Pourquoi ils refusent de se faire vacciner

19/01/2022 mis à jour: 02:37
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Près d’une année depuis le lancement de la vaccination anti-Covid, force est de constater qu’une bonne partie de nos compatriotes rechignent à se faire injecter l’antidote salvateur / Photo : B. Souhil

Près d’un an depuis le lancement de la campagne de vaccination anti-Covid, moins de 30% seulement de la population des plus de 18 ans est vaccinée dans notre pays. A travers ce reportage, nous nous sommes évertués à connaître les arguments des non-vaccinés, et ce qu’on peut noter d’emblée, c’est que ce ne sont pas tous des «antivax» purs et durs…

La vaccination est le bon choix», proclame un ticket de bus de l’Etusa. Un slogan qui s’ajoute aux mots et à l’attirail publicitaire d’une campagne qui peine à convaincre. Près d’une année depuis le lancement de la vaccination anti-Covid, force est de constater, en effet, qu’une bonne partie de nos compatriotes rechignent à se faire injecter l’antidote salvateur.

Selon des chiffres annoncés par le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, à la télévision nationale début janvier, 28% seulement de la population âgée de plus de 18 ans est vaccinée contre le nouveau coronavirus.

Pourquoi cette «résistance» au vaccin malgré la persistance de la pandémie, malgré les milliers de vies fauchées, les bouleversements de la vie publique provoqués par le fléau et, surtout, malgré le fait qu’aucune solution alternative n’ait pu être mise en œuvre pour venir à bout du virus dévastateur ? Ce que l’on peut noter d’emblée, c’est qu’on aurait tort de mettre tout le monde dans le même sac sous l’étiquette «antivax», encore moins d’avancer un seul facteur pour expliquer cette «défiance».

Comme on peut le voir à travers les avis exprimés dans ce reportage, tous les non-vaccinés ne sont pas des «antivax» purs et durs. Certes, il y a ceux qui rejettent le vaccin par conviction, en invoquant principalement la crainte d’«effets secondaires».

Certains se présentent comme des «indécis» au scepticisme mou. Mais il y a beaucoup qui ne se réclament pas de ce «front du refus». Dans le spectre des non-vaccinés, nombre d’entre eux imputent simplement leur situation à des aléas et autres concours de circonstances qui les ont empêchés de se faire injecter la substance protectrice.

«On est devenus paranos»

Nous sommes le dimanche 16 janvier. Sous un soleil éclatant, nous pénétrons dans l’enceinte de l’hôpital Mustapha Pacha. A la lisière du jardin central du CHU, nous abordons un septuagénaire vêtu d’une gandoura immaculée et lui demandons s’il était vacciné. «Non, je n’ai pas fait le vaccin. On dit qu’il est bénéfique, mais je ne l’ai pas fait. Je suis tombé malade et puis les choses ont traîné», rétorque-t-il avant de lancer : «Mais j’ai fait le vaccin contre la grippe. Je pense que le vaccin est une bonne chose, quel que soit votre âge.»

Quelques dizaines de mètres plus haut, près du service de radiologie, nous échangeons avec deux jeunes employés de l’hôpital, Islam et Aymen. Ils nous précisent de prime abord qu’ils ne se sont pas faits  vacciner. Cependant, leurs positions de principe sont clairement antagoniques. Islam explique : «C’est vrai que je ne suis pas vacciné, mais je pense que le vaccin a des vertus à la base. Il ne constitue aucun danger. Ce n’est pas vrai. Le monde entier est en train de l’utiliser, alors, je ne vois pas quel risque il y a à se faire vacciner.

C’est juste que nous, les Algériens, on est mwessewssine. On est devenus paranos.» Islam affirme dans la foulée qu’il est parfaitement disposé à se faire injecter ses doses. «De toute façon, depuis toujours, on subit toute sorte de piqûres, alors…», ironise-t-il. Son acolyte, lui, ne montre guère les mêmes dispositions : «Ah, le vaccin, très peu pour moi. Je ne fais pas confiance. Il contient des composants qui peuvent être nocifs», lâche-t-il.

Et c’est cela qui expliquerait, d’après lui, le peu d’empressement du corps médical à se faire vacciner. «Justement, parce que les médecins savent ce qu’il en est», glisse-t-il. Islam le tance : «Tu ne fais que répéter les ragots colportés sur Facebook !» Puis, il susurre : «Un jour peut-être, on découvrira que tout ça, c’est une guerre bactériologique, sauf que nous, nous ne sommes pas des acteurs dans cette guerre, nous n’en sommes que les cobayes.» Et Aymen de renchérir : «Comme disait El Gueddafi : ‘‘Il te fourgue la maladie et il te vend le remède.’’»

