Plusieurs débats au 26e Salon international du livre d’Alger : Plaidoyer pour l’enseignement des humanités classiques africaines

29/10/2023 mis à jour: 21:07
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L’actuelle édition du SILA connaît une forte affluence /photo : B. Souhil)

La pensée africaine ou l’affirmation de soi aux XXIe siècle» était le thème d’une rencontre qui a rassemblé l’écrivain et universitaire béninois Mahougnon Kakpo, la romancière camerounaise Calixthe Beyala, la sociologue sénégalaise Aoua Bocar Ly-Tall, l’éditeur guinéen Sansy Kaba Diakité et l’universitaire algérien Benaouda Lebdai. Le débat a été modéré par l’écrivain camerounais, Jean-Célestin Edjangué.

 Le griot mandingue Ibrahim Soumano du Mali a introduit le débat en évoquant la culture orale africaine. Mahougnon Kakpo a refusé dans son intervention le terme «griot» imposé, selon lui, par le colonialisme français. «C’est un terme péjoratif. Pour nous, c’est djeli et pas griot. Dans la culture française, le djéli c’est le troubadour. Le djeli est une institution», a-t-il dit. «Pour que la pensée puisse exister, il faut enseigner les humanités classiques africaines. Sans cela, nous ne pourrons aller nulle part. Aucun pays ne s’est développé en laissant de côté ses humanités classiques. Il s’agit de la religion, de la langue, du système philosophique et de la culture de façon générale. La religion permet de lier les ancêtres. Qu’enseignons-nous à nos enfants et nos étudiants aujourd’hui ? Nous enseignons l’humanisme classique de la France, la renaissance française, la civilisation britannique... Comme s’il n’y avait pas de Moyen-Age, de renaissance ou d’humanité en Afrique», a regretté Mahougnon Kakpo, qui est enseignant à l’université au Bénin. 

Cet ancien ministre de l’Enseignement secondaire au Bénin a plaidé pour introduire les humanités africaines dans les programmes scolaires et universitaires. «Il y a aussi le classicisme, la renaissance et l’humanisme dans nos cultures. La pensée africaine doit être nourrie par cet enseignement. Nos jeunes doivent le savoir, dans nos cultures, malheureusement, nous sommes aujourd’hui comme une citronnelle dans la neige. Cette plante ne peut jamais évoluer dans la neige. La base de notre culture est sapée et notre pensée introvertie. Nous sommes comme dans un paradigme du dehors. 

Pour aller vers le développement, il faut passer par les paradigmes de l’intérieur. On ne peut jamais aller loin en partant de ce que les autres ont construit. La langue que l’on parle constitue les archives d’un peuple. C’est la langue qui porte la culture et la connaissance. Lorsque vous parlez la langue d’un autre, vous prenez ses valeurs. Et par conséquent, les jeunes ne sentent plus d’appartenance à leurs terres», a-t-il analysé. 

Et d’ajouter : «Aujourd’hui, le regard est tourné vers l’Occident parce qu’on pense que l’essentiel est là-bas.» Mahougnon Kakpo a également plaidé pour enseigner le djeli en raison des valeurs qu’il véhicule. «Aujourd’hui, il y a une sorte de fracture dans la personnalité des jeunes Africains. Il n’y a qu’à s’intéresser aux noms que nous donnons à nos enfants. C’est une aberration. L’homme est dans le nom qu’il porte. Le nom est un projet de vie, de construction de soi-même. Lorsque vous êtes dans le nom de quelqu’un d’autre, vous ne reconnaissez pas, vous êtes en rupture avec votre terre (...) Aucun pays ne se construit sans les jeunes», a-t-il prévenu.
 

Du continent pris par les Européens

«Aujourd’hui, les jeunes Africains, qui partent vers l’Europe, ne font que suivre les biens du continent pris par les Européens», a soutenu Aoua Bocar Ly-Tall, auteur d’un ouvrage de référence Cheikh Anta Diop : l’humain derrière le savant. Elle a critiqué les colonisateurs européens qui ont tenté de vider l’Afrique de ses richesses. «Je me rappelle de ce qu’a dit Zohra, la mère de l’Emir Abdelkader, qui demandait à un Français ce qu’il était venu faire en Algérie. Nous vivions en paix et en prospérité et vous êtes venus semer la désolation et la violence», lui a-t-il dit. «L’Afrique revient de loin à cause de la colonisation et de l’esclavage. 

Comme disait Cheikh Anta Diop, le dominateur vous tue sur le plan culturel et identitaire avant de vous tuer physiquement. Les Africains ont aidé la France à se débarrasser du nazisme. Et la France a ouvert le feu sur les Algériens à Sétif (1945) et sur les Sénégalais au camp de Thiaroye à Dakar (1944). C’est pire que de l’ingratitude», a-t-elle dénoncé. Aoua Bocar Ly-Tall a évoqué aussi La Charte du Manden (la loi de Kouroukan Fouga) qui remonte à 1236, «bien avant la Déclaration universelle des droits de l’homme». «Donc, l’Afrique a précédé l’Europe dans le domaine humain. L’Emir Abdelkader est l’initiateur du droit des réfugiés. L’histoire africaine a été sapée. Le président français Nicolas Sarkozy a osé dire que la tristesse de l’Afrique vient du fait qu’elle n’était pas entrée dans l’histoire. Il a montré qu’il était ignorant», a-t-il déclaré. Elle a rappelé que Cheikh Anta Diop avait écrit un article en 1948 pour s’interroger sur la renaissance de l’Afrique. 

«Les Africains sont passés par des moments difficiles mais restent debout. L’Afrique était unie avant l’arrivée des colonisateurs, venus pour dominer et s’accaparer des richesses. Les colonisateurs étaient dans la pauvreté. Ils sont venus avec l’idée de massacrer, de tuer, d’écraser. Regardez ce qui se passe aujourd’hui avec le peuple palestinien, bombardé, sacrifié. Ni les enfants ni les femmes ne sont épargnés. Où est donc passée l’Humanité ? » s’est-elle interrogée. «Si l’Afrique arrive à réaliser le panafricanisme, les Européens n’auront rien. Les Africains sont au Nord, au Sud et partout dans le monde. Je demande à l’Algérie de continuer de jouer le rôle d’avant-garde en Afrique pour nous unir. Il faut qu’on s’unisse pour qu’on puisse se défendre», a plaidé Aoua Bocar Ly-Tall. 

 

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