Pour un renforcement de la compétitivité externe et de la productivité en Algérie

01/07/2024 mis à jour: 18:03
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La diversification de la production et des exportations implique, inter alia, le renforcement de la productivité et l’amélioration de la compétitivité. L’Algérie est confrontée au défi de la compétitivité sur les marchés mondiaux, comme le montre sa part d’exportation hors hydrocarbures qui demeure insignifiante et stagnante. 

Cette compétitivité limitée des exportations a des coûts macroéconomiques dont une moindre demande extérieure, la faiblesse structurelle de la croissance économique et l’affaiblissement du marché de l’emploi. Les chocs externes qui se succèdent depuis mars 2020 (pandémie, inflation mondiale, crise alimentaire) et les tensions géostratégiques (liées à la rivalité Chine-Etats-Unis et à la guerre en Ukraine) accentuent les pressions en faveur d’une réelle diversification de l’activité économique et des exportations. 

La conquête indispensable de marchés extérieurs est improbable sans des actions décisives portant sur la disponibilité de nouveaux biens échangeables hors hydrocarbures produits à des coûts et prix compétitifs sur le plan international. Au moment où l’Algérie se prépare à intensifier ses échanges extérieurs (notamment en direction de l’Afrique), il est souhaitable d’intégrer l’objectif de la diversification des exportations dans le contexte d’une stratégie de diversification de la croissance économique à travers des mesures cohérentes et multidimensionnelles à moyen terme dont le renforcement de la productivité du travail et l’amélioration de la compétitivité externe de l’Algérie devraient en être les axes principaux. Discutons de ces questions. 
 

Cadre conceptuel et analytique relatif à la compétitivité d’une économie. Trois points-clés
 

•La compétitivité prix (macroéconomique) et hors prix (structurel) favorise la stabilité macroéconomique et ouvre la voie à la croissance économique. Une structure coûts/prix compétitive au plan international permet ainsi à un pays d’accroitre les exportations, augmenter l’activité économique, créer de nouveaux emplois, améliorer la position du compte courant de la balance des paiements, limiter les pertes de réserves de change et contenir la dette extérieure. De plus, cette ouverture attire les investissements directs étrangers (IDE) et favorise des transferts de technologie et de connaissances nouvelles qui renforcent à leur tour la productivité et la compétitivité externe du pays. 


•La compétitivité ne peut être correctement saisie par une seule mesure car elle est multidimensionnelle. 

Si les indices du taux de change effectif réel (TCER) appropriés constituent un guide quantitatif utile, une série d’autres facteurs qui ne se prêtent pas à une quantification directe affectent encore davantage la compétitivité externe. 

Notons, à cet effet, un environnement macroéconomique stable, un cadre favorable aux investissements publics et privés, des marchés des produits, de l’argent et du travail efficients, un système bancaire et un tissu productif performants ainsi qu’un renforcement de la productivité à travers des institutions solides, des infrastructures de qualité, des secteurs éducation, formation et santé accompagnant l’économie et un soutien à l’innovation. Ajoutons à cela l’adaptation au contexte international comme vecteur d’influence de la compétitivité et des échanges extérieurs. 
 

• La compétitivité prix est mesurée à travers le concept de TCER, un indicateur fondamental qui pondère les parités nominales avec les indices de prix. Globalement parlant, il y a deux grandes catégories : (1) les TCER basés sur l’indice des prix à la consommation (utilisés par de nombreux pays en développement) ; et (2) les TCER basés sur les coûts unitaires de main-d’œuvre dans le secteur manufacturier (mesure utilisée par les pays industrialisés qui disposent de données statistiques plus élaborées). L’objectif est de comprendre les changements dans la balance des paiements d’un pays en matière de biens et de services non facteurs et de déterminer si le taux de change est cohérent avec une position extérieure souhaitée ou durable. 
 

La productivité est un autre élément fondamental qui favorise la compétitivité non prix et les exportations. Qu’elle porte sur le facteur travail (output par heure travaillée), le facteur capital (meilleure efficacité de l’utilisation du capital physique) ou la productivité totale des facteurs (l’innovation, le progrès technique, les transformations structurelles et un meilleur management microéconomique), la productivité améliore le niveau et la qualité des produits échangeables et contribue à l’ajustement des salaires et à l’accroissement du niveau de vie des ménages. La technologie en général (et l’intelligence artificielle générative en particulier) est un vecteur clé d’accroissement de la productivité. Dans ce domaine, le rôle de l’Etat est crucial du fait de ses investissements en faveur du capital, de la qualité des ressources humaines et de la recherche et développement. 
 

