Parution. Enrico Mattei et l’Algérie. Un ami inoubliable (1962-2022) : Cet allié déclaré de la Révolution algérienne

05/06/2022 mis à jour: 05:05
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Photo : D. R.

L’ambassade d’Italie à Alger a publié un nouveau livre intitulé Enrico Mattei et l’Algérie. Un ami inoubliable (1962-2022), imprimé en Algérie pour l’ambassade d’Italie par la maison d’édition Barzakh.

La réalisation de l’ouvrage, grâce aussi au soutien et à la collaboration de l’Archive Historique de Eni, s’inscrit dans le cadre des initiatives visant à commémorer le 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie et de l’établissement des relations diplomatiques avec l’Italie.

Le livre, traduit dans les trois langues, italienne, française et arabe et imprimé en Algérie pour l’ambassade d’Italie par la maison d’édition Barzakh, est dédié à la personnalité d’Enrico Mattei et à l’inauguration du jardin d’Alger qui porte son nom, qui a eu lieu à l’occasion de la visite d’Etat en Algérie du président de la République Sergio Mattarella les 6-7 novembre 2021. Le jardin Enrico Mattei se trouva à Hydra, et plus précisément ici.

Grâce à la collecte d’importantes interventions institutionnelles et de plus de soixante documents d’archive, dont des écrits, des articles et des photos, aussi inédits, le livre retrace, sous différents angles, les liens d’amitié historiques et profonds entre Enrico Mattei, l’Algérie et l’Italie.

Des documents et photos historiques et diplomatiques italiens

Après une introduction de l’ambassadeur d’Italie à Alger, Giovanni Pugliese, la première partie contient les interventions du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Luigi Di Maio, du ministre algérien des Moudjahidine et des Ayants droit, Laid Rebiga, du président-directeur dénéral de Eni, Claudio Descalzi, du président de l’Assemblée populaire communale d’Hydra, Moustapha Bouhoun, de la professeur d’histoire des relations internationales auprès de l’université de Florence, Bruna Bagnato, et du conseiller scientifique de Limes, auteur et essayiste Alessandro Aresu.

S’ensuit alors une série d’images relatives à des photos, des écrits et des articles d’archives et accompagnées de légendes détaillées, organisée selon cinq axes : Enrico Mattei partisan et son idée de la liberté ; Enrico Mattei et le soutien au peuple algérien ; l’Ecole supérieure de l’Eni à San Donato Milanese ; l’Eni en Algérie ; la visite d’Etat du président de la République italienne Sergio Mattarella dans la République algérienne démocratique et populaire (6-7 novembre 2021).

Enfin, grâce à la collaboration de l’Archive historique diplomatiques du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, le recueil contient également une section supplémentaire comprenant certains importants documents historiques et diplomatiques italiens de 1962, parmi lesquels, par exemple, l’original de la déclaration du Gouvernement italien du 3 juillet 1962 de reconnaissance de l’Algérie indépendante.

Une Italie, en 1955, sensible à la Révolution algérienne

«L’Italie et la guerre d’Algérie : le gouvernement, les partis, les forces sociales et Eni» est le chapitre écrit par Madame Bruna Bagnato, professeur d’histoire des relations internationales, Université de Florence. Elle souligne : parler de la perception italienne de la guerre d’Algérie, c’est s’interroger sur une pluralité de sujets et d’acteurs qui mener une politique souvent inhomogène, parfois contradictoire et qui peut paraître ambiguë.

Dans le sens où il existe une politique officielle du gouvernement, très difficile à suivre, se partageant entre les devoirs de solidarité atlantique et européenne (qui nécessite un soutien à Paris) et la volonté et le désir d’établir un dialogue avec les nationalistes algériens et de les aider dans leur lutte pour l’indépendance, lutte considérée comme tout à fait légitime ; il y a un mouvement d’opinion qui devient, à partir de l’été 1955, de plus en plus sensible au fait national algérien et conscient de la nécessité de le soutenir (mouvement, il faut le dire tout de suite, qui surmonte les séparations partisanes) ; enfin, il y a Mattei, dont l’attention pour l’avenir de l’Algérie est une attention politique, qui non seulement vise la richesse pétrolière du pays, mais, au contraire, est à la base d’un projet beaucoup plus général de renouvellement des relations entre les deux rives de la Méditerranée…

Je voudrais rappeler les étapes de la prise de conscience du drame algérien par l’opinion italienne, mais surtout aider à expliquer la prudence de la politique officielle du gouvernement italien. Ceci est important pour comprendre finalement la relation entre cela et la stratégie de Mattei.

La politique italienne en Méditerranée au moment de la guerre d’Algérie : conditions nouvelles. Pour comprendre l’attitude du gouvernement italien face à la guerre d’Algérie, quelques prémisses sont nécessaires, concernant la politique étrangère du pays dans son ensemble entre le milieu des années cinquante et le début des années soixante.

