Présidentielle en Iran : Le réformateur Massoud Pezeshkian remporte l’élection

07/07/2024 mis à jour: 08:23
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Le nouveau président élu Massoud Pezeshkian - Photo : D. R.

Les sanctions internationales contre l’Iran ne ciblent pas seulement son pétrole. Les premières ont été décrétées il y a près de 45 ans. Les Etats-Unis ont imposé un embargo sur les biens de consommation iraniens et gelé 12 milliards de dollars d’avoirs iraniens après la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran, qui s’est étalée du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981.

Le réformateur Massoud Pezeshkian a remporté hier la présidentielle en Iran, face au conservateur Saïd Jalili. Organisée après le décès en mai du président ultraconservateur Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère, la présidentielle s’est tenue dans un contexte de mécontentement populaire face à l’état de l’économie du pays frappé par des sanctions internationales. A l’issue du second tour du scrutin vendredi, Massoud Pezeshkian a recueilli 53,6% des voix contre 44,3% à son adversaire, selon les autorités électorales, citées par l’AFP. 

Après un premier tour le 28 juin marqué par une forte abstention, la participation s’élève à 49,8%. «Le chemin devant nous est difficile. Il ne sera facile qu’avec votre collaboration, empathie et confiance. Je vous tends la main», a dit M. Pezeshkian, 69 ans, sur X après sa victoire.
Nul n’aurait parié sur le député de Tabriz, la grande ville du nord-ouest de l’Iran, lorsque sa candidature a été acceptée par le Conseil des gardiens avec cinq autres candidats, tous conservateurs. Massoud Pezeshkian n’est pas, en effet, l’une des figures de proue des camps réformateur et modéré, mais il a reçu le soutien d’anciens présidents, le réformiste Mohammad Khatami et le modéré Hassan Rohani.

Appelé le «docteur» par beaucoup d’Iraniens, M. Pezeshkian est en faveur de «relations constructives» avec les Etats-Unis et les pays européens afin de sortir le pays de son «isolement ».

Mais le président en Iran a des pouvoirs restreints : il est chargé d’appliquer, à la tête du gouvernement, les grandes lignes politiques fixées par le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, qui est le chef de l’Etat et l’ultime décideur sur les dossiers stratégiques. Dans un message de félicitations, celui-ci a recommandé au Président élu «d’utiliser les nombreuses capacités du pays, en particulier des jeunes révolutionnaires», pour faire progresser l’Iran.

M. Pezeshkian se présente comme la «voix des sans-voix».  Ce chirurgien de profession a une expérience gouvernementale limitée : il était ministre de la Santé de 2001 à 2005 dans le gouvernement réformateur de Mohammad Khatami.

Depuis 2008, il représente Tabriz au Parlement et s’est fait connaître pour ses critiques envers le pouvoir, notamment le  recours à la force par la police pour appliquer l’obligation du port du voile par les femmes. «Nous nous opposons à tout comportement violent et inhumain (...) notamment envers nos sœurs et nos filles, et nous ne permettrons pas que de tels actes se produisent», avait-il déclaré.

Un vaste mouvement de protestation est déclenché par la mort en détention de Mahsa Amini en septembre 2022. Cette jeune Kurde a été arrêtée par la police des mœurs qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict pour les femmes. Massoud Pezeshkian s’est élevé contre le manque de transparence des autorités dans cette affaire.

Pays important du Moyen-Orient, l’Iran est au cœur de plusieurs crises géopolitiques, entre autres la guerre à Ghaza, la Syrie, l’Irak, le Liban, le Yémen et le dossier nucléaire, dans lesquelles il s’oppose aux Occidentaux. M. Pezeshkian a promis de négocier avec Washington pour relancer les pourparlers sur le nucléaire iranien, au point mort depuis le retrait américain en 2018 d’un accord international conclu en 2015.

Le chancre nucléaire

Connu sous l’acronyme JCPOA, l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien,  conclu à Vienne entre la République islamique et le Groupe 5+1 (les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni), est censé encadrer les activités atomiques de l’Iran en échange d’une levée des sanctions internationales.

Mais depuis le retrait de Washington de cet accord, décidé par l’ancien président républicain, Donald Trump, en 2018, Téhéran s’est affranchi progressivement de ses engagements, tout en continuant à nier vouloir se doter de l’arme nucléaire. Mais selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Iran est le seul pays non doté à enrichir l’uranium à 60%, proche des 90% nécessaires pour élaborer une bombe, et à en accumuler des stocks aussi importants.

Les élections américaines de novembre pourraient marquer le retour de Donald Trump à la Maison- Blanche, entraînant probablement un nouveau durcissement de Washington. Si Joe Biden serait réélu, rien n’augure que la politique américaine à l’égard de l’Iran changera.  Depuis avril 2021, Téhéran est engagé dans des pourparlers sous la médiation de l’Union européenne (UE) pour relancer l’accord avec la Grande-Bretagne, la Chine, la France, l’Allemagne et la Russie directement et les Etats-Unis indirectement.

Mais jusque-là, les négociations n’ont pas abouti et le président américain J. Biden a maintenu les sanctions de son prédécesseur imposées à la République islamique. Début décembre dernier, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a déclaré que la relance éventuelle de l’accord de 2015 sur le nucléaire est devenue de plus en plus «inutile» pour l’Iran.

