Pour un multilatéralisme inclusif face à la fragmentation économique et le risque géopolitique

24/09/2024 mis à jour: 08:35
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Un monde régi depuis des décennies par la mondialisation et la géoéconomie est rapidement devenu un monde ancré dans le risque géopolitique, la fragmentation et le ralentissement de l’activité économique mondiale.

 En 2024, les institutions, structures et relations mondiales continuent d’être redéfinies par des chocs persistants, tels que les guerres en Ukraine et en Palestine, ainsi qu’une multiplication des tensions géopolitiques au niveau de divers points du globe. Avec la numérisation croissante de nombreux aspects de la vie sociale et économique, les cyberattaques se multiplient, menaçant de semer le chaos. 

L’énergie et le changement climatique s’imposent comme des sujets de clivage politique. Bien que les progrès mondiaux en matière de transition climatique soient insuffisants, la flambée des prix de l’énergie suite à l’invasion de l’Ukraine sous-tend le processus de décarbonation.

 Sur le plan économique : 

(1) le nationalisme et le protectionnisme (exacerbés par les écarts croissants de revenus) affaiblissent la mondialisation, tandis que la pandémie et les conflits géopolitiques ont mis en lumière les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement ; (2) les chocs géopolitiques perturbent la sécurité énergétique et alimentaire et enracinent l’inflation et (3) la rivalité sino-américaine et les stratégies de la région Asie-Pacifique pour sécuriser les minéraux essentiels pourraient davantage redessiner les contours du commerce et les chaînes d’approvisionnement mondiales. 

En arrière-plan de ce panorama préoccupant, d’autres risques économiques et financiers ne sont pas à négliger, notamment la stabilité du système financier mondial, l’accroissement du déficit budgétaire des Etats-Unis, la demande croissante des pays pour des dépenses publiques accrues et l’augmentation de la dette mondiale. Face à ces défis multiples, la structure de gouvernance mondiale établie après la Seconde Guerre mondiale est obsolète. Un nouveau multilatéralisme inclusif est incontournable. 


Discutons de ces enjeux mondiaux qui impactent tous les pays du monde.

La gouvernance mondiale en discussion dans le cadre du Sommet du futur aux Nations unies. Ce dernier se déroulera en marge de la 79e session de l’Assemblée générale des Nations unies, qui a entamé ses travaux le 17 septembre 2024. Bien que la demande en réformes profondes soit de plus en plus partagée par le Nord et le Sud Global, des doutes sont permis quant à un accord à l’issue des travaux du Sommet du futur sur une feuille de route pour bâtir un nouveau multilatéralisme inclusif. Expliquons. 

• La difficile reconstruction d’un multilatéralisme pour affronter les défis du XXIe siècle. Le Sommet du futur des Nations unies constitue une initiative cruciale visant à revitaliser la coopération multilatérale à un moment où les crises mondiales, telles que le changement climatique et les avancées technologiques, se multiplient. Les dirigeants mondiaux cherchent à réformer et moderniser des institutions internationales comme l’ONU, dont les structures datent de l’après-Seconde Guerre mondiale. Parmi les sujets sensibles qu’il faut débattre, notons l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU, la protection des droits de l’homme, les inégalités, l’insécurité de l’emploi, les crises environnementales, les tensions géopolitiques, la gouvernance des technologies numériques et le soutien aux Objectifs de développement durable (ODD). Le projet de «Pacte pour l’avenir» sur la table met en avant la nécessité d’une solidarité mondiale autour de cinq domaines essentiels : le changement climatique, la réduction des inégalités mondiales, la paix et la sécurité internationales, la régulation des nouvelles technologies et la préparation aux futures pandémies. Ce pacte inclut un plan d’action en 60 points autour de ces axes. 

Malgré ces objectifs ambitieux, le sommet est marqué par un scepticisme général, des attentes modestes et des divisions géopolitiques. 

Certains observateurs soulignent toutefois que même des avancées limitées en matière de coopération internationale pourraient avoir des répercussions positives à long terme, étant donné l’importance croissante du multilatéralisme pour faire face à des défis transnationaux comme les pandémies, les migrations et la cybersécurité. La question demeure : ce sommet parviendra-t-il à impulser des réformes significatives ou ne fera-t-il que souligner les limites de la gouvernance mondiale à une époque marquée par la montée des inégalités et des tensions internationales ?

