L’arrestation de l’écrivain algérien, naturalisé français, il y a moins d’une année, Boualem Sansal, à l’aéroport d’Alger, alors qu’il revenait au pays, ne cesse de susciter des réactions virulentes d’une partie de la classe politique en France.
Mardi dernier, l’affaire a atterri au Parlement où, lors des débats, des députés ont interpellé de manière acerbe le gouvernement, au point de faire réagir la ministre déléguée chargée des Français de l’étranger, Sophie Primas. «A ce stade, je ne peux vous en dire davantage. Car, oui la diplomatie a besoin de discrétion pour agir, et non pas pour se taire», a-t-elle répondu à la députée qui l’interrogeait sur des éventuelles sanctions contre le gouvernement algérien.
Qu’en est-il de cette arrestation de Boualem Sansal ? Que s’est-il passé en cette journée du 16 novembre 2024, lorsque l’écrivain et ancien conseiller de trois chefs de gouvernement, dont Réda Malek et Belaid Abdeslam, a été interpellé ? Il nous a été très difficile de recouper les nombreuses informations obtenues auprès de sources judiciaires qui, parfois, semblaient très contradictoires. Ainsi, nos interlocuteurs sont unanimes à confirmer que Boualem Sansal a été arrêté dès son arrivée à l’aéroport Houari Boumediène le 16 novembre 2024, par des officiers des services de la sécurité intérieure. Il a été entendu «dans le cadre d’une enquête» qui porterait sur ses «dernières déclarations publiques» et ses «relations avec certains milieux» considérés par les autorités algériennes comme «hostiles à l’intégrité territoriale».
Après cinq jours de garde à vue, il a été déféré jeudi dernier devant le procureur près le tribunal de Dar El Beïda, à Alger, puis devant le juge d’instruction, qui l’a placé sous mandat de dépôt à la suite d’une longue audition sur de «nombreux faits», dont ceux «liés à l’article 87 bis», mais aussi «à plusieurs autres», parmi lesquels «les atteintes à l’intégrité territoriale» et «à l’unité nationale».
Après son inculpation, le polytechnicien de 75 ans a été placé sous mandat de dépôt et incarcéré, dans un premier temps, à la prison de Koléa, d’où, quelques heures après, «il a été transféré au pavillon hospitalier pénitentiaire, en raison de son âge avancé», nous a-t-on affirmé. Samedi dernier, «par le biais de ses avocats algériens, il a fait appel contre la décision du juge, et son affaire devrait être examinée par la chambre d’accusation la semaine prochaine». Nos sources ont évité d’évoquer tout détail sur les faits et se sont contentées d’évoquer des généralités, pour «ne pas gêner l’enquête judiciaire».
Des propos acerbes
Il faut dire que l’affaire Boualem Sansal, cet écrivain natif de Thniet Al Had et de père marocain, a fait couler beaucoup d’encre et suscité des réactions de politiques français qui se comptent surtout dans les milieux de l’extrême droite et des nostalgiques de l’Algérie française, connus pour leur haine de l’Algérie, à l’image d’Eric Zemmour, Marine Le Pen, Xavier Driencourt, Valérie Pécresse, pour ne citer que ceux-là. Certains médias vont jusqu’à lier l’arrestation de Sansal à la crise diplomatique entre Alger et Paris. Au bout de quelques jours, ce débat a fini au parlement français, où mardi dernier, la ministre déléguée chargée des Français de l’étranger, Sophie Primas, a été sévèrement interpellée par certains députés utilisant des propos acerbes sur «le silence» de la France. «Nous partageons la grande émotion du monde littéraire, du monde intellectuel et, au-delà, de très nombreux Français et Algériens qui connaissent et apprécient l’homme et son œuvre», a-t-elle répondu, avant de souligner que «les services de l’Etat sont pleinement mobilisés pour suivre la situation de notre compatriote et lui permettre de bénéficier de la protection consulaire prévue par le droit».
Acculé par les interventions de certains députés, la ministre a déclaré : «je ne peux en dire davantage, comme je l’ai déjà précisé. Mais sachez que nous sommes tous mobilisés pour la libération de ce défenseur de la liberté de parole.»
Une déclaration qui a fait mouche à Alger, où l’affaire de Boualem Sansal relève, pour les autorités judiciaires, «du droit et non pas de la politique», affirment nos sources. L’écrivain, faut-il le rappeler, a de tout temps été très critique à l’égard des dirigeants, y compris lorsqu’il occupait de hautes fonctions de l’Etat, et vivait depuis quelques années seulement entre la France et l’Algérie, «sans être inquiété», révèlent nos interlocuteurs.
En France, la maison d’édition Gallimard a constitué l’avocat François Zimeray qui, selon nos sources, «a été informé qu’il pouvait venir à Alger pour assurer la défense de l’écrivain, aux côtés de ses confrères algériens».
Pour nos interlocuteurs, il est «fort probable» que le tribunal de Dar El Beïda «se dessaisisse» de l’affaire «au profit» du pôle pénal de Sidi M’hamed, «vraisemblablement», nous dit-on, «le plus compétent» en la matière.