«Faire comprendre à Paris la nécessité d’entamer des négociations avec le FLN»

Au milieu des années 50, l’Italie retrouve l’apparence d’un pays «normal». L’admission aux Nations unies en décembre 1955 achève son retour dans la communauté des Etats. Le gouvernement de Rome réussit à se débarrasser des stigmates du fascisme et de la défaite avec l’acceptation et la ratification, en 1947, d’un traité de paix, pourtant jugé injuste ; fait un choix clair en faveur de l’Occident et a signé le Pacte atlantique en 1949…

L’insistance française pour que l’Europe, créée en mars 1957, ait un horizon euro-africain très clair et politiquement pertinent, n’est pas surprenante. Du point de vue italien, il s’agit de combiner une politique de «sympathie» envers le monde arabe et, dans le cas de l’Algérie, de soutien aux revendications d’indépendance, avec la nécessité de ne pas compromettre les relations avec la France, partenaire base européenne et atlantique.

Cela explique une politique compliquée, souvent hésitante, parfois ambiguë de la part de Rome face à la guerre d’Algérie : une attitude qui n’apaise pas les suspicions françaises sur les tendances «néo-atlantiques» et sur les milieux «démo-musulmans», qui a un succès certain dans la presqu’île et qui sont jugés contraires aux intérêts de Paris.

A l’ONU, cependant, malgré les tendances de l’opinion publique ou les tendances pro-arabes de certains gouvernements, l’Italie respecte toujours son devoir de solidarité envers la France, soutenant les thèses françaises sur le caractère «interne» des événements algériens et, par conséquent, sur l’«incompétence» des Nations unies. Mais son soutien n’est pas toujours acquis, il n’est jamais enthousiaste et est contesté par les partis d’opposition et la presse de toutes tendances.

Les milieux politiques - le Gouvernement, le ministère des Affaires étrangères, la Présidence de la République - ne croient pas vraiment au caractère «affaires intérieures françaises» de la guerre d’Algérie, et cela se voit très clairement dès le tournant de l’été 1955 ; à plusieurs reprises l’Italie tente de faire comprendre à Paris la nécessité d’entamer des négociations avec le FLN, de travailler avec ce le seul «interlocuteur valable» des projets de réformes durables, bref, l’impossibilité de gagner le jeu algérien à la force.

Mais l’Italie ne peut pas condamner la France à New York : elle craint, en accusant l’ONU de la France de la IVe République, de provoquer la réaction des milieux les plus conservateurs et de faciliter ainsi un changement autoritaire en France ; après le retour au pouvoir du général de Gaulle, on pense qu’il faut lui faire confiance.

«L’Italie considère la guerre d’Algérie comme une guerre de décolonisation»

L’arrivée au pouvoir du général de Gaulle est acceptée avec réserve en Italie, car on craint une volonté d’exercer le pouvoir de manière autoritaire et de donner une nouvelle orientation à la politique étrangère française dans les domaines atlantique et européen. Mais, en ce qui concerne l’Algérie (discours sur la «paix des braves» en octobre 1958, discours sur l’autodétermination en septembre 1959), la confiance est donnée au nouveau président français.

Au sein de l’OTAN, l’Italie peine à accepter l’idée française de l’existence d’un danger communiste en Algérie, considère la guerre d’Algérie comme une guerre de décolonisation et non comme un conflit bipolaire, mais, là encore, elle craint les conséquences de son refus de soutenir la politique intérieure et extérieure de la France.

Néanmoins, si le gouvernement italien ne remet jamais officiellement en cause la politique algérienne de la France, la prolongation de la guerre inquiète Rome, tant politiquement que militairement, car l’important contingent de troupes françaises en Algérie fragilise le système atlantique en Europe, clé de voûte du Défense italienne.

Des armes italiennes sont livrées aux combattants algériens

Parallèlement au respect de la solidarité occidentale, on assiste en Italie, Parlement et gouvernement compris, à une montée de la sympathie pour la cause algérienne. Malgré les avertissements français, l’Italie accueille sur son territoire des représentants du FLN, comme Ferhat Abbas, président du GPRA depuis septembre 1958, qui s’est rendu plusieurs fois en Italie.

Entre juin et septembre 1956, des négociations secrètes ont lieu à Rome entre des cadres du FLN et deux cadres de la SFIO, engagés par Guy Mollet pour négocier un cessez-le-feu - négociations dont certains hommes politiques italiens sont bien informés. Selon des sources françaises, l’ambassade de Tunisie à Rome oriente les déserteurs d’Algérie vers le front rebelle. Selon les mêmes sources, de nombreuses armes de fabrication italienne sont livrées aux combattants algériens…».

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