Point de vue - Pour une alternative au modèle de croissance économique par la dette en Algérie

14/07/2024 mis à jour: 18:02
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Photo : D. R.

La croissance économique générée en Algérie par l’endettement public n’est pas soutenable vu ses impacts sur l’inflation, le niveau d’activité et la stabilité financière à moyen terme et il est donc souhaitable d’opter pour une autre approche. A condition d’être bien gérée, transparente et utilisée dans le cadre d’une stratégie d’endettement claire et précise, la dette publique (interne et externe) peut contribuer à créer les conditions d’une croissance économique saine, élargie et durable.

Mais ce n’est que trop rarement le cas. En effet, un endettement public élevé peut très vite devenir insoutenable et freiner les investissements privés, accroître la pression budgétaire, réduire les dépenses sociales et limiter les capacités des autorités d’un pays à mettre en œuvre des réformes structurelles pour renforcer la résilience et les performances de l’économie.

De nombreux pays à travers le monde font face à cette situation. Pour sa part, l’Algérie, qui a repris le contrôle de sa dette extérieure, fait face désormais, pour diverses raisons endogènes et exogènes, à une dette publique interne insoutenable qui ralentit la croissance économique à moyen terme (déjà mise à mal par des déséquilibres macroéconomiques, des contraintes structurelles, un manque d’innovation et l’absence d’une stratégie de refondation du modèle économique et social).

La reprise du contrôle de la dette publique interne est donc un objectif qui doit s’inscrire dans le contexte d’une reprise en main des finances publiques, laquelle devra être articulée autour d’une stratégie de refondation du modèle économique et social. Discutons de ces questions importantes.

La dominance budgétaire en réponse aux défis macroéconomiques et pressions géopolitiques de l’heure. 
Point 1 : La politique budgétaire influence l’activité économique. A travers le niveau et la nature des impôts, les gouvernements agissent sur le montant et la qualité de la demande publique (consommation et investissement privés, achat de biens et services de la part de l’Etat et exportations nettes) ainsi que sur le volume et les formes de l’emprunt public.

L’orientation de la politique budgétaire peut ainsi être expansionniste (hausse de la demande publique) ou restrictive (ralentissement de la demande publique) en fonction du cycle économique.  
Point 2 : Le primat de la politique budgétaire (dominance du budget) en tant qu’outil de gestion macroéconomique est désormais établie. Ce primat s’est forgé : (1) d’abord au cours de la grande crise financière de 2008 qui avait affaibli l’économie mondiale, ébranlé les systèmes financiers, perturbé le commerce international et érodé la confiance des agents économiques.

Les gouvernements avaient alors fait activer les stabilisateurs automatiques et/ou adopté des plans de relance budgétaire pour préserver l’activité économique ; et (2) ensuite dans le sillage de la pandémie de la Covid-19, des chocs de l’inflation de 2021 et de la guerre en Ukraine de 2022 qui ont renforcé encore plus le rôle central de la politique budgétaire.

Outre la fourniture de biens et de services (sécurité publique, infrastructures, enseignement, justice, etc.) et la stabilisation macroéconomique, la politique budgétaire doit désormais prendre en charge de nombreux défis économiques et structurels (la réduction de la pauvreté, la baisse de l’inflation, le renforcement des chaines de valeur mondiale, le réchauffement climatique et la transition écologique, la démographie et les politiques industrielles) et favoriser une croissance durable.

Point 3 : Le rôle proactif de la politique budgétaire dépend de la marge de manœuvre des gouvernements pour engager de nouvelles dépenses ou réduire les impôts. Ce qui implique l’accès d’un gouvernement à un financement supplémentaire à un coût raisonnable par le canal des marchés financiers internationaux (pays avancés), celui de l’épargne budgétaire pour certains pays prospères et la voie des appuis bilatéraux et/ou multilatéraux (prêts) et des donateurs pour les pays en développement.

Cet accès offre alors une capacité à réorganiser la structure de dépenses existante afin d’éviter des pressions sur les prix, les réserves de change ou le taux de change et l’effet d’éviction.

Le lien entre la dette publique et la croissance économique. L’analyse de ce dernier a évolué au cours des décennies passées. Contrairement aux néoclassiques, les keynésiens voient dans les dépenses publiques financées par la dette publique un vecteur de croissance si elles couvrent l’investissement productif (avec un effet multiplicateur positif). Les néokeynésiens vont affiner cette approche en précisant que des niveaux d’endettement public sont soutenables si les taux d’intérêt sur les emprunts sont inférieurs au taux de croissance économique.

Présentement, la ligne de pensée dominante considère que les retombées positives et négatives de l’endettement public sur la croissance passent par le respect d’un plafond (propre à chaque pays) du ratio endettement public/PIB.

De plus, il est recommandé d’éviter l’endettement public à moyen et long dont le poids éventuel peut impacter : (1) l’accumulation du capital ; (2) le niveau des taux d’intérêt à long terme qui pourraient augmenter et alourdir ainsi le service de la dette ; (3) la fiscalité dans la mesure où les autorités pourraient alourdir la ponction fiscale pour rembourser les emprunts ; et (4) la stabilité bancaire ou financière en cas d’incertitude pouvant assombrir les perspectives économiques du pays et limiter les capacités de relance du pays.

Les contours d’une cadre d’endettement soutenable au service de la croissance. (1) une stratégie de mobilisation de ressources nationales et extérieures avec une définition claire de la gestion de la dette publique qui précise, entre autres, un plafond annuel ainsi que les usages productifs des emprunts ; (2) des indicateurs de dette publique qui inspirent confiance aux créanciers sur la capacité du pays à rembourser ; (3) une coordination étroite entre  les responsables de la politique budgétaire, de la politique monétaire et du secteur réel (public et privé) afin de maintenir l’endettement du secteur public sur une trajectoire durable, viable et crédible ; (4) des soldes budgétaires primaires : à savoir un excédent des recettes publiques par rapport aux charges, hors paiements d’intérêts ;  (5) une croissance réelle positive ; et (6) des taux d’intérêt réels inférieurs aux taux de croissance.

La dynamique de la dette publique dans le monde. Avant le resserrement des conditions monétaires dans le monde à partir de février 2022, la dynamique de la dette ne présentait pas d’obstacle dans la mesure où les taux d’intérêt réels étaient très inférieurs aux taux de croissance. Cette situation n’incitait pas les gouvernements à rééquilibrer les finances publiques, les encourageant bien au contraire à accroitre leurs déficits et dettes publiques, notamment au cours de la pandémie (qui a ouvert la voie à de vastes programmes d’aide d’urgence).

En conséquence, le ratio dette publique/PIB a augmenté considérablement en quelques décennies et devrait atteindre en 2028 120% du PIB au niveau des avancés et 80% du PIB pour ce qui est pays émergents et à revenu intermédiaire.

Cette hausse de l’endettement interviendra dans un contexte mondial de ralentissement de l’activité économique du fait de la stagnation de la productivité, du ralentissement de la croissance démographique, de l’atonie de l’investissement et de la persistance des séquelles de la pandémie.

Le cas de l’Algérie : La reprise du contrôle de la dette publique interne est donc déterminante pour peu qu’elle s’inscrive dans le contexte d’une stratégie de refondation du modèle économique et social (y compris un assainissement des finances publiques).

Point sur la dette publique à fin 2023

L’Algérie n’a pas de problème de dette extérieure. Cette dernière se situe à 1,4% du PIB en 2023 du fait d’un processus de remboursement anticipé de la dette extérieure dès 2004/2005. Cette initiative n’avait pas été accompagnée d’une politique de diversification de l’économie, d’une stratégie d’attrait des capitaux extérieurs à la mesure du potentiel productif du pays et de la construction d’une plus grande résilience économique du pays. 
La dette intérieure est en forte hausse. Elle se compose de bons du Trésor et d’obligations, ainsi que de l’encours de la dette achetée à des entreprises publiques. Les 2/3 de l’encours de titres du Trésor sont détenus par la banque centrale et le reste par des banques (principalement publiques) et des compagnies d’assurance. De 1022 milliards de dinars en 2000 (24,8% du PIB), la dette publique a triplé en valeur en 2016 pour atteindre 3407,3 milliards de dinars (19,5% du PIB) et a depuis connu un bond pour atteindre 18195 milliards de dinars (52,1% du PIB) en 2023.

Le coût du service de la dette publique est faible en raison de taux d’intérêt réels positifs. Avec une inflation à 9,3% en 2023, les taux des bons du Trésor à court terme de 13 à 26 semaines, sont de 2,18% et 2,99%, respectivement (soit un écart de 7,12 et 6,3 points). Pour les obligations du Trésor assimilables, de 7 à 15 ans, les taux applicables sont de 6,75% et 5,63%, respectivement (soit un écart de 2,55 points et 3 points). Un service de la dette rentable pour le Trésor qui n’incite pas au rééquilibrage des finances publiques.

La remontée de la dette intérieure traduit la persistance de déficits globaux hors pétrole élevés. De 35,7% du PIB hors pétrole en moyenne entre 2000-2019, le déficit a encore augmenté à 36,2% en 2023. Cette situation reflète la multiplicité des chocs extérieurs depuis 2014, le tarissement de l’épargne budgétaire (du Fonds de Régulation des Recettes), la poursuite des politiques budgétaires expansionnistes (liées à la volatilité du marché pétrolier, les chocs externes répétitifs, les tensions géopolitiques et l’absence d’une stratégie de réformes macroéconomiques, structurelles et sectorielles).

Notons également des inefficiences structurelles,  dont : (1) une fragilité globale du fait de la durée de vie des ressources pétrolières et du besoin de consolidation budgétaire (le pays couvre difficilement ses dépenses de base avec les recettes fiscales); (2) la faiblesse des recettes fiscales ; (3) le poids de certaines dépenses courantes (subventions et salaires) ; (4) l’inefficience des dépenses en capital ; et (5) une couverture des déficits par des ressources hétérogènes ne prenant pas en compte la nécessité de préserver la croissance et encore moins la viabilité des finances publiques.

Un déficit primaire hors pétrole non viable : ce dernier se situe en moyenne à 26,3% du PIB hors pétrole entre 2019 et 2023. 
Une croissance économique à crédit qui est fragile et porteuse de risques sur la stabilité financière et les perspectives économiques à moyen terme. Entre 2019 et 2023, la dette publique (garantie comprise) a augmenté de 6412 milliards de dinars. Au cours de la même période, le PIB nominal a augmenté de 10235 milliards de dinars. Si les effets du rebasage sont exclus, la hausse du PIB nominal retombe à 3072 milliards de DA. Une croissance à crédit coûteuse.

La feuille de route sur le moyen terme

Le rééquilibrage budgétaire à entreprendre doit être crédible et asseoir la visibilité de la politique macroéconomique du pays (surtout si on veut attirer les véritables investisseurs intérieurs et extérieurs). Deux conditions : (1) être d’ampleur pour marquer la volonté des autorités d’assainir les finances publiques ; et (2) disposer d’objectifs clairs en termes de recettes, dépenses et déficit.

Les réductions de dépenses sont difficiles à mettre en œuvre vu les besoins sociaux urgents. Dans ce cas, il serait souhaitable de procéder alternativement à un meilleur ciblage des dépenses.

Plus important, vu l’ampleur et le temps nécessaire pour conduire un tel ajustement budgétaire, un plan pluriannuel soigneusement conçu fournirait une feuille de route claire, transparente et responsable, contribuant à garantir l’adhésion de la population et des investisseurs. Enfin, la mise en place d’institutions de suivi et de gestion des finances publiques est cruciale. Une opportunité pour améliorer la gouvernance et la transparence budgétaire.

Le rééquilibrage devra être symétrique et affecter les recettes, les dépenses et la structure de financement des déficits. La gamme des réformes sur les recettes devra porter sur la politique fiscale (refonte des taux et assiette), les exonérations fiscales et douanières (à bannir) et la gouvernance de l’administration fiscale et douanière (à renforcer).

Des réformes complémentaires devront toucher les dépenses courantes (rationalisation de toutes dépenses hors intérêt) et les dépenses en capital (simplification et renforcement de l’efficience de la chaine de gestion institutionnelle des projets publics). Finalement, la structure de financement des déficits devra être revue et codifiée pour ne recourir qu’à des sources variées stables et établir un équilibre entre croissance économique et viabilité des finances publiques.

Les autres réformes d’accompagnement. Il serait souhaitable : (1) d’intégrer le plan de rééquilibrage budgétaire dans une stratégie globale et cohérente à long terme de croissance élargie et inclusive et de désinflation. Pour ce faire, il faut éliminer les principales entraves que les investisseurs rencontrent. Les priorités comprennent la réduction des formalités administratives, l’amélioration de l’accès au financement, le renforcement de la gouvernance, la transparence et la concurrence, l’ouverture de l’économie au commerce et à l’investissement étranger et l’amélioration du fonctionnement des marchés du travail ; et (2) de se doter une bonne fois pour toutes d’outils de pilotage macroéconomique. 

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