En 2021, le ministre de l’Enseignement supérieure et de la Recherche scientifique a décidé de geler l’authentification des diplômes des médecins généralistes et spécialistes. Cette mesure, jamais annoncée officiellement, a été mise en place pour faire face au phénomène de la fuite des compétences médicales vers l’étranger, notamment vers la France.
En juillet 2024, le département de Kamel Badari confirme qu’il y a eu effectivement gel de l’authentification des diplômes délivrés par les facultés de médecine et reconnaît que la mesure est «temporaire» et entre dans le cadre de la lutte contre l’exode des médecins algériens vers l’étranger. Interpellé à ce sujet par le député El Ouardi Bradji, le premier responsable de l’Enseignement supérieur a répondu que la mesure sera levée lorsque «des solutions seront proposées pour traiter et atténuer ce fléau».
Néanmoins, cette disposition, selon le Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), n’a pas «réussi» à endigué le phénomène du flux migratoire. Des médecins algériens généralistes et spécialistes continuent, constate-t-il, à quitter le pays pour aller s’installer et travailler à l’étranger, notamment en France, vu les facilités accordées par les autorités sanitaires de ce pays.
D’ailleurs, dans sa réponse au député, le ministre Badari reconnaît cela. Il confirmera que le «gel des authentifications n’a pas mis fin à l’exil des compétences médicales, médecins généralistes ou spécialistes».
Aussi, le ministre avoue que «les organismes étrangers recruteurs ont recours à la demande d’authentification des diplômes des médecins algériens via les représentations diplomatiques algériennes à l’étranger où celles de leurs pays respectifs accrédités en Algérie».
Le Dr Merabet a rappelé, dans ce sens, que le syndicat qu’il préside avait décrié la décision de gel, du fait qu’elle est non seulement «discriminative», car seul le corps médical est concerné, mais aussi «non réglementaire».
«Ouvrir un atelier de réflexion»
«Non seulement nous avons contesté cette mesure, mais en 2021, nous avions informé les autorités que cette disposition n’était pas en mesure d’apporter la solution au problème du flux migratoire qui touche notre encadrement médical. Aujourd’hui, la réponse du ministre vient confirmer notre position vis-à-vis de ce problème», assène le syndicaliste.
Il précise que les autorités sanitaires en France, destination principale pour les médecins algériens, ont anticipé sur les contraintes de cette mesure en répondant par «de nouvelles mesures incitatives» en faveur des médecins issus des pays du Maghreb. Elles ont facilité, dit-il, les démarches administratives nécessaires à l’inscription à l’épreuve annuelle de vérification des connaissances (EVC) pour les candidats (50% d’Algériens) ainsi que les modalités permettant leur installation pour l’exercice en France. «Le document d’authentification des diplômes n’étant plus exigé», affirme le Dr Merabet.
Interrogé sur le nombre de médecins ayant choisi d’exercer sous d’autres cieux, le praticien estime qu’il est difficile d’avancer le chiffre exact des médecins qui ont quitté le pays, mais, poursuit-il, le Conseil de l’Ordre français avait annoncé, il y a deux ans, que 25% des médecins étrangers exerçant en France étaient d’origine algérienne. «Nous pensons qu’uniquement pour la France, le chiffre dépasserait les 15 000 médecins toutes spécialités confondues».
Face à cette situation, le Syndicat des praticiens de santé publique demande aux autorités du pays l’ouverture «d’un atelier de réflexion» sur le dossier du statut professionnel et social des professionnels de la santé en Algérie afin de «ralentir l’hémorragie et de construire de véritables solutions capables de retenir nos médecins et de les inciter à s’investir professionnellement en Algérie dans les secteurs public et privé».
Hémorragie
«En 2024, persiste encore des difficultés pour le recrutement des médecins du fait du déséquilibre entre le nombre de médecins formés chaque année, les effectifs de médecins qui quittent le secteur public (retraite, démission, etc.) et les besoins exprimés par les établissements de santé dans le cadre des postes budgétaires à pourvoir», déplore le Dr Merabet.
Nombreux sont les spécialistes qui pensent que la «revalorisation» de la médecine générale et sa «promotion» en spécialité à l’instar des autres spécialités, avec l’obligation de la contractualisation de toutes les activités de soins (secteurs public et privé), sont des conditions nécessaires pour ramener à sa juste valeur sociale le métier de médecin.
De son côté, le président du Syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique (SNPSSP), le Dr Iddir Mohamed (lire entretien), fait remarquer l’absence de coordination entre le ministère de l’Enseignement supérieur et celui de la Santé sur cette question : «La réponse du département de Badari apporte un démenti cinglant aux déclarations du ministre de la Santé sur l’exercice de fuite des compétences du corps médical vers l’étranger.»
Et d’insister : «Nier le phénomène de l’exode des médecins comme le fait le département de la Santé relève de la fuite en avant, alors que paradoxalement, c’est ce dernier qui est responsable de la préservation de l’offre de soins et non son homologue de l’Enseignement supérieur, et donc c’est à lui qu’incombe logiquement la responsabilité de trouver des solutions.»
Pour le SNPSSP, l’exode des compétences médicales vers l’étranger constitue l’un des plus importants problèmes dont souffre le secteur sanitaire. Sur les quelque 50 000 médecins spécialistes formés annuellement en Algérie, il n’en reste, aujourd’hui, que 30 000 dans les deux secteurs public et privé. L’hémorragie touchant le corps médical dure depuis des années.
Selon le SNPSSP, un bon statut particulier qui réponde aux attentes des médecins spécialistes pourrait l’arrêter.