L’Algérie fait face ces dernières années à une crise multiforme dans le marché de la pièce détachée automobile qui enregistre, quasiment chaque mois, une hausse des prix inexpliquée.
La pièce de rechange automobile, composants indispensables dans l’écosystème du secteur automobile, se fait de plus en plus rare. L’initiative des pouvoirs publics, mise en place à l’automne 2021 pour épurer le secteur des importations, a donné un coup de frein à la revitalisation du parc automobile vieillissant. L’Algérie fait face ces dernières années à une crise multiforme dans le marché de la pièce détachée automobile qui enregistre, quasiment chaque mois, une hausse des prix inexpliquée.
La décision du ministère du Commerce et de la Promotion des exportations de suspendre, sous réserve de conformité à la loi, la domiciliation bancaire pour toutes les opérations d’importation pour la revente en l’état depuis le 31 octobre 2021, a provoqué une paupérisation du créneau, voire une pénurie de pièces de rechange sans égale, où les importateurs doivent se résoudre à avoir un registre du commerce pour chaque activité et disposer d’un certificat d’excellence pour justifier de la qualité de leurs produits.
De l’avis d’un groupe d’opérateurs dans la filière automobile, ces mesures «d’assainissement» du marché, jugées comme draconiennes, ont engendré un ralentissement de l’activité de l’importation, la rendant plus complexe.Dans un tel contexte marqué par une raréfaction des pièces neuves, les pièces d’occasion, aussi rares et chères, restent l’ultime recours des automobilistes.
Lors de notre tournée aux marchés de «Soummam» à Bab Ezzouar, de Semmar et Kouba, fiefs incontestables de la pièce détachée de l’Algérois, des propriétaires de magasins ont unanimement argué que le ralentissement des importations demeure le principal facteur de cette hausse. «Le blocage de l’importation a fait en sorte que des dizaines de fournisseurs ont stocké des quantités de pièces pour continuer d’alimenter le marché. Le problème qui se pose fait que plus les réserves en quantités s’épuisent, plus les prix augmentent», précisent-ils, tout en ajoutant que «les quelques fournisseurs encore en activité sont contraints de répartir en quantités réduites les anciens stocks disponibles».
Force est de constater que le marché des particuliers n’est pas le seul à être impacté par ce problème de rareté. Celui des professionnels subit le même sort. Les services après-vente de certaines marques de voitures ayant connu un début d’activité depuis l’année dernière après l’obtention de leurs agréments, lesquels doivent remplir leurs contrats auprès des clients pendant une période de dix ans (selon la loi en vigueur), peinent, eux aussi, à satisfaire la demande.
L’article 28 fixant les conditions et les modalités d’exercice de l’activité de concessionnaire de véhicules neufs, évoquant le volet de la pièce de rechange, stipule que «le concessionnaire agréé doit disposer d’un stock suffisant de pièces de rechange et d’accessoires d’origine ou de qualité homologuée par le constructeur concédant pour la prise en charge des clauses de la garantie et du service après-vente des véhicules». Or, ce décret ne connaît toujours pas un terrain d’application.
Consulté sur la question, Hacène Menouar, président de l’association El Aman pour la protection des consommateurs, indique que les plaintes des automobilistes se multiplient, tout comme les constats faits sur le terrain par son association. D’après lui, cette situation est la résultante, d’une part, de la fermeture du champ de cette activité aux opérateurs du secteur, mais aussi d’une absence de concurrence sur le marché et une autorité de régulation.
«Cette problématique doit être résolue en urgence, car elle représente une double menace, d’une part, pour le pouvoir d’achat des ménages, mais aussi pour la sécurité sur nos routes.» Pour ce dernier sujet, les statistiques estiment à au moins 2000 le nombre de personnes qui meurent chaque année sur les routes algériennes pour cause de pièces de rechange défaillantes ou de mauvaise qualité.
Selon une étude de l’Institut national de la propriété industrielle (INAPI), les pièces de rechange automobiles viennent en première place des produits contrefaits commercialisés sur notre marché. Mais faut-il encore préciser que cette restriction à l’importation de pièces de rechange de véhicules reste encore ouverte à la contrefaçon qui trouve un environnement propice à son développement.
