Point de vue / Les Démocrates relancent la course à la présidence aux Etats-Unis

08/08/2024 mis à jour: 18:02
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L’élection présidentielle de novembre 2024 peut conduire l’actuelle vice-présidente des Etats-Unis à la fonction suprême, pour peu qu’elle se dote d’un programme politique cohérent et pragmatique. 

En plus de l’élection du prochain président et de son vice-président, le scrutin de novembre devra renouveler la totalité des membres du Congrès et 1/3 des membres du Sénat. 

Il vient s’ajouter aux 75 autres scrutins qui sont prévus en 2024, y compris au niveau des dix pays les plus peuplés dans le monde, dont le Bangladesh, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, le Pakistan et la Russie. La campagne électorale intervient dans un contexte international dominé par de nombreux défis mondiaux déstabilisateurs, y compris les guerres meurtrières en Ukraine et à Gaza, l’intensification de la concurrence stratégique avec la Chine, des transitions numériques et vertes complexes et une vague sans précédent et incessante de migrants du monde entier le long de la frontière Sud des États-Unis. 

La prochaine administration américaine devra affronter ces défis et bien d’autres encore. Plus globalement, l’approche américaine du monde (en particulier son engagement avec ses alliés et partenaires) ne manquera pas d’influencer les règles et normes du système international devant assurer la sécurité des Etats-Unis et des progrès en matière de paix et de prospérité au niveau mondial. Discutons de ces points ! 

Les élections présidentielles américaines ont toujours un impact systémique. Elles affectent, certes, en premier lieu les Etats-Unis mais également et de façon incontestable le reste du monde, ce pays étant la première puissance économique, financière et militaire au monde. Plus particulièrement, ces élections ne manqueront pas d’avoir des retombées sur : 

(1) les politiques macroéconomiques à travers le monde (politiques budgétaires, monétaires, de change et de commerce) et des sujets-clés comme l’investissement, l’emploi et l’endettement international ; (2) le contexte géostratégique à travers les politiques qui seront mises en œuvre vis-à-vis de la Chine, de la Russie, du Moyen-Orient, de l’Afrique, de l’Océanie, de l’Europe et de l’Asie ; et (3) la paix dans le monde, y compris en Ukraine et en Palestine ainsi que la stabilité au niveau de nombreuses poches de conflit dans le monde. 

 
Les contrastes des grandes lignes des programmes des deux partis : (1) Politique intérieure : les démocrates favorisent : (I) l’octroi de stimulants pour encourager la relocalisation des investissements directs étrangers, la création d’emplois et des progrès sur les plans de l’environnement, du social et de la gouvernance économique (ESG) ; (II) l’annulation de la dette des étudiants ; (III) la protection du droit à l’avortement ; et (IV) le renforcement de l’éducation et de la santé. 

Les Républicains, pour leur part, souhaitent : (I) s’appuyer sur les tarifs douaniers pour encourager la relocalisation des investissements américains, notamment ceux implantés en Europe et booster l’emploi ; (II) mettre en place des  contrôles plus stricts sur l’immigration ; (III) prendre des mesures sélectives en matière d’éducation et de santé ; (IV) renforcer les pouvoirs de la police (déjà militarisée) ; et (V) affaiblir les normes ESG ; (2) 

Impôts et tarifs douaniers : les démocrates proposent : (i) de ne pas alourdir les droits de douane imposés à la Chine ; (ii) de mettre un terme aux baisses d’impôts offertes par Trump en 2017 (ayant favorisé les riches et expirant en 2025) et augmenter éventuellement la fiscalité frappant les riches et les corporations (qui utilisent en toute légalité de nombreux mécanismes d’exemption et l’optimisation fiscale). En revanche, les Républicains souhaitent : (i) imposer des droits de douane additionnels à la Chine (60% sur certains produits) et au reste du monde (10%) ; (ii) permaniser les baisses d’impôts de 2017; et (iii) adopter de nouvelles baisses d’impôts en fonction des ressources générées par la hausse des droits de douane ; (3) Taux d’intérêt, dépenses et inflation : pour les Démocrates, le taux d’intérêt neutre (qui ne pénalise ni ne stimule la croissance) devrait être plus élevé, en raison des déficits budgétaires croissants et du coût de la relocalisation. Pour les Républicains, il devrait également être légèrement moins élevé du fait de l’impact de l’augmentation des droits de douane sur les prix des biens dont la demande sera boostée par des baisses d’impôts. 

