POINT DE VUE - La Ligue arabe : institution ou fonds de commerce ?

20/05/2023 mis à jour: 18:03
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A la veille de l’ouverture officielle, à Jeddah, du Sommet de la Ligue arabe, Mohammed Ben Salmane, prince héritier d’Arabie Saoudite, annonce avoir invité le président ukrainien, V. Zelensky, apparemment, sans avoir informé aucun des pays membres. 

La nouvelle, qui a vite fait le tour du monde, a d’abord surpris les pays membres, qui n’ont pas été informés, ni consultés préalablement, mais également les pays occidentaux (Etats-Unis et UE), parties prenantes dans le conflit ukrainien, la Russie belligérant direct, la Chine qui tente une médiation et le reste du monde qui essaie de comprendre le bien-fondé de cette décision unilatérale. Quelles raisons ont poussé MBS à prendre cette initiative risquée et quelles réactions va-t-elle susciter de la part des pays membres et du reste du monde ?

Décision funambulesque à souhait, cette démarche se situe dans le prolongement de la politique saoudienne de soutien à l’Ukraine, qui lui a déjà offert quelque 400 millions de dollars d’aide multiple, alors que la Tunisie n’a pas reçu un seul kopeck ! Cette initiative coupe l’herbe sous le pied de tous ceux qui, aux USA et ailleurs, commençaient à trouver MBS pas assez «vassalisé» (sans compter l’affaire de l’assassinat de J. Khashoggi) et qu’il était temps de le remplacer par un autre prince, plus perméable aux thèses américaines, comme ce fut le cas pour son grand-père Ibn Saoud, assassiné par son neveu formaté aux Etats-Unis, pour avoir exigé de H. Kissinger de «libérer Jérusalem pour lui permettre d’accomplir son pèlerinage au troisième site sacré de l’Islam» !

En effet, le rapprochement, suivi de la normalisation diplomatique avec «l’ennemi séculaire persan chiite», sous les bons auspices de la Chine, n’a pas été du tout apprécié par la Maison-Blanche ni par Israël, qui ont vu leur politique dite des «accords d’Abraham» et de la normalisation se fissurer. Il faut ajouter à cela la décision de MBS de ne pas augmenter sa production de pétrole et de suivre, en cela, les recommandations de l’OPEP+, ce qui avantage l’économie russe et son effort de guerre.

Le retour de la Syrie (alliée de la Russie), au sein de la Ligue arabe, soutenu par l’Algérie, que l’Arabie Saoudite a accepté, n’est pas sans conséquence sur cette décision, qui permet à MBS de «reprendre la main» sur les «affaires arabes» et de marquer son soft power dans la région, avec en toile de fond la guerre sanglante au Yémen, qui est toujours sans paix durable.

Enfin, la volonté de MBS d’adhérer aux BRICS (comme l’Algérie) réaffirme sa détermination à prôner le multilatéralisme dans la gestion des relations internationales, en remplacement de l’unilatéralisme américain. Tous ces éléments combinés font de MBS un allié stratégique «encombrant» des Etats-Unis, qu’il faut manier avec beaucoup de prudence et de considération, ce qui est inhabituel pour les dirigeants américains qui, depuis les «Accords du Quincy» de 1944, voyaient leurs instructions être appliquées intégralement, par le royaume, sans «état d’âme» !

Cette «invitation» de V. Zelensky (convié également au Sommet du G7 à Hiroshima) est donc un gage donné aux USA, à ses alliés et à leur opinion publique, à quelques mois de la  présidentielle américaine, où l’actuel Président a officiellement affiché sa candidature, très contestée au demeurant, y compris dans son propre parti, pour de multiples raisons.

Dès vendredi, date d’ouverture officielle du Sommet, il est clair que ce coup de poker de MBS va nous informer sur sa réussite ou son échec, selon le nombre de participants, son niveau de représentation, le contenu des discours, y compris celui de V. Zelensky et les résolutions approuvées par le Sommet sur les dossiers retenus à l’ordre du jour. 

Mais le véritable «travail» se réalisera dans les coulisses du Sommet, à travers les rencontres entre les différentes délégations qui y prendront part. Le communiqué final sera, à n’en pas douter, assez édulcoré pour satisfaire tous les membres présents et absents.

L’Algérie, pour sa part, a décidé de se faire représenter, à ce Sommet, par son Premier ministre, après que le ministre des Affaires étrangères a rejoint Jeddah, depuis plusieurs jours, pour participer aux travaux préparatoires. 

Cette décision du président A. Tebboune, mûrement réfléchie, s’inscrit dans le cadre de sa politique étrangère, qui combine à la fois l’équilibre des positions, la réciprocité des actions, le poids des alliances stratégiques, la constance des principes et le pragmatisme dans la gestion.

MBS va présider aux destinées de la Ligue arabe durant une année, avant de remettre le flambeau et cette décision inattendue montre et démontre qu’il entend bien utiliser cette période sensible, afin d’imposer son leadership sur le Monde arabe, de se positionner comme l’interlocuteur unique de la région vis-à-vis du reste du monde et enfin de glaner quelques dividendes tribaux à l’intérieur du royaume. Comment ce message sera-t-il perçu par ses pairs ?

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