Portrait - Gaceb Mohamed : 92 ans, doyen du prestigieux club harrachi - «Semsem mérite bien de renouer avec sa gloire»

05/04/2025 mis à jour: 02:01
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Photo : D. R.

Qui sait tout souffrir peut tout oser

Ce flâneur du quotidien  garde la vigueur de sa jeunesse et se fond dans l’existence de ses semblables, les gens simples. Sa silhouette est souvent signalée à la placette d’El Harrach, où il a ses habitudes, notamment au café d’El Kahla. Est-ce un hasard ? Non, car Mohamed, surnommé le goal volant, est le doyen vivant du football harrachi.

Né il y a quatre vingt douze ans à Maison Carrée, il continue, à cet âge avancé, à servir le sport harrachi en poursuivant sa mission de secrétaire de la section judo du CJH, qu’il avait entamée il y a près d’un demi-siècle aux côtés de notre ami commun, l’inoubliable regretté Mustapha Mabed, l’âme du judo harrachi, avec ses innombrables et valeureux champions. Justement, on retrouve Mohamed dans son bureau à la salle de judo, où il prend le temps de se poser, à travers les photos, ornant les murs, fruits de tant d’exploits, qui ne semblent pas affectés par l’usure des années !

Alors  d’une voix qui pousse un air de nostalgie joyeuse, Mohamed nous parle de son parcours et de ses passions sportives à un moment où tout El Harrach ne vibre et ne jure que par son club fétiche, aux portes de son prestige retrouvé.

À 92 ans, bon pied bon œil et toutes ses dents

Né le 16 janvier 1933, au quartier Sainte Corinne (Sincouri, cinq écuries, mitoyenne), au cœur du populaire El Harrach, Mohamed a suivi ses études à l’école de PLM et à la Faculté d’Alger, d’où il est sorti juriste. Il a travaillé à Sonatrach, employé à British Petrolium, au lendemain de l’indépendance, et en 1964 à la raffinerie d’Alger, Sidi R’zine qui n’est pas tellement loin.

Au plan sportif, il a joué en minimes, cadets au Racing Club de Maison Carrée. «En juniors, Lalouche a préféré le Gallia Sport d’Alger, alors que moi , influencé par un parent, qui évoluait à l’USMMC, Saoudi Allal, j’ai exaucé son souhait en signant en 1951 à El Harrach.

J’étais junior et lors d’un match amical, j’ai été promu en seniors, jusqu’en 1956, date à laquelle les compétitions ont été arrêtées sur ordre du FLN. Mon premier match, je l’ai joué en déplacement contre la JSK. Il pleuvait averse, sous un froid de canard. On avait fait un match exceptionnel. Vers la fin , j’ai été touché sérieusement à la tête suite à un choc. J’avais réussi à préserver ma cage vierge. Je me suis retrouvé avec Kabri Rabah, dirigeant et le médecin, qui m’a soigné dans un hammam.

A la fin du match, notre président Benyoucef Abdelkader et son homologue kabyle  ainsi que les supporters sont venus s’enquérir de ma santé. On avait perdu par 1 à 0 et c’est Kadim, le père de l’international qui m’a remplacé. Gardien volant , on avait collé cette étiquette à Mohamed.» Pourquoi ? «Lors d’un match joué contre Oued El Alleug, alors que j’évoluais à l’ESMC, j’avais livré une prestation de premier ordre, pleine de plongeons spectaculaires. On avait gagné 3 à 1.

Il s’est trouvé, à l’époque, un supporter acharné Bidi, tailleur de profession, également dirigeant, qui nous a devancés au cercle pour annoncer la bonne nouvelle en exagérant, disant Gaceb a fait un plongeon et est resté une heure dans les airs ! Il faut rappeler que j’avais un surnom ‘‘Vignal’’ grand gardien de légende de l’équipe de France, auteur d’envolées incroyables et avec qui je correspondais. C’est de là , qu’on m’a collé cette étiquette. René Vignal avait deux vies. Intrépide sur le terrain, il avait été condamné à 15 ans de prison pour braquages.

Ce sont les Britanniques qui le surnommèrent ‘‘The flying frenchman’’  après un match spectaculaire à Glasgow. Son après-carrière a été chaotique. Sa route avait fini par croiser celle du grand banditisme.» «J’ai aimé passionnément le football et la vie en général. Trop peut- être», raconte-t-il dans ses Mémoires intitulés Hors-jeu, publiés en 2012. Il s’est éteint le 16 novembre 2016 à 90 ans. Naturellement, Mohamed n’a pris que le côté sportif de son idole.

