Portrait / Mohamed Hamma. doyen des musiciens de Constantine : Un maître incontesté de la flûte

13/08/2023 mis à jour: 02:07
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Mohamed Hamma à gauche (flûte) avec Rachid Boukhouiete (violon), Abdelmoumen Bentobbal (luth), Abdelmadjid Djezzar (tar) et Bachir Benamara (derbouka)

De Hadi Benguennoun à Mohamed Bensahla, plusieurs poètes nous ont légué un riche répertoire, que ce soit hawzi, mahdjouz ou bien zedjel que Constantine entonne à travers ses chouyoukh qui ont perpétué cette musique citadine à jamais. 

Ces mélomanes, qui deviennent par la grâce de leurs talents et leurs virtuosités un véritable phare culturel. A l’instar de ceux qui excellent dans le jeu du djawaq (flûte), comme Tahar Benkartoussa, Abeid Kara Baghli, Abdelhamid Benkartoussa, Kaddour Darsouni et Mohamed Hamma.
 

Aux origines

Afin de mieux préserver la mémoire de cet art musical, j’ai eu l’immense honneur de rencontrer le musicien Mohamed Hamma, lors d’une rencontre au cours de laquelle il m’a révélé un peu les faces cachées de sa vie artistique. Originaire de la région de Hammam Guergour, située dans l’actuelle wilaya de Sétif, son bisaïeul s’installe à Constantine au milieu du XIXe siècle. Comme tous les indigènes de l’époque sous le joug colonial, il habitait dans une vieille maison arabe. 

D’ailleurs, Errabii qui est le père de Mohamed a vu le jour dans ses mêmes quartiers en 1904. Il se marie avec Benderradji Hanifa qui lui donne plusieurs enfants, dont Mohamed, né à la première heure du 30 décembre 1937, au moment où la Médina entrait dans son sommeil profond, sous un manteau blanc à Dar El Kebch tout près du mausolée de Sidi Rached. Au milieu de l’hiver 1942, la modeste demeure de Hamma Errabii ne résiste pas aux aléas du temps et s’écroule. Heureusement, la famille trouve refuge dans la maison M’Haouchi aux environs du quartier de Kouchet Ezziet.  A l’époque, le père de Mohamed était chef d’équipe à la commune de Constantine. 
 

Son éducation

Le jeune Mohamed est inscrit à l’école Arago (actuelle école Mouloud Belabed). Pendant sa scolarité, il fait connaissance de l’élève Abdelhamid Benserradj, une autre figure de la musique constantinoise. Il fait un cursus exemplaire au sein de cet établissement. Et comme le hasard fait bien les choses, un jour il trouve une flûte à bec dans l’établissement scolaire, par laquelle il fait ses premiers pas en musique, qui rythme sa vie d’éclaireur (scout) au sein du premier groupe El Bassair, qui avait comme commissaire scout Abla Omar. 

Le jeune Mohamed est intégré dans le groupe des louveteaux gris dirigé par le chef adjoint Bachir Benamara. Au sein de ce groupe, il fait la connaissance des routiers (grade connu dans le monde des scouts), Rachid Boukhouiete, Tayeb Djennadi, Hacene Belhadj et bien d’autres. 

Après avoir obtenu son certificat d’études primaires (CEP) en 1951, Mohamed Hamma s’inscrit pour le concours d’entrée au collège technique de Sidi Mabrouk. Une fois admis, il reçoit un subside pour pouvoir terminer ses études. Et en 1954, il couronne son apprentissage par un (CAP) certificat d’aptitude professionnelle avec les compliments du directeur de l’établissement M. Esposito.
 

Premiers pas 

Pendant la période de ses études, il fera partie d’un petit orchestre tampon entre deux générations de la musique constantinoise, avec Abdelhamid Benserradj (tar), Benghenissa Omar dit Abdelhamid (derbouka), Stofa Belkacem (violon), Abdelmadjid Noui (mandoline) et Mohamed Hamma (flûte). 

Après un passage furtif au sein de l’association Les mille et une nuits, où Hamma fait la connaissance du responsable de la troupe théâtrale Ahmed Benfradj qui le distribue dans pas mal de représentations théâtrales, par la suite il joue même avec Hacene Bencheikh Lefgoune, Cherif Chouaib et Sassi Mabrouk. Le petit orchestre programme ses répétitions dans un premier temps au fondouk Belhadj Mostefa, avant de déménager au local de Mahmoud Louadfel. Petit à petit, ce groupe s’est formé au contact de plusieurs chouyoukh, comme Raymond Leyris, Abdelkader Toumi ou bien Cheikh Djelloul. Pour Mohamed Hamma, Abdelhamid Benkartoussa reste son seul mentor, qui l’a aidé à évoluer dans la maîtrise de la technique instrumentale du fhel (flûte traditionnelle). 