La contrefaçon comme recours
Car, force est de constater, le créneau de la pièce détachée du pays est dans les visées prédatrices des réseaux informels de la contrebande, disséminés à travers toutes les régions du pays. A en croire certains experts du secteur, ce créneau informel règne en maître et se taille une grande partie de l’économie nationale. Ces produits non homologués concurrencent le marché légal à hauteur de 40%. Ce créneau n’épargne aucune marque et touche toutes les pièces de véhicule, notamment celles dites de friction (plaquettes de freins, disques d’embrayage, mâchoires de freins).
Ces pièces bas de gamme fabriquées dans des manufactures de l’Asie du Sud-Est sont écoulées sur notre marché par l’entremise de quelques pays, comme la Turquie, Dubaï, les Emirats et même la France, jusqu’à parvenir à Tadjenanet dans la wilaya de Aïn M’lila. Ce marché, dont les ramifications restent méconnues, échappe aux mailles de l’économie du pays.
A titre de rappel et pour ne citer que ce cas-là, durant le mois de juin écoulé, le ministère du Commerce et de la Promotion des exportations avait procédé à la saisie de plus de 1,9 million de pièces détachées, suite à l’enregistrement de plusieurs infractions dans le cadre des opérations de contrôle et de lutte contre la fraude menées auprès d’importateurs au niveau de cinq wilayas. Ces enquêtes se sont soldées par la saisie de 1 972 041 unités de pièces détachées provenant de ce marché parallèle, d’une valeur de 1,674 milliard de dinars et la fermeture de six entrepôts non déclarés dans les wilayas de Tizi Ouzou, Tipasa, Alger, Batna et Oum El Bouaghi.
Manque de visibilité
En mai dernier, lors du 17e Salon de l’Equip Auto Algérie à la Safex d’Alger, un débat sur l’état des lieux du secteur de l’after-market et de l’industrie automobile en Algérie a été abordé sous le thème «Marché de la pièce de rechange face aux mutations technologiques et à la géopolitique mondiale». Les opérateurs du secteur de la pièce de rechange automobile, intervenant lors de ces rencontres, ont particulièrement mis l’accent sur le phénomène de la rupture qui frappe le secteur de la pièce de rechange automobile en Algérie, affirmant leur volonté d’adhérer à la démarche des pouvoirs publics visant à réduire la facture des importations. Ils ont, toutefois, précisé que la pièce de rechange est stratégique à court terme vu que sa disponibilité permet de garantir le bon fonctionnement du parc automobile national, tout en renforçant la sécurité routière.
Ces opérateurs avaient, en outre, fait part des contraintes réglementaires qu’ils rencontrent pour l’importation de la pièce nécessaire en affirmant «souffrir d’un manque de visibilité». Saïd Mansour, président du Club économique algérien (CEA), avait soulevé l’impact des nouvelles réglementations et politiques sur la disponibilité des pièces détachées. Selon ce responsable et à l’image de nombreux autres acteurs du marché, le stock de pièces disponibles demeure faible et ne permet pas, aujourd’hui et au vu des mutations du secteur automobile mondial, aux importateurs algériens de négocier en position de force avec les fournisseurs et constructeurs mondiaux.
«Il serait judicieux de définir un montant pour chaque société en début d’année afin de lui permettre de mieux négocier les quotas à importer et ne plus rester dans le flou», avait-il suggéré. Le Club économique algérien propose de revoir également les mécanismes d’importation des pièces détachées et d’élargir la liste des produits importés pour répondre à la demande et de reconsidérer la répartition des quotas liés aux licences accordées par l’Agence nationale de promotion du commerce extérieur (Algex) et la licence pour importer tous les types de pièces nécessaires au marché.
Les pouvoirs publics promettent d’établir un nouveau cahier des charges pour ce segment d’activité. Le texte obligera les concessionnaires et d’autres opérateurs agréés à assurer la commercialisation de la pièce de rechange pour couper l’herbe sous le pied des autres intervenants du marché parallèle. Le dossier est toujours en étude, à l’heure où des concessionnaires automobiles potentiels appellent à leur accorder des licences temporaires d’importation de pièces de rechange.
La solution demeure donc le retour à l’importation de ces pièces, d’autant que les textes juridiques qui définissant ses modalités et procédures sont d’ores et déjà adoptés. Plusieurs économistes préconisent une réouverture de l’importation qui va non seulement impulser le marché automobile national, en latence depuis des années, mais aussi, assurer une rentabilité au Trésor public, la redynamisation du transport maritime et la satisfaction de la demande des consommateurs qui ne voient actuellement d’autres alternatives que d’entretenir leurs anciennes automobiles, faute d’un marché de véhicules stable.