pris en compte. Ceux qui ont signé sont absents à cette audience et ce sont des techniciens qui n’ont ni signé ni visé le marché qu’on ramène à leur place (…)».
Abondant dans le même sens, Me Attal a relevé quant à lui «qu’aucun avenant que les mis en cause auraient pu viser ne se trouve dans le dossier. Eux-mêmes ont lancé la procédure d’alerte sur l’incapacité de ce groupement à réaliser le projet vu la nature du sol et l’environnement», dit-il avant de clamer la relaxe. Lui succédant devant le prétoire, Me Abdelmadjid Sellini, avocat de Mokhtar Meslek, ses trois enfants et son épouse, n'y va pas avec le dos de la cuillère.
Il a tenté de déconstruire les faits reprochés à Mokhtar Meslek en commençant par le blanchiment d’argent. «Pour retenir ce grief, la loi exige que Meslek soit au courant que les fonds qu’il reçoit sont sales et qu’il y ait une entente entre lui et Tahkout pour les blanchir. Or, ce n’est pas le cas. Où est l’organisation criminelle et où est l’activité criminelle ?
La société de Meskek active depuis 1984 et que son nom n’a jamais été cité ni par la CTRF, ni par les organismes financiers étrangers.» Me Sellini a estimé, en outre, que Meslek était représentant de deux marques de voitures indiennes Tata et Farew qui ont fait long feu. «Il a décidé de louer son showroom à Tahkout, pour ne pas laisser les locaux sans activité.
L’homme d’affaires lui a proposé d’échanger les locaux contre ses deux sociétés en France. L’avocat Bensakina Karim, qui avait une procuration de Tahkout, a profité de l’incarcération de ce dernier pour changer d’acquéreur. Il a d'ailleurs été poursuivi, en France, lui et son clerc.
Le 11 mai les locaux vont être vendus aux enchères. Meslek se retrouve sans rien. Karim Bensakina ui a envoyé une lettre pour le mettre en garde contre des procédures fiscales et commerciales et lui proposer de reprendre les deux sociétés au dinar symbolique, puis le menace même de lui interdire de mettre les pieds en France».
Pour sa part, Me Zakaria Zereg, avocat de la société italienne Rizzani, a commencé par relever que «c’est l’Etat algérien qui a décidé d’assainir ses dettes avec l’Italie en lui accordant le privilège d’être prioritaire dans les marchés à intérêt national. Rizzani est venue dans le cadre d’une convention bilatérale, avant la création du groupement. Sur quelle base dit-on qu’elle n’a pas les capacités ? M. Ziari, technicien comme il est, a déclaré que le juge s’est empressé de faire cette conclusion sans aucune expertise.
Elle était la seule à avoir déposé 39 millions d’euros pour uniquement la logistique. C’est elle qui avait le plus de moyens pour obtenir le marché, dont le montant était évolutif selon l’avancée des travaux et ce, sous le contrôle du bureau d’études français, choisi par l’Ana». Pour Me Rezeg, il «y avait trop d’anomalies. Les travaux préliminaires étaient faussés. Le tracé incorrect sur 23 km, soit 30% des travaux.
Cela a induit des incidences financières. Les avenants étaient tous justifiés. A cela s’ajoute l’augmentation, en 2017, de la TVA. A elle seule, Rizzani a enregistré un surplus de 1 milliard de dinars. Il y a eu changement du nombre de voies, ce qui a conduit à l’élargissement de l’importance du projet. Est-ce la faute de Rizzani ? Non. Est-ce que Rizzani a profité de cela ?
Non. Ce sont plutôt Mapa (turque) et l’ETRHB qui en ont le plus profité. Lorsqu’il y a eu des difficultés dans l’expropriation alors que l’ODS (ordre de service) était déjà signé, est-ce de la faute de Rizzani ?» L’avocat a souligné que le prix unitaire arrêté dès le début du marché n’a pas été changé. «Il a été maintenu tel quel, de ce fait, dit-il, où se trouve le délit d’indus avantages ? Avec qui Rizzani a dilapidé ? C est insensé et illégal.
Il n'y a aucune expertise qui définit cette dilapidation et l’arrête. Comment l’agent du Trésor a-t-il arrêté le montant de compensation sans expertise ? S’ils avaient annulé le marché, ils auraient perdu devant l’arbitrage international parce que Rizzani a mis beaucoup d’argent. La poursuite du projet dépendra de la décision qui sortira loin de toute autre considération.»