«Le vaccin ne m’inspire pas confiance»

Une dame dans la cinquantaine nous dit, elle aussi, qu’elle se méfiait du vaccin. «C’est parce que je suis malade, je souffre du goitre», se justifie-t-elle. «On est terrorisés par le corona. J’ai vraiment peur. L’épidémie se propage de manière fulgurante, plus qu’en 2020. La danger maintenant vient surtout des écoles où les contaminations explosent.»

Pour autant, elle refuse l’immunité vaccinale. «Le vaccin ne m’inspire pas confiance. A chaque fois on entend de nouvelles histoires. Tu rentres sur YouTube, tu entends de tout. Ce n’est pas fait pour rassurer», soupire notre interlocutrice. Elle poursuit : «Et puis chaque organisme a sa façon de réagir. On ne peut jamais savoir comment le corps va le recevoir. A cause de mon goitre, j’ai peur d’avoir des complications. Un truc que je ne connais pas, je l’évite.»

Nous quittons l’hôpital par le portail qui jouxte la morgue. Nous entrons dans une pharmacie sise tout près de l’hosto, sur le flanc d’en face. La pharmacienne principale venait d’apprendre que ses deux parents ont été contaminés.

Elle prenait de leurs nouvelles au téléphone. «Mais ils vont bien. Heureusement, ils avaient pris leur troisième dose de vaccin», souffle-elle, soulagée. «Moi aussi je suis vaccinée, de même que mon mari qui est également pharmacien», souligne l’apothicaire. Et de faire remarquer à propos de cette réticence vis-à-vis du vaccin : «Ce qui est sûr, c’est que les gens vaccinés en meurent moins. Pour le reste, on n’a pas encore assez de recul. On n’en sait pas assez. On voit qu’il y a deux avis. Partout dans le monde, la vaccination divise les gens.»

Nous nous engouffrons dans le marché Ferhat Boussaâd (ex-Meissonnier), où nous sondons un jeune homme de 33 ans qui nous confie : «J’ai contracté à quatre reprises le corona et je ne me suis toujours pas fait vacciner. J’ai eu tous les variants, du Bêta au Delta. Parfois, c’était assez léger, comme un rhum. Tu perds juste le goût et l’odorat. Tout ce que tu avales, c’est comme si tu mâchais du carton. Mais à d’autres reprises, j’ai eu des jours difficiles. Il m’est arrivé de rester un mois entier cloué au lit.»

Le jeune marchand n’exclut guère l’idée d’aller se faire vacciner. Mais sans se mettre la pression. Les quatre épreuves qu’il a traversées semblent l’avoir aguerri. Il est persuadé en tout cas que son système immunitaire en est sorti renforcé. «Je pense que le vaccin est nécessaire. Dans ma famille, mes parents se sont fait vacciner, de même que mon frère et sa femme. Ma belle-mère, qui a 65 ans, a fait le vaccin, puis elle a eu le Delta. Il ne lui est rien arrivé. Elle a juste ressenti un peu de fatigue», raconte-t-il.

«Je suis indécis»

A la rue Larbi Ben M’hidi, nous faisons une halte dans un grand magasin de vêtements pour femmes. Interrogée, une vendeuse nous dit : «Moi, je suis vaccinée. J’ai même eu trois doses.» Son collègue, qui tenait la caisse et qui devait être le gérant de la boutique, nous déclare quant à lui : «Moi, personnellement, je suis indécis. Ce n’est pas très clair.

On entend qu’il y a des effets secondaires. C’est surtout par rapport à ça que j’hésite. Pourtant, dans ma famille, il y a beaucoup de vaccinés. Mes sœurs sont vaccinées et elles m’exhortent sans cesse à sauter le pas.» Pour lui, l’échec de la campagne de vaccination est en partie le résultat d’un échec en termes de com’ : «Le vaccin, ce n’est pas qu’une question de disponibilité mais d’approche.

Peut-être qu’ils n’ont pas su communiquer. Il ne suffit pas d’organiser un ‘‘Big Day’’ et multiplier les effets d’annonce», observe-t-il. «Peut-être que les gens, il faut leur faire peur aussi», hasarde le gérant de cette boutique. «En plus, partout dans le monde, en Amérique, en France, en Allemagne… c’est la même défiance, ajoute-t-il. Donc ça prouve que c’est un doute légitime. Ce n’est pas parce qu’on serait superstitieux ou parce qu’on se méfie de l’Etat

Parmi les indécis également, il y a lieu de noter cette catégorie de non-vaccinés qu’on pourrait désigner par les «anti-Sinovac». C’est que eux ne sont pas radicalement contre le principe de se faire vacciner mais ont longtemps espéré bénéficier des sérums fabriqués par d’autres laboratoires, de préférence ceux reconnus au sein de «l’espace Schengen».