«Aujourd’hui, plus on avance, plus le JCPOA devient inutile», a-t-il affirmé lors d’un discours devant les étudiants de l’université de Téhéran. «Etant donné que les lignes rouges (de l’Iran) ont parfois été ignorées par l’autre partie, nous ne sommes pas actuellement sur la voie de revenir à l’accord», a-t-il indiqué. Et d’ajouter : «Bien entendu, cela ne signifie pas que nous avons laissé l’accord de côté. Si l’accord sert nos intérêts, (nous l’accepterons) avec tous ses défauts.»

Entre-temps, l’Iran tente d’atténuer les effets des sanctions imposées par l’Occident. Sachant que la Russie et la Chine ne seront plus du côté occidental pour faire pression sur l’Iran, vu les différends géopolitiques qui les opposent au bloc de l’Ouest (Taïwan, mer de Chine méridionale, guerre commerciale notamment des semi-conducteurs, conflit ukrainien, entre autres).

Ces sanctions ne ciblent pas seulement son pétrole. Les premières ont été décrétées il y a près de 45 ans. Les Etats-Unis ont imposé un embargo sur les biens de consommation iraniens et gelé 12 milliards de dollars d’avoirs iraniens après la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran, qui s’est étalée du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981. D’autres ont par la suite été prises au fil des décennies, principalement par Washington et  l’Union européenne.

Fin avril. Les Etats-Unis ont encore renforcé leurs sanctions  contre l’Iran, ciblant de nouveau l’industrie des drones militaires, en parallèle à des sanctions similaires prises par le Canada et le Royaume-Uni. Ces  mesures font suite à l’attaque de Téhéran contre Israël le 13 avril, avec 350 drones et missiles, en riposte à une attaque qui a détruit son consulat à Damas, en Syrie, que l’Iran attribue à Tel-Aviv.

L’issue à l’embargo

Ceci dit, l’Iran s’efforce de sortir de l’isolement diplomatique et pour atténuer les effets des sanctions économiques que  lui a imposées l’Occident. En 2021, l’Iran est devenu membre à part entière de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), organisation politique et économique qui regroupe plusieurs pays asiatiques, dont la Chine et la Russie. Comme il a intégré  les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) en janvier.

En 2021, Pékin a signé un accord sur 25 ans avec Téhéran dans des domaines aussi variés que l’énergie, la sécurité, les infrastructures et les communications. En 2023, le commerce bilatéral a atteint les 14 milliards de dollars. En février de la même année, le président  Ebrahim Raïssi a effectué à Pékin une visite d’Etat de trois jours, la première d’un président iranien dans ce pays depuis plus de 20 ans.

Un mois après cette visite, en mars, depuis Pékin, l’Arabie Saoudite et l’Iran ont annoncé le rétablissement de leurs relations diplomatiques rompues en 2016. Cette détente, obtenue après plus de deux ans de pourparlers secrets en Irak, puis à Oman, pourrait constituer l’amorce d’un tournant géopolitique.

Dans leur communiqué conjoint, Téhéran et Riyad «remercient la République d’Irak et le Sultanat d’Oman d’avoir accueilli des pourparlers entre les deux parties en 2021 et 2022, ainsi que les dirigeants et le gouvernement de la République populaire de Chine pour avoir accueilli et soutenu les pourparlers menés dans ce pays».

Quant à la Russie, elle a promis des avions de chasse SU-35 et des systèmes de défense antimissile S-400. Sur le plan économique, les deux pays comptent réaliser plusieurs projets,   à l’exemple du  corridor Nord-Sud. Il s’agit d’un vaste réseau  de routes maritimes, ferroviaires et terrestres de 7200 km en association auquel s’associe l’Inde, devant permettre aux marchandises russes d’atteindre l’océan Indien sans passer par les voies maritimes de l’Ouest et le canal de Suez. L’accord est signé en mai 2023.

Aussi, l’Iran a renforcé sa présence en Afrique. Ainsi, le Président avait effectué une tournée sur le continent en juillet 2023 qui a mené Raïssi  au Kenya, une première en onze ans, en Ouganda le lendemain et au Zimbabwe. En 2022, l’Iran a  exporté pour 1,2 milliard de dollars de biens et de services vers l’Afrique.

La région du Sahel est loin d’être indifférente à Téhéran.

Pour schématiser, l’Iran a développé des liens de plus en plus étroits avec les pays sahéliens, qui depuis l’accession des militaires au pouvoir au Mali en 2020, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023, se réclament d’une rhétorique nationaliste et dénoncent l’impérialisme occidental. La présence de l’Iran est particulièrement notable au Mali, où ont été renforcées les relations aussi au niveau bilatéral.

Le Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif de la junte au Mali,  a annoncé, le 3 janvier, qu’il compte ouvrir «deux facultés de l’université d’Iran», «une technique et professionnelle et un centre d’innovation informatique», selon le communiqué. Cette déclaration  intervient  après une rencontre entre l’ambassadeur iranien en poste à Bamako, Hossein Taleshi Salehani, et le colonel Malick Diaw, le président du CNT.

Les deux pays se sont engagés à «renforcer les liens de coopération à travers la défense et la sécurité», selon un communiqué de  l’armée malienne. Au Niger, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères chargé des affaires économiques, Mehdi Safari, a annoncé en février  lors  de sa visite à Niamey des projets d’installation de centrales électrique dans ce pays.
 

 

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