Entamé en 1917, l’ouvrage a été inauguré le 12 avril 1925, pour devenir le quatrième pont reliant les deux rives de la ville,
avec ceux de Sidi Rached, Bab El Kantara et Sidi M’cid.
La passerelle Mellah Slimane, plus connue chez les Constantinois par Gantrate essansour (Pont de l’ascenseur) a bouclé, samedi, cent ans d’existence au-dessus des gorges du Rhummel traversant le vieux rocher. Entamé en 1917, l’ouvrage a été inauguré le 12 avril 1925, pour devenir le quatrième pont reliant les deux rives de la ville, avec ceux de Sidi Rached, Bab El Kantara et Sidi M’cid.
Cette véritable prouesse de 125 mètres de long, perchée à 105 mètres au-dessus du ravin, est l’œuvre de l’ingénieur Ferdinand Arnodin. Celui-là même qui avait été le concepteur du pont Sidi M’cid inauguré le 19 avril 1912. Copie conforme de ce dernier, la passerelle Mellah est la seule destinée uniquement aux piétons. Comme pour la principale artère du quartier de Souika, dans la vieille ville, l’ouvrage avait été baptisé durant l’époque coloniale au nom du général Alexandre-Charles Perrégaux (1791-1837), général-chef d’état-major de l’expédition de Constantine, sous le commandement du général Damrémont.
Quand ce dernier fut tué par un boulet le 12 octobre 1837, en inspectant les batteries des canons sur le lieu qui deviendra plus tard la place de la Pyramide (actuelle place Colonel Amirouche), à la veille de la prise de la ville, le général Perrégaux fut atteint d’une balle au visage. Grièvement blessé, il sera embarqué pour la France, puis mourut en mer le 6 novembre 1837. Après l’indépendance, et comme pour l’ex-rue Perrégaux, le pont portera le nom de Slimane Mellah, dit Rachid.
Ce dernier, né à Constantine, avait adhéré au PPA-MTLD à la fin des années 1940. Il avait pris part pour le Constantinois à la réunion du groupe des 22, avant de tomber en martyr au maquis après le 1er novembre 1954. La passerelle a toujours été un passage névralgique puisqu’elle relie le centre-ville depuis la rue Larbi Ben M’hidi dans la partie supérieure jusqu’en bas vers la rue de Roumanie et la rue des Frères Zaâmouche où a été aménagée une gare routière, non loin de la gare ferroviaire située à la place du 1er Mai.
Ceci est rendu possible grâce à l’ascenseur se trouvant à la place Mohamed Tahar El Adjabi (ex-Molière), à quelques pas du siège de la Médersa, et qui demeure la particularité de cet ouvrage. Ce moyen de déplacement est très prisé, et surtout très pratique, même si de nombreux citoyens préfèrent descendre ou monter les 109 marches de l’escalier, dont une quarantaine en bois. À travers les fenêtres situées sur les paliers, on peut s’offrir un magnifique panorama sur la passerelle et les gorges du Rhumel.
Des vestiges témoins
En jetant un regard vers les gorges du côté du pont Sidi Rached, on peut voir ce qui reste d’un ancien pont romain. De l’autre côté, sur la rive droite en bas, des escaliers descendent vers l’ancien hammam de Salah Bey, servi par une source thermale décrite dans des récits historiques. Elle n’existe plus. Salah Bey aimait venir s’y relaxer et oublier les ennuis du pouvoir. Non loin de là, on peut voir la gare ferroviaire, construite à partir de 1865. Juste en face se dresse la statue de l’empereur Constantin, arrivée à Constantine en février 1913, puis installée dix ans après dans ce lieu devenu actuellement la place du 1er Mai. Pour l’histoire, l’antique Cirta, théâtre de guerres civiles romaines, a été détruite par Maxence en 311.
Le sort a voulu que l’empereur Constantin sorti vainqueur la fasse reconstruire en 313. Elle porte ainsi son nom depuis 1712 ans. En revenant vers la passerelle Mellah, du côté gauche du rocher, on voit en haut la ville avec toutes ses maisons étagées aux murs hideux et défraîchis montrant la face cachée des beaux immeubles européens de la rue Larbi Ben M’hidi, repeints il y a dix ans.
A quelques encablures avant la Médersa, inaugurée en 1909, aux murs blancs immaculés, avec son dôme et sa belle architecture, se dressent les ruines des maisons de la rue des tanneurs (Dar Debagh), où l’on faisait le traitement et la teinture du cuir. Juste à quelques mètres, on reconnaît l’ancienne fabrique de tabac de Bentchicou. C’est le quartier d’Echatt, situé sur la falaise, où se trouvait également le lieu appelé El Marma, par lequel on jetait les ordures ménagères dans le Rhumel, bien avant l’occupation de la ville par l’armée française.
On peut voir aussi au n°100 de la rue Larbi Ben M’hidi (ex- Georges Clemenceau), le fameux immeuble blanc à six étages. Une bâtisse qui abritait le siège de la Dépêche de Constantine devenu après l’indépendance celui du journal francophone Annasr, arabisé en 1972. Avant d’arriver au pont d’El Kantara, on remarque à droite l’un des derniers boulodromes de la ville, où des passionnés venaient s’adonner à un jeu qui faisait la fierté de la ville.
Des ouvrages majestueux
Pour l’histoire, la passerelle Mellah Slimane, occupe aujourd’hui la cinquième place dans l’ordre d’ancienneté parmi les ouvrages emblématiques de la ville de Constantine.