• Le recul de l’Europe et ses difficultés à compter dans un nouveau monde en recomposition dominé par les Etats-Unis et la Chine. Dans le sillage du rapport présenté par Enrico Letta en avril 2024 au Conseil européen sur l’achèvement du marché unique de l’UE, l’ancien président de la BCE Mario Draghi a préparé un rapport de près de 400 pages sur l’avenir de l’Europe. 

Son rapport souligne que cette dernière a besoin d’investissements massifs et d’innovation pour relever les défis de la croissance (qui a ralenti depuis des décennies, creusant un écart important entre l’UE et les Etats-Unis en termes de PIB et de niveau de vie), de la démographie et de la productivité (la population en déclin commande une hausse de la productivité pour atteindre des objectifs ambitieux, tels que la décarbonisation, la digitalisation et le renforcement de ses capacités de défense). L’auteur du rapport propose trois grandes pistes d’action : 
 

- Combler le fossé de l’innovation : l’Europe est à la traîne par rapport aux Etats-Unis dans les technologies-clés et peine à commercialiser ses innovations, d’où le besoin de réformer le cycle de l’innovation et d’investir dans les infrastructures et les compétences.

- Allier décarbonisation et compétitivité : bien que l’Europe soit leader dans le domaine des technologies propres, les prix élevés de l’énergie et la concurrence chinoise pourraient freiner la croissance. Une meilleure coordination des politiques énergétiques et un soutien aux industries vertes sont essentiels.


- Renforcer la sécurité et réduire les dépendances : la dépendance de l’Europe par rapport aux importations de matières premières et de technologies numériques, associée à des dépenses de défense fragmentées, affaiblit sa résilience. Une stratégie économique et de défense cohérente est nécessaire.


Deux contraintes majeures : (1) le coût massif de ce plan (800 milliards d’euros) alors que la zone euro est lourdement endettée (la dette publique est de 88,7% du PIB à fin mars 2024) ; (2) la difficulté à réconcilier des défis contradictoires (changement climatique, boost industrie et coût énorme de la transition écologique). 


Les grands dossiers économiques qui ont besoin d’être traités dans un contexte multilatéral inclusif. 
• La stabilité financière mondiale. Les faillites bancaires de 2023 en Suisse (Crédit Suisse) et aux Etats-Unis (SVB, Signature et First Republic) ont mis à l’épreuve les réformes post-crise financière de 2008, qui visaient à mettre fin à l’idée du «too big to fail». Bien que des progrès aient été réalisés, d’autres réformes sont nécessaires pour éviter que les contribuables ne doivent de nouveau renflouer les banques. Selon le FMI, les pistes de réformes complémentaires sont :
- supervision et intervention précoce : les superviseurs doivent agir plus rapidement et fermement pour contrer les risques posés par la mauvaise gestion des banquiers.


- Focalisation sur les petites banques : les autorités doivent se préparer aux crises touchant les banques de taille moyenne qui peuvent être systémiques. 


- Soutien en liquidités par les Banques centrales : les banques doivent pouvoir accéder rapidement aux facilités des Banques centrales, avec une réglementation adaptée.


- Plans de résolution flexibles : les autorités doivent avoir des stratégies de résolution adaptables, équilibrant stabilité financière et protection des contribuables.


- Coopération internationale : la collaboration entre pays est cruciale pour gérer les faillites bancaires.
- Renforcement de l’assurance des dépôts : la rapidité des retraits de dépôts due à la technologie souligne la nécessité d’améliorer les systèmes d’assurance-dépôts.


Le recours à l’intelligence artificielle pour : (1) renforcer l’efficacité du système financier à travers une hausse de la productivité et l’automatisation de nombreuses tâches dans le secteur financier ; (2) apporter des améliorations progressives par le biais d’une meilleure analyse des données non structurées et renforcer la découverte des prix et la liquidité sur les marchés et (3) conduire des transformations radicales (trading autonome piloté par l’IA est encore lointaine, mais elle soulève des préoccupations sur la transparence et la gestion des risques). 