C’est le cas de cette jeune femme qui déclare : «J’ai mis du temps avant de me décider à me faire vacciner. Honnêtement, je ne voulais pas du Sinovac parce qu’il n’est pas reconnu par la majorité des pays européens. J’espérais avoir l’AstraZeneca ou bien le Johnson & Johnson pour pouvoir voyager. Mais en vain. A la fin, de guerre lasse, j’ai fait le Sinovac.

Mais pour la 3e dose, je ferai tout pour me faire administrer un vaccin reconnu en Europe.» Il faut dire que le Sinovac a été desservi par la mauvaise publicité que lui ont fait les pays occidentaux en refusant de le reconnaître, le tout sur fond de guerre commerciale entre lobbies pharmaceutiques.

«Ça affaiblirait mon immunité entre les deux doses»

Nous voici maintenant au CHU Lamine Debaghine de Bab El Oued. Discussion passionnante avec Lamis, étudiante en 6e année de médecine, à qui nous demandons les raisons de l’opposition d’une partie du personnel médical au vaccin. «Justement, moi-même, je ne suis pas vaccinée», s’esclaffe-t-elle. «Et honnêtement, je ne suis pas encline à le faire», dit-elle encore avec conviction. «C’est surtout par crainte des effets secondaires de ces vaccins, quel que soit le fabricant. De nombreux médecins estiment que ces vaccins ont été conçus dans un temps très court.»

Lamis précise : «Mes parents non plus ne l’ont pas fait. Par contre, mes grands-parents se sont fait vacciner. D’ailleurs, ils ont été parmi les premiers à le faire, et ce, dès janvier 2021, quand la campagne de vaccination a commencé.» Notre future doctoresse admet : «Le vaccin peut diminuer le risque de mortalité, surtout pour les personnes atteintes de maladies chroniques, comme le diabète, l’asthme ou la HTA (hypertension artérielle).» Mais la jeune femme se montre toujours aussi sceptique lorsqu’il s’agit de se prononcer pour un sujet sain.

«Je vais vous livrer la vraie raison pour laquelle je ne suis pas favorable au vaccin», dit-elle. Et de détailler : «Entre les deux doses du vaccin, vous avez forcément une baisse de l’immunité. Or, nous, en milieu hospitalier, nous sommes constamment en contact avec les malades. Nous sommes exposés à toutes sortes de germes et de microbes.

Si je fais le vaccin, cela veut dire que je serai pendant un mois ou plus vulnérable, vu que le vaccin affaiblira mon immunité entre les deux doses. Ainsi, il n’y a pas que la question des effets secondaires qui se pose mais également la vulnérabilité de notre système immunitaire. Et le risque est encore plus important au milieu d’une vague de contaminations comme maintenant. D’ailleurs, il n’est pas recommandé de se faire vacciner pendant les pics de contagiosité parce que la probabilité d’attraper le Covid dans les centres de vaccination est accru

Un homme dans la cinquantaine, emmitouflé dans une combinaison anti-Covid en nylon, gravit péniblement les marches d’un imposant escalier qui donne sur une autre aile de l’immense CHU. Il doit se rendre au service endocrinologie où il travaille. «Je suis atteint de la Covid, éloignez-vous !» nous prévient-il. «Regardez comme je suis essoufflé.

C’est la troisième fois que je chope ce satané virus.» Il confie : «Je ne suis pas vacciné. A chaque fois, je dois attendre que les effets de la Covid s’estompent.» Cet agent paramédical regrette que les centres de vaccination ne drainent pas les foules. «Mais le personnel soignant se fait vacciner, ce n’est pas vrai qu’on est contre le vaccin», insiste-t-il. «Moi, en tout cas, je suis décidé à le faire dès que les analyses sérologiques seront favorables. D’ailleurs, tous mes enfants sont vaccinés», affirme-t-il.

En quittant l’hôpital de Bab El Oued et son ballet de blouses blanches et de visages blêmes, nous descendons vers le boulevard Mira puis le front de mer, du côté de R’mila, où nous prenons un bon bain de soleil, sous un magnifique ciel printanier. Sur les rochers et autour des petites criques qui enserrent la marina, les gens ont l’air apaisé. Ils s’enivrent à plein poumon de cet air marin et ces embruns capiteux.

Un spectacle de toute beauté avec cette mer ensorcelante et sans ride. Ce tableau, dans sa quiète majesté, nous fait presque oublier la calamité qui encercle la ville, et dont le triste feuilleton ne veut décidément pas cracher son épilogue… 

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