Le salut vient de la formation

En 1962, le club d’El Harrach a pris en charge mon opération chirurgicale du ménisque et du ligament du genou droit. Rétabli, j’ai eu plusieurs propositions, notamment du RCK, par le biais d’Ahmed Bouchemal, mais c’est El Kahla qui a fini par me séduire.

Le jour de la concrétisation, j’avais rencontré Tayeb Belksir, mis au parfum, qui s’en est allé vendre la mèche aux dirigeants de l’ESMC, où finalement, j’ai signé, par conviction, un bail de 1963 à 1974. Son meilleur souvenir, c’est le jubilé grandiose que ses amis de la raffinerie de Skikda  lui avaient organisé, à son insu. «Un événement qui m’a profondément marqué» reconnaît-il . Il ne l’oubliera jamais.

La situation actuelle du sport ne l’enchante guère . A notre cher regretté Mustapha Mabed, il avait confié : «L’esprit du sport a été dévoyé. On a donné plus d’importance à des  élites galvaudées. Mais est il nécessaire de délaisser l’autre sport dit amateur. Je pense qu’il faut libérer les énergies étouffées. Revoir notre organisation sportive et axer nos efforts sur la base, au sein de nos écoles.

C’est là et seulement là que réside la solution.» Mohamed, toujours à l’écoute du sport harrachi, se désolait, il n’y a pas longtemps, de la situation du club phare l’USMH, en raison, selon lui, du manque de cohésion. Il se souvient d’avoir fait partie de l’Amicale des anciens, sous la férule de Selmi, Que Dieu ait son âme, lors de la célébration du 76e anniversaire du club, mais cela n’a pas duré.

El Harrach est dans les cœurs

Pour relancer la machine, assure-t-il, il faut renouer avec l’esprit de solidarité qui prévalait. Il suffit d’un déclic, avec beaucoup de volonté et zéro ingratitude. «Tenez, à l’occasion des jubilés, il y a toujours foule, cela prouve que l’USMMC est toujours dans les cœurs de ses fans.» Il faut valoriser cette belle dynamique. Il y a des forces, mais dispersées et divisées, qui sont constamment en train de se chamailler ; il y a aussi une querelle d’ego au niveau des dirigeants, au sommet du club. 

C’est malheureux d’en arriver là, alors qu’il y a tant à faire, car la matière existe et les hommes aussi. Il n’y a qu’à se référer aux anciennes gloires du club, qu’elles soient de rive gauche ou droite, les leaders Tahar, Selmi, Moukor, Meziani, les regrettés Hamoui, Chenafi, Hadj Zoubir, Mechta, Benameur, Abdelkader : les anciens toujours à l’écoute, Lahcene, Hadjloun, Kabri, Lounici, Kadim, Ifticene, Kouici, Rahem, Djefdjef, Meddane, Azizane.

Ce discours tranchant mais sincère, Mohamed le tenait il y a deux années, croyant dur comme fer, en son for intérieur à un salvateur déclic. Heureusement que ces derniers temps on a changé de fusil d’épaule, en optant résolument pour une union sacrée, qui a redonné un espoir revigorant, de la ferveur et de l’enthousiasme, à travers un retour impressionnant des supporters et une image autrement plus conquérante et plus convaincante de l’équipe.

C’est un bon gage et un signe qui ne trompe pas.  El Harrach, qui a longtemps végété en deuxième division, avait besoin de renouer avec son histoire, se départissant d’un statut,injustement attribué de négligé et laissé pour compte, en raison peut-être de son caractère populaire, et fier de l’être, taxé encore honteusement de populace.

L’équipe s’est bien battue cette saison, avec abnégation, volonté à toute épreuve et courage de tout instant, à l’image de l’inusable capitaine Faouzi Chaouchi, qui a retrouvé une seconde jeunesse en donnant l’exemple. Il est normal qu’elle soit payée en retour, en offrant ce que tout le monde attend avec impatience mais aussi avec appréhension : l’accession parmi l’élite qu’elle n’aurait jamais dû quitter. A quelques encablures du sifflet final, le rêve est toujours permis. ..... 

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