Poursuite des Journées Fatiha Berber du théâtre de jeunes de Boumerdès : Quand l’absurde évoque avec peine les maux d’aujourd’hui

13/07/2024 mis à jour: 21:47
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Comédiens de la pièce de théâtre Asderfef - Photo : D. R.

La deuxième édition des Journées Fatiha Berber du théâtre de jeunes se poursuit à Boumerdès avec la participation de sept troupes en compétition jusqu’au 13 juillet.

Faute d’une salle de théâtre à Boumerdès, chef-lieu de wilaya, la compétition se déroule dans la salle de spectacles (ex-Africa) des Issers. Un espace géré par l’ONCI (Office national de la culture et de l’information). Les amateurs du théâtre réclament depuis des années la levée du gel sur le projet d’un théâtre régional à Boumerdès.

L’Association El Manara de Corso, présidée par le metteur en scène et journaliste Walid Abdellahi, organise l’événement avec beaucoup de courage et de passion, soutenue par la wali de Boumerdès, Naâma Fouzia, par l’ONCI, par l’ONDA (Office national des droits d’auteur et des droits voisins), et par les directions de la culture et des arts et de la jeunesse et des sports.

Après une cérémonie d’ouverture, mardi 9 juillet,  marquée par des hommages rendus aux artistes tunisiens, Khaled Bouzid et Ahmed Kochbati, et algériens, Farida Krim, Aïda Guechoud, Fouad Zahed et Lynda Sellam, la compétition a été lancée, le 10 juillet, par la présentation de deux spectacles : Takhrif thnounai (Double affabulation) de l’association culturelle Besma de Skikda et Asderfef (Tâtonnement) de la coopérative culturelle Amachahu de Tizi Ouzou.

Les deux pièces sont une adaptation de deux textes du dramaturge franco-roumain, Eugène Ionesco, Délire à deux et Les chaises. L’absurde est bien présent dans les deux pièces, mises en scène par Aymen Ben Ahmed (Takhrif thounai) et Sadek Yousfi (Asderfef). Et les deux pièces évoquent l’histoire d’un couple qui se dispute pour des questions insignifiantes ou qui divague à l’intérieur d’une maison.

Un hommage à Alloula et Medjoubi

«Aujourd’hui, nous vivons dans l’irraisonnable, l’absurde. D’où mon choix de cette pièce», a confié Aymen Ben Ahmed. Fariza Chemakh, qui a interprété le rôle de l’épouse dans Asderfef, a, de son côté, souligné que la pièce, jouée en tamazight, a été présentée dans plusieurs villages en Kabylie. «Elle a reçu un grand accueil. Nous avons veillé à alléger le spectacle pour qu›il soit accessible à tous.

La pièce est un hommage à des artistes tels que Alloula ou Medjoubi», a-t-elle dit. Abdelkader Alloula et Azzeddine Medjoubi, deux grands hommes du théâtre algérien, ont été assassinés durant les années 1990. Ils n’ont pas pu terminer leurs œuvres. Comme le personnage de Asderfef qui n’a pas pu achever la lecture de son «message» destiné à l’humanité...

Pas loin du registre de l’absurde, El jabana (Le cimetière) de l’association Moubd’ioun bila houdoud (des créateurs sans frontières) d’Annaba, questionne plusieurs rapports père-fils, pouvoir-citoyen, raison-irrationnel, vérité-mensonge... La pièce, présentée le 11 juillet et mise en scène par Karim Attef, narre l’histoire d’un gardien de cimetière qui s’oppose à un maire et à un ministre réclamant une boîte où sont mis les cendres d’une femme, appelée Houria. Karim Attef, qui joue le rôle du gardien, estime que la société actuelle est en perte de valeurs et de principes.

Des valeurs déconstruites par l’attrait de l’argent et de l’apparence. Selon lui, la quête de repères mène la société partout... El olba (la boîte) de la coopérative Ahl el fen (Les gens de l’art) de Miliana critique aussi certaines postures sociales et certaines attitudes liées au paraître.

Mise en scène par Fayçal Dine, d’après une œuvre du Turc Aziz Nesin, réadaptée par un auteur libyen, la pièce, un psychodrame, se déroule dans un asile psychiatrique où trois malades sont sous l’autorité d’une infirmière, une infirmière qui a le pouvoir d’administrer les médicaments quand elle veut.

Le texte dramatique est basé sur l’action

Fayçal Dine s’est appuyé sur la chorégraphie pour exprimer ce qui ne peut pas être dit par les mots ou par l’interprétation elle-même. «La pièce convoque la philosophie existentialiste, se pose des questions sur le sens de la vie et de l’amour, sur la volonté et sur la liberté», a analysé l’universitaire Mohamed Lamine Bahri, qui anime les débats après les spectacles.

Il est assisté par l’universitaire et comédien tunisien Khaled Bouzid. «Quand je suis dans les pays du Golfe, on me pose la question : qui est l’auteur du texte ? Ni le metteur en scène ni le comédien n’ont de l’importance. Dans le théâtre arabe aujourd’hui, on ne fait toujours pas la différence entre le texte dramatique et le texte littéraire. Le texte dramatique est basé sur l’action. Il est préférable de lire un roman quand on veut apprécier le conflit entre les idées. Et au lecteur d’en imaginer l’espace», a soutenu Khaled Bouzid, lors du même débat, jeudi 11 juillet, au salon de la salle des Issers.

Il a estimé qu’il est parfois compliqué, pour le comédien, de camper le personnage du psychopathe sur scène. «Il est difficile de maintenir la même composition du personnage durant toute la pièce. Il faut aussi définir le type de maladie psychiatrique. Le comédien est tenu de fournir un grand effort pour jouer juste.

La présence du comédien sur scène peut compenser le texte. Que soit maudit le texte qui bloque le théâtre ou limite l’action du comédien», a-t-il ajouté. Il a conseillé aux jeunes amateurs du théâtre de ne pas trop recourir au symbolisme parce qu’il limite la signification en art. «L’art doit être laissé à la libre interprétation. Plus l’interprétation est plurielle, plus l’œuvre est intense», a-t-il noté.

Khaled Bouzid a invité les concepteurs du spectacle El olba, interprété en arabe classique et en dialecte, à respecter la ligne dramatique. Fayçal Dine a, de son côté, souligné que la pièce invite à réfléchir sur l’existence et sur ce qui peut encore vivre après la mort.  Les prix des Journées Fatiha Berber du théâtre de jeunes porte des noms d’artistes algériens.

Il s’agit de Youcef Taouint (meilleur texte), Ahmed Rezzak (meilleure mise en scène), Nidhal El Djazairi (meilleure comédienne), Hakim Dekkar (meilleur comédien) et Hamza Djaballah (meilleure mise en scène).

Le grand prix porte le nom de la défunte Fatiha Berber. Présidé par le metteur en scène Sid Ahmed Draoui, le jury est composé des comédiens Mohamed Frimehdi, Moufida Addes, Djallal Draoui et Nawel Messaoudi. Safouane Kochbati, metteur en scène tunisien, est membre du jury aussi.

 

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