Algérie : le niveau de productivité du travail et la situation actuelle de la compétitivité ne permettent pas au pays d’affronter la concurrence mondiale alors qu’il doit conquérir de nouveaux marchés. La concurrence internationale est un grand défi pour le pays, comme le montre sa part relativement faible et stagnante des exportations hors hydrocarbures. Cette absence de compétitivité reflète des déséquilibres macroéconomiques (entre autres un désalignement du taux de change) et des rigidités structurelles multiples, dont une faible productivité. 
 

La perte de compétitivité est marquante entre 2010 et 2022 en raison de l’inflation et d’une politique de change timide et manquant de cohérence. Vu le manque de données sur les coûts unitaires du travail dans le secteur manufacturier, la compétitivité prix de l’Algérie est mesurée par le TCER (le Taux de change effectif réel), un objectif annuel de la politique de change de la Banque d’Algérie (BA) qui intervient sur le marché pour aligner les mouvements de change nominaux bilatéraux avec l’objectif retenu. En raison de l’appréciation du taux de change effectif nominal de 27% et du triplement de l’inflation qui est passée de 3,9% en 2010 à 9,3% en 2022, le TCER de l’Algérie, en termes d’indice des prix à la consommation, s’est apprécié de 7,8 % de 2010 à 2022. 

En 2023, le TCER s’est déprécié de 10,2% sous l’effet combiné d’une stagnation de l’inflation à 9,3% et d’une dépréciation du taux de change effectif nominal de 7,8%. Ce résultat est surprenant et n’est pas cohérent avec l’objectif de la politique de change du pays. 
 

La productivité du travail demeure faible en raison d’une baisse de la qualité de la formation et des enseignements, ce qui entraine une répartition inefficace des ressources. Cet indicateur économique est important, étant étroitement lié à la croissance économique, à la compétitivité et au niveau de vie. Il représente le volume total de l’output (produit intérieur brut) produit par unité de travail (nombre de personnes employées ou d’heures travaillées) au cours d’une période de référence donnée. 

A l’exception de 2014 qui a enregistré une forte hausse de 9% (sous l’effet d’un bond au niveau de l’emploi et du capital), la productivité du travail a chuté entre 2015 et 2018 (0,3%), en 2019 (0,34%) et entre 2020 et fin 2023 (0,3 %). Une telle faiblesse a pour conséquence une répartition inefficace des ressources publiques rares, comme le fait ressortir le rendement des investissements publics en Algérie en termes d’output, d’emploi et de coûts (selon une étude du FMI de 2022). 
 

Le modèle de croissance actuel manque cruellement d’innovation.  Ce qui ressort de la contribution des facteurs de production suivants : (1) capital et travail (75%) ; (2) développement technologique (4% environ) ; et (3) facteurs macroéconomiques, structurels et autres (21%). En continuant de privilégier la seule accumulation des facteurs de production, le modèle de croissance intensive est devenu intenable et inefficace et enferme le pays dans une trappe de faible croissance au moment où il fait face à de nombreux défis macroéconomiques et structurels (croissance, emploi des jeunes et des femmes, démographie en hausse, dérèglements climatiques, répartition des revenus et décarbonation internationale). 