Parallèlement à sa passion pour la musique, il s’est engagé comme ajusteur, tourneur-fraiseur chez Lucien Cathalaet frères (construction métallique) mais pas pour longtemps. Il change d’enseigne, cette fois-ci comme mécanicien auto chez UNIC, la branche poids lourds de Simca industries, avant d’être embauché par Bentchicou dans la manufacture de tabac le 1er septembre 1955. Cette date est décisive pour Mohamed Hamma. Elle constitue un nouveau point de départ dans sa vie comme nationaliste.
 

Hamma et le militantisme 

Mohamed Hamma adhère à l’Union générale des travailleurs algériens dans la clandestinité, après son contact avec Zouaoui Bentobal responsable de l’UGTA. Il devient secrétaire général de cette union au sein de la manufacture de tabac Bentchicou. Peu de temps après, il rejoint le groupe du chahid Madoui Boudjemaâ et Abdelkrim Meniai pour la collecte des fonds au profit du FLN jusqu’à 1958 où il reçoit son ordre de mobilisation pour effectuer son service militaire au centre de sélection numéro 11 de Teleghma. 

Durant son service, il entre en contact avec les membres du FLN, où il leur effectue des plans sur l’ensemble de la caserne et contribue à doter les moudjahidines en habillement militaire. Hélas, son membre de liaison ou bien son contact s’est fait arrêter et le dénonce sous la torture. Mohamed Hamma est conduit à la fameuse ferme Meziane où il subira toutes les formes de torture. 

Il sera par la suite assigné à résidence au centre d’internement de Constantine sous le contrôle de l’autorité militaire à compter du 21 avril 1961. Trois mois après, il reçoit une citation à comparaître à l’audience du 13 juillet 1961 durant laquelle il bénéficie des services d’un avocat commis d’office, en l’occurrence maître Elbaze. Heureusement, Mohamed Hamma fut libéré à l’approche de l’indépendance.
 

À ce sujet, Mohamed n’en parle pas. D’ailleurs, il n’a jamais demandé quoi que ce soit pour services rendus à la nation pendant la guerre de Libération, malgré les propositions de postes de responsabilités en 1962 pour diriger le 2e arrondissement de la police à Constantine. 
 

Un mélomane d’exception

Talentueux joueur de la flûte traditionnelle djawaq (fhel), Mohamed Hamma accompagnera plusieurs troupes, comme l’orchestre pilote de Constantine en 1971 et la troupe de Abdelmoumene Bentobbal, qui se compose d’Abdelmadjid Djezzar, Rachid Boukhouiete, Bachir Benamara et Cherif Bencharif. En 1982, Mohamed Hamma propose aux membres de la troupe la création de l’association El Bestandjia, avec un objectif idéal. 

L’association se consacre en premier lieu uniquement à la formation des jeunes, ensuite à la sauvegarde du patrimoine musical. D’ailleurs, la dénomination de cette association était une manière pour rendre hommage à Ahmed Bestandji à laquelle prend part son fils Larbi comme secrétaire général, Hamadi Belkacem, dit Hamdani comme président, Mohamed Hamma était vice-président et Kamel Belamine, trésorier. 
 

L’association El Bestandjia prend part aux activités et manifestations musicales locales et nationales à Alger, Oran et Tlemcen. Elle se produit également en Tunisie et au Maroc, avec ses élites comme Toufik Touati, Mourad Laïb, Malek Chelloug, Rachid Boutas, Adel Meghouache, Lakhdar Gaouache, Lotfi Amireche, Bounah, Salim Azizi. L’association décroche même le 1er prix des écoles (Tlemcen, Alger et Constantine) au théâtre national d’Alger (TNA). Ces résultats ont été acquis grâce aux efforts des membres fondateurs, notamment ceux de Mohamed Hamma, comme éducateur et enseignant. 
 

Ce dernier a été même sollicité depuis 2010 pour présider le jury du festival national du malouf. Il a été également convié à maintes reprises pour donner des conférences sur la musique andalouse, comme au colloque international de Tlemcen en 2011 aux côtés d’Ahmed Serri et Hassen Boukli. Ceci sans oublier l’hommage qui lui a été rendu au festival international du malouf qui s’est tenu en 2023 à Constantine. 

Pour Mohamed Hamma, la flûte restera son instrument de référence aligné à celui de la zorna et du mandole. Son nom est gravé avec ceux des instrumentistes talentueux de la flûte comme Mellouk, Tahar Benkartoussa, Abeid Kara Baghli, Abdelhamid Benkartoussa et Kaddour Darsouni, pour ne citer que ceux-là. 

Juste après avoir décroché avec la musique en 1989, Mohamed Hamma sera admis quelques années plus tard à la retraite en qualité de chef de travaux au collège technique Boushaba à Sidi Mabrouk. Depuis lors, cette «flûte enchantée» ne résonne plus.




Mohamed Ghernaout 

Enseignant et auteur d’ouvrages sur le théâtre algérien
 

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