En tête de liste se place le pont d’El Kantara, L’aîné de tous les ponts de la ville du Vieux rocher, dont l’histoire est des plus fabuleuses. Durant de longs siècles, il était le seul accès vers la ville. La construction du premier pont dans ce site remonte au IIe siècle de notre ère, sous le règne de l’empereur Antonin Le Pieu. Les vestiges de la partie inférieure de cette passerelle en pierres existent encore, et sont visibles sous l’actuel pont d’El Kantara. Le pont romain qui s’est dégradé au fil des siècles sera reconstruit à différentes époques.
La principale reconstruction avait eu lieu en 1790 sous le règne de Salah Bey (1771-1792). A peine 20 ans après la prise de la ville, et 65 ans après sa construction, le pont d’El Kantara connaîtra un nouvel épisode dans son histoire. Le 18 mars 1857 à 7h, une bonne partie de l’ouvrage, ne supportant pas le poids des engins s’effondra. Face au danger qui se présentait pour la population et les constructions de la nouvelle Rue Nationale, plus connue par Trik Djedida, l’administration française avait décidé de le démolir à coups de canon. L’opération avait été menée le 29 mars 1857.
Les travaux de construction seront entamés en 1864. Le nouveau pont long de 128 mètres, doté d’une arche unique en fer d’une portée de 56 m, à une hauteur de 125 m au-dessus du ravin, sera inauguré en 1867. Le deuxième plus ancien pont de la ville du Vieux rocher est celui nommé Le Pont du Diable, érigé à l’entrée des gorges du Rhumel, en contrebas de la zaouïa de Sidi Rached. Une vieille passerelle construite par les Français en 1850, et qui a subi la furie des eaux à plusieurs reprises.
C’est d’ailleurs le bruit «effrayant» de la rivière, lorsqu’elle pénètre dans les gorges par ce lieu étroit, qui a été à l’origine de son appellation. «A l’époque moderne, la sauvage et grandiose beauté du décor est devenue une attraction touristique de réputation mondiale», notait Alphonse Marion dans son ouvrage L’épopée des gorges du Rhumel constantinoises, recueil d’articles parus dans un ouvrage en 1957. En troisième position, on retrouve le pont suspendu Sidi M’cid ou Gantrate Essebitar en référence à l’hôpital civil (actuel CHU Dr Benbadis). En haut, on reconnaît cet édifice construit en 1876. Avant l’ouverture du pont suspendu, on devait faire un grand détour par le quartier de Bab El Kantara pour y arriver.
Des ponts qui défient les hauteurs
Le pont Sidi M’cid fait partie de la deuxième génération des ponts suspendus dans le monde, construits après 1850. Les ingénieurs en France et en Europe avaient beaucoup appris des effondrements de ces ouvrages suite à des défaillances techniques. Pour Ferdinand Arnodin (1845-1924), concepteur de plusieurs ponts suspendus en France, le pont Sidi M’cid a été une expérience à part. Cet éminent spécialiste mondial des ponts suspendus est connu pour être le père d’une trentaine d’ouvrages réalisés en France.
La passerelle Sidi M’cid demeure l’un des rares ouvrages conçus par cet industriel qui continue toujours d’exister. Sa réalisation a été entamée en 1905 par l’entreprise Witte, pour qu’elle soit inaugurée le 19 avril 1912, soit le même jour que le pont Sidi Rached. Les vieilles photographies qui ont immortalisé les travaux de cet ouvrage, montrant des ouvriers sur des échafaudages de fortune, au bord du rocher, étonnent de nos jours.
Lorsqu’on prend conscience des conditions de travail entre 1905 et 1912 et les moyens de l’époque, on réalise qu’il s’agissait vraiment d’un grand exploit. Un véritable défi contre la nature. Le pont sera inauguré le 19 avril 1912, le même jour que celui de Sidi Rached. Ce dernier, qui vient en quatrième position, est l’autre icône plus que centenaire de la ville de Constantine. Selon les archives de la direction des travaux publics de Constantine, le projet du pont Sidi Rached avait été confié, en 1907, à Georges Boisnier, spécialiste des grands ponts au monde.
Cette audacieuse réalisation en pierre de taille, qui traverse les gorges du Rhumel, longue de 447 m, large de 12 m, s’élève à une hauteur de 102 m au-dessus de ce dernier (oued). Elle repose sur 27 arches, dont 13 ont une ouverture de 8,80 m, une de 30 et la plus large de 70 m. Entamé en 1907 et inauguré le 19 avril 1912, il est classé parmi les plus grands et les plus remarquables ponts de pierre au monde. Il a même un «frère jumeau», pierre par pierre et arc par arc, qui n’est autre que le pont Adolphe au Luxembourg, élevé sur la vallée verdoyante de la Pétrusse, inauguré le 24 juillet 1903.
Sauf que ce dernier, bien aménagé, beaucoup mieux entretenu, et surtout plus robuste, est traversé par le tramway. Celui de Constantine, plus fragile, en raison des problèmes des glissements, a été interdit depuis des années aux bus. En quittant la voûte de Bab El Kantara, le Rhumel creuse son lit sous un arc naturel, pour descendre vers la vallée de Hamma Bouziane, en passant sous le pont des Chutes, menant vers la piscine de la localité de Sidi M’cid. Construit en 1928, il sera centenaire dans trois ans.