• La dette mondiale est une bombe à retardement. Avant la Covid-19, la montée de la dette publique était déjà préoccupante. Cette dernière a explosé du fait du soutien budgétaire massif aux ménages et aux entreprises. A fin mars 2024, la dette mondiale atteignait 93% du PIB (dépassant de 9 points les niveaux d’avant la pandémie) et devrait se situer à environ 100% du PIB d’ici 2029. Aux Etats-Unis, en Chine et au Japon, les ratios dette/PIB devraient atteindre respectivement 133%, 106% et 251% d’ici 2028, des niveaux observés historiquement en temps de guerre. De plus, le niveau élevé des taux d’intérêt va alourdir le service de la dette, réduire les espaces budgétaires, affaiblir les perspectives de croissance à moyen terme, limiter les capacités des Etats à répondre aux défis comme le changement climatique et le vieillissement de la population et affaiblir leur résilience à faire face à de futures crises. 


Quatre grandes questions se posent : 


- Comment renforcer la durabilité des plans de réduction de la dette : les choix difficiles pour réduire les déficits doivent être soutenus par des cadres budgétaires crédibles et une surveillance forte.

- Quelles sont les implications de la dette croissante dans les grandes économies comme les Etats-Unis ? Cela pourrait entraîner des taux d’intérêt plus élevés à long terme et affecter la stabilité financière mondiale.
- Comment se prémunir face au privilège exorbitant des Etats-Unis qui émettent la monnaie de réserve en fonction de leurs seuls intérêts ? La dette américaine bénéficie d’un statut spécial, mais l’irresponsabilité fiscale pourrait éroder cet avantage à terme. 
- Comment financer les défis du vieillissement des populations ? Les pays développés devront gérer des déficits soutenus à mesure que leur population vieillit. Ce qui implique des politiques budgétaires adaptées et des discussions approfondies pour trouver un consensus.


Les pressions mondiales sur les finances publiques pour faire face à des défis structurels majeurs. Au moment où tous les pays de la planète doivent rebâtir des espaces budgétaires érodés par la pandémie, il se dessine au contraire une tendance mondiale vers une augmentation des dépenses publiques pour répondre à de multiples défis structurels post-pandémie, dont le changement climatique, la démographie et les chaînes d’approvisionnement. Ce qui implique des stratégies budgétaires pour maîtriser les déficits et gérer les dettes publiques. 


• Le déficit budgétaire des Etats-Unis pose des risques majeurs : les perspectives budgétaires des Etats-Unis sont préoccupantes, mais largement négligées par les candidats à la présidence. Alors que la dette nationale a doublé, passant de 46% du PIB en 1992 à 96% début 2024, le déficit fédéral annuel moyen s’est élevé à 9% du PIB ces cinq dernières années. Malgré les mises en garde du FMI sur les risques pour la stabilité financière mondiale, les principaux candidats ne proposent pas de véritables solutions pour réduire l’endettement public des Etats-Unis.  Trump envisage des baisses d’impôts, tandis que Harris prône des dépenses supplémentaires, sans aborder les coûts considérables des systèmes de santé et de retraite. Les deux partis ont abandonné la rigueur budgétaire : en perpétuant les réductions d’impôts de 2017, l’administration Biden a réduit les recettes fiscales et accru les dépenses. Si cette situation perdure, la dette pourrait atteindre 166% du PIB d’ici 30 ans, avec des coûts d’intérêts déjà préoccupants. Les élections de 2024 n’apporteront pas de changements majeurs et il est prévu que les finances publiques se détériorent davantage. Sans réformes fiscales significatives, les risques économiques et financiers pourraient s’accentuer affectant également le reste du monde.


• La tendance à dépenser plus à travers le reste du monde : depuis quelques années et plus particulièrement depuis la pandémie et les chocs subséquents de l’offre, le reste du monde se distingue par les trends ci-dessous en matière de finances publiques : 


- Convergence sur les dépenses : à travers tout le spectre politique, les partis favorisent des hausses de dépenses gouvernementales au détriment d’une prudence budgétaire. 


- Conditions économiques : les contextes économiques difficiles et la hausse des dettes publiques poussent les responsables politiques à tenir un discours fiscal plus conservateur sans pour autant conduire des réformes ambitieuses. 
• La rhétorique pro-dépenses reprend vite. 


- Promesses électorales : les politiciens réalisent généralement leurs promesses d’augmentation des dépenses, ce qui entraîne des déficits plus élevés. En revanche, les mêmes politiciens refocalisent leur attention sur les recettes qui sont politiquement plus aisées à concrétiser. 


- Attentes publiques : la demande publique croissante pour plus de services et d’infrastructures pousse vers des politiques pro-dépenses, sans pour autant disposer de solutions saines en matière de financement. 

 

Par Abderahmi Bessaha , Expert international
 

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