Les contraintes pesant sur la compétitivité prix et non prix. (1) l’inadéquation et l’incohérence des politiques macroéconomiques (politique budgétaire expansionniste et endettement public qui créent de l’inflation structurelle ; politique monétaire accommodante et politique de change ciblant l’inflation au lieu de la diversification des exportations) ; (2) les contraintes macro structurelles (désalignement du taux de change, canal de transmission de la politique monétaire faible, manque de profondeur financière et rigidité des marchés de biens et services, de la monnaie et des changes) ; (3) les rigidités structurelles (cadre des affaires contraignant souffrant de contraintes diverses ; accès au financement, etc.) ; et (4) le manque de flexibilité et d’ouverture, notamment depuis le choc pétrolier de 2014 symbolisé par : (i) la remise en place de barrières non tarifaires (certificat d’origine, certificats de conformité et de qualité d’un tiers indépendant, relevés de notes rédigées en arabe et indiquant l’origine des produits), de restrictions commerciales (interdiction temporaire de 851 produits annoncée le 1er janvier 2018) et de barrières tarifaires (adoption de multiples tarifs entre 30 et 200% sur plus de 1000 produits) : (ii) un processus incertain et coûteux d’insertion internationale dont l’accord d’association avec l’Union européenne (AAUE) défavorable à l’Algérie ; un processus d’adhésion à l’OMC totalement en panne et des accords préférentiels (Grande zone arabe de libre-échange et Tunisie) qui coûtent au contribuable algérien sous forme d’exonérations de droits de douane et de TVA à l’importation. 
Feuille de route éventuelle pour une économie algérienne diversifiée et plus compétitive. La dynamique de la diversification autour de secteurs non pétroliers profitables dans un horizon temporel proche doit s’articuler autour de politiques macroéconomiques crédibles, d’institutions gouvernementales efficaces, d’un environnement des affaires et d’un climat d’investissement favorables ainsi que des réformes ciblant l’ouverture commerciale, la diversification des exportations et l’élimination à terme de la dualité du marché des changes.


Axe 1 : La restauration incontournable de la stabilité macroéconomique. Les politiques macroéconomiques doivent créer les conditions d’une activité saine, soutenir la compétitivité extérieure et éviter les fluctuations des taux de change réels et la surévaluation réelle. Dans ce contexte, il est important de : (i) se doter d’une règle budgétaire destinée à prendre en charge les risques des politiques budgétaires procycliques et orienter l’épargne budgétaire dans le sens d’une gestion soutenable de la demande ; (ii) une politique active de ciblage effectif (de la part de la banque centrale) du taux de change effectif réel en ligne avec son niveau d’équilibre  ; (iii) l’isolation de la liquidité intérieure de celle générée par les hydrocarbures ; et (iv) la liaison des augmentations des salaires publics aux améliorations de la productivité. Cela contribuerait à contenir les évolutions défavorables des coûts salariaux unitaires qui entravent la compétitivité.


Axe 2 : Les mesures structurelles pour la diversification des exportations au niveau des produits et des destinations. Est liée elle-même à la diversification économique, processus complexe et long qui ne peut résulter que d’une transformation structurelle de l’économie tirée par de hauts niveaux de productivité provenant d’une réallocation intra et inter sectorielle des ressources. 


En appui de cet objectif stratégique et sur la base de nombreuses études internationales, il serait souhaitable d’engager un véritable programme de réformes visant à : (i) renforcer la qualité du capital humain par le biais d’une amélioration de la qualité des enseignements primaire, secondaire et supérieur pour rehausser la qualité du marché du travail, favoriser la création et in fine soutenir la croissance et les exportations; (ii) renforcer la gestion institutionnelle des investissements publics : 

La transition vers un cadre budgétaire à moyen terme sera essentielle pour remédier aux vulnérabilités budgétaires et aligner les projets d’investissement sur les priorités stratégiques du gouvernement ; (iii) favoriser l’ouverture commerciale qui permet de s’exposer à la concurrence et d’acquérir un savoir-faire et attirer les IDE ; (iv) améliorer la qualité des institutions, mesurée par la qualité de la gouvernance (respect des contrats, arbitrage etc.) et le niveau de corruption pour inspirer confiance dans le label Algérie; (v) disposer d’infrastructures de qualité, notamment en matière de transports, téléphonie et pénétration internet incontournable pour s’insérer dans le circuit du commerce international électronique ; (vi) œuvrer à l’ouverture du compte de capital à terme pour mobiliser l’épargne étrangère, notamment sous la forme d’IDE même si ils tendent à se diriger vers des secteurs où les pays ont un avantage comparatif, notamment le secteur minier ; (vii) développer le secteur financier pour améliorer à la fois l’accès financier et l’allocation du crédit entre les secteurs (et entre les entreprises au sein des secteurs); et (viii) mettre en place une politique industrielle qui s’appuie sur des instruments directs et indirects d’intervention pour renforcer la compétitivité des entreprises à l’exportation et placer l’économie du pays sur le marché mondial. 

 

 

Par Abderahmi Bessaha , Expert international

 

 

 

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