Pour ce qui est de la courbe des taux d’intérêt, elle sera marquée à la hausse pour les Démocrates (du fait de la poursuite de la hausse des dépenses) alors que les Républicains envisagent de réduire certaines dépenses ; et (4) géopolitique : les Démocrates devraient maintenir des relations favorables avec leurs alliés (et continuer de soutenir l’Ukraine et Taiwan) et maintenir une méfiance vis-à-vis de la Chine et de la Russie. Les Républicains, pour leur part, opteraient sans surprise pour un isolationnisme diplomatique et éventuellement abandonner l’Ukraine et Taiwan à leurs sorts respectifs. A contrario, Israël devrait bénéficier d’un appui encore plus important. Pour ce qui est de l’Europe, les Républicains devraient accélérer le rapatriement des investissements américains, ce qui risque d’affaiblir l’industrie de ce continent. L’avenir de l’OTAN est également incertain.  

La période des élections est toujours source d’incertitudes, au vu des différences au niveau des programmes des deux partis. Pour 2024, deux grandes inconnues : (1) l’orientation future des politiques budgétaire, monétaire, de change et commerciale ainsi que les perspectives macroéconomiques, en raison de l’incertitude générée par le choix des candidats présidentiels, de la fracture politique entretenue par des divergences partisanes incessantes, de la nature des choix budgétaires et des thèmes de focalisation des dépenses de campagne ; et (2) l’incertitude sur un atterrissage en douceur de l’économie américaine.  Les craintes de ralentissement économique prennent désormais le pas sur les inquiétudes liées à l’inflation. 

Certains spécialistes estiment que la FED est trop lente à réduire ses taux d’intérêt alors que l’économie montre des signes de ralentissement et qu’elle n’est pas en train de gérer de façon équilibrée les risques liés à une inflation qui reste élevée et à une croissance qui montre des signes de déclin, comme en témoignent : (i) l’affaiblissement du marché du travail (le chômage a atteint 4,3% en juillet 2024 par rapport à 4,1% en juin, 4% en mai et 3,9% en avril) ; et (ii) une baisse de la consommation (illustrée par la faiblesse de la demande en produits et services numériques ce qui a fait baisser les actions des géants de la technologie). La question est désormais de savoir si la FED va baisser ses taux en septembre 2024, favoriser un atterrissage en douceur et donner ainsi un boost politique aux Démocrates. 


Le retrait du candidat Biden est salutaire pour les Démocrates et de larges segments de la population électorale américaine.  

Le retrait du candidat Biden est salutaire : Ces derniers mois et surtout depuis le débat du 27 juin 2024 avec Donald Trump, le candidat Biden n’a pu contrer l’image d’un homme très âgé, désorienté et inapte à gagner les élections (les sondages le donnaient largement perdant) et accomplir l’intégralité d’un second mandat, semant ainsi la panique parmi les bailleurs de fonds et la classe politique démocrate. Dans ce contexte, sa décision de retirer sa candidature le 21 juillet 2024 et de donner son aval à la candidature de Kamala Harris ont donné au Parti démocrate (ainsi qu’à l’Amérique et au monde) l’opportunité de s’accorder très vite sur le meilleur candidat possible et de préserver son unité en évitant une lutte de pouvoir fratricide. M. Biden a donné aux Démocrates une seconde chance de gagner une course qui semblait perdue. Ces derniers ont eu le mérite d’avoir organisé rapidement une transition en douceur qui va préserver l’héritage de Biden et appuyer favorablement l’image du nouveau prétendant. 

Les atouts de la nouvelle candidate : cette dernière va désormais de l’avant incontestée. Sa candidature a le mérite de disposer de nombreux atouts, y compris une reconnaissance de son nom, l’expérience acquise en tant que vice-présidente et surtout le soutien de nouveaux électeurs et électrices (les femmes professionnelles des zones urbaines, les jeunes et les communautés noire, asiatique et latino-américaine). La conjugaison de ces atouts avec ses propres capacités politiques devrait l’aider à devenir éventuellement la première femme à être élue à la présidence des Etats-Unis (et plus particulièrement la première femme de descendance africaine et asiatique). 

Désormais, sa nomination officielle comme candidate du Parti démocrate est acquise lorsque ce dernier tiendra sa convention à Chicago du 19 au 22 août 2024. De plus, la convention officialisera le colistier choisi par l’équipe de campagne (qui servirait comme vice-président), adoptera la plate-forme complète du parti et unifiera les rangs de ce dernier. En Kamala Harris, les Démocrates ont trouvé un équilibre entre la rapidité d’action, l’unité, la légitimité mais surtout un pragmatisme qui jette les bases d’un succès électoral. 
Les Démocrates relancent la course à la présidence aux Etats-Unis. 

Entre le 21 juillet (date de retrait de Biden) et le 5 novembre 2024 (date de l’élection), la nouvelle candidate démocrate dispose de 104 jours pour renverser la situation. Un temps suffisant pour permettre à la nouvelle candidate de remporter la présidentielle. Sa tâche est de faire de l’élection un référendum sur M. Trump qui est impopulaire en dehors d’une base électorale dévouée. Pour ce faire, elle doit focaliser ses efforts sur les faiblesses de M. Trump et continuer à montrer aux électeurs et électrices indécis ses qualités et sa capacité à tenir le poste de président qu’elle brigue. Et surtout offrir aux Américains une véritable élection afin d’écarter un populiste sans vision stratégique pour les Etats-Unis et le monde. 

D’ores et déjà, une nouvelle dynamique est en train de prendre corps au niveau de la campagne de la nouvelle candidate démocrate. Pour preuve : 
• Une levée de fonds exceptionnelle : deux semaines après sa candidature, Kamal Harris dépasse Donald Trump en matière de levée de fonds électoraux. La campagne de l’ancienne présidente a déclaré avoir levé $139 millions au cours du mois de juillet, soit le double de celui recueilli par son concurrent direct dont la cote était remontée momentanément après la tentative d’assassinat dont il a fait l’objet le 13 juillet au cours d’un rassemblement électoral en Pennsylvanie. Un signe positif sans équivoque. 


• Le plan de réforme de la Cour suprême de Biden : la Cour suprême des Etats-Unis a été entachée par des décisions très controversées, des manquements graves à l’éthique de la part de certains juges et une longévité malsaine et contreproductive. Elle est devenue impopulaire et sa crédibilité et impartialité entamées sérieusement. Elle représente, désormais, une menace pour l’équilibre entre les trois branches du pouvoir. Dans ce contexte, Biden a proposé le 29 juillet une réforme du fonctionnement de la Cour suprême pour limiter les mandats des juges à 18 ans, mettre en place un code de conduite des juges et passer un amendement constitutionnel pour annuler la décision prise au début juillet d’absoudre les présidents des actions prises au cours de leurs mandats. Cette réforme est ambitieuse et unique et a le mérite d’être appuyée par plus de 70% des électeurs. Même si elle doit faire face à d’énormes difficultés pour la conduire à terme, cette initiative est la bienvenue et pourrait renforcer les chances des Démocrates le 5 novembre 2024.  


• L’échange des prisonniers intervenu le 2 août 2024 entre la Russie et les Etats-Unis. Un swap qui devrait aider le président américain Joe Biden à améliorer son héritage en termes de politique étrangère pendant le reste de son mandat et profiter à la campagne électorale de la vice-présidente. Ceci n’empêchera pas les Républicains de dénoncer le coût de ce swap de prisonniers. 


Le succès des Démocrates implique désormais un programme politique cohérent et soutenable. Ce dernier devra être articulé autour de trois axes majeurs : 


• Axe 1 : pragmatisme des politiques 
publiques au profit de tous les Américains sur les plans de la gestion climatique (domaine où Biden a fait des avancées remarquables), de l’inflation, de l’immigration et de la défense des droits reproductifs des femmes (un dossier favorisant le Parti démocrate). 

•Axe 2 : défense des valeurs américaines aux Etats-Unis et à l’étranger, ce qui implique le respect des règles de droit, la lutte contre les violences de toute nature, la criminalité et la conduite de ce combat à l’international (comme défenseur des normes et des règles de droit).  
 

•Axe 3 : donner de l’espoir à l’Amérique en maniant comme elle le fait avec adresse, humour et optimisme pour se distinguer radicalement d’un Donald Trump intimidateur, revanchard, incompétent et manquant de respect.  
 